Vous avez montré que la culture forme notre perception des visages et modèle notre cerveau. Mais existe-t-il aussi une part d’inné, de préformatage ?
Nous
sommes en train d’étudier cette question avec des Chinois nés à Glasgow
(Écosse). Certaines personnes montrent une stratégie asiatique, se
focalisant sur le centre du visage, d’autres une stratégie occidentale,
regardant bien les traits du visage. C’est assez surprenant : chez les
Chinois nés à Glasgow, nous pensions que la stratégie serait
occidentale, puisqu’ils vivent dans cette culture. En fait, ces
sujets-là y arrivent très tard : les premières années de leur vie, ils
restent dans la communauté chinoise. On étudie aussi l’hypothèse d’une
influence génétique avec des Chinois adoptés, mais nous avons peu de
participants.
De tels résultats permettent de se rendre compte que nous ne voyons pas tous le monde de la même façon.
Oui
! Car non seulement un Asiatique ne va pas réfléchir de la même façon
qu’un Occidental, à cause de la morale, de ses valeurs, mais il n’use
pas non plus de la même stratégie pour percevoir le monde. Alors que
lorsqu’ils regardent une photo d’un tigre dans la forêt, les Occidentaux
fixent l’animal, les Orientaux commencent à regarder ce qu’il y a
autour pour avoir une représentation globale. Nous sommes très
analytiques et ils sont très influencés par le contexte. Pour voir la
différence entre deux images où il manque un élément, on est plus rapide
si la différence porte sur un objet focal ; si le changement porte sur
le tour, ce sont eux les plus rapides. Toutes ces différences remontent
aux différences entre les philosophes grecs et les philosophes chinois.
Prenons l’exemple du yin et du yang : en Asie, ils considèrent toujours à
la fois le positif et le négatif pour donner une cohérence, ils ne
prennent jamais l’un sans l’autre.
Pensez-vous
qu’il existe dans le cerveau des aires spécifiques activées pour chaque
culture et qu’à partir de ces cartes, ensuite, il est possible de
prédire quelle est la culture de la personne ?
Nous
sommes en train de tester cette question. Mais certaines études ont
déjà montré des différences d’activation entre Asiatiques et Occidentaux
; d’autres, post-mortem, ont mis en évidence des différences
morphologiques entre les cerveaux.
Est-ce
que l’influence culturelle existe aussi lorsque l’on perçoit des
expressions faciales ? Peut-on imaginer que la peur attire forcément
l’attention autour des yeux, tandis que la joie est identifiée grâce au
sourire, donc à la bouche ?
On
vient tout juste de faire cette expérience ! Cette fois-ci, des
Occidentaux et des Asiatiques devaient différencier sept expressions
faciales (la joie, la peur, la tristesse, la colère, le dégoût, la
surprise et la neutralité) sur des visages anglais et asiatiques. Nous
avons trouvé que les Asiatiques utilisent beaucoup plus que les
Occidentaux l’information qui provient des yeux. Par exemple, pour
reconnaître la joie, ils n’utilisent pas plus la bouche que les yeux.
Pourquoi ? Peut-être parce qu’ils expriment beaucoup moins intensément
leurs émotions que les Occidentaux. Par ailleurs, les participants
asiatiques nous ont confié être très habiles pour extraire des petites
variations des expressions à partir de la région des yeux. Ils
sur-utilisent donc cette région pour les expressions émotionnelles.
L’influence
de la culture sur notre perception du monde pourrait-elle expliquer
pourquoi, souvent, nous comprenons et éprouvons de l’empathie plus
facilement pour une personne de la même culture ?
Je
ne sais pas… Comme dans le film « Lost in translation », il peut y
avoir de l’incompréhension parfois. Quand les Occidentaux vont en Asie,
ils regardent les gens dans les yeux, qui eux les regardent dans le nez,
ce qui est donc une situation un peu inconfortable ! Mais c’est tout ce
que l’étude permet de conclure. ♦
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