vendredi 23 novembre 2012

Pour une révolution managériale: rétablir la confiance et l'engagement

LE MONDE ECONOMIE | • Mis à jour le

Plus que jamais les entreprises ont besoin de l'engagement de leurs salariés. La concurrence exacerbée que la crise ne fait que renforcer exige que chacun apporte dans son travail bien plus que ce qui est écrit dans les contrats. Ce n'est pas seulement un travail qui est attendu, c'est une participation active et déterminée à l'action collective, à la vie de l'entreprise, à l'effort permanent nécessaire.

Or, c'est l'inverse qui se produit ! Jamais les études et les constats des directions des ressources humaines des entreprises n'ont autant mis en évidence les phénomènes de retrait du travail, qui touchent toutes les catégories de salariés, cadres en tête, suivis de près par les nouveaux entrants.

Pour comprendre ce paradoxe, il faut partir d'un constat absolument banal : l'engagement dans le travail est un choix qui, du point de vue du salarié, est en concurrence avec bien d'autres engagements possibles : la famille, les loisirs, les "communautés chaudes" - celles qui permettent de se retrouver entre soi, sans pression, dans un cadre convivial et sont d'autant plus attractives que le travail est devenu répulsif.

Qu'offre aujourd'hui l'entreprise à ses salariés qui en fasse une alternative crédible à l'engagement extérieur ? Peu de chose, à vrai dire.

COERCITION
Le mode managérial dominant est en effet celui de la coercition. Le mot fait d'autant plus peur qu'il décrit une réalité quotidienne des salariés bien différente du discours dominant, qui prétend mettre l'humain au centre de tout.

Car les salariés sont tous les jours davantage contraints par des outils de gestion qui cherchent à mettre ce qu'ils font, la façon dont ils le font et les résultats qu'ils obtiennent sous un contrôle toujours plus serré, toujours plus tatillon et pourtant inefficace.

Chacun de ces outils porte un nom évocateur : ce sont les fameux "process", qui visent à définir avec toujours plus de précision comment le salarié doit faire ce qu'il a à faire, lui apportant ainsi une marque tangible de défiance dans sa propre capacité à décider de ses pratiques ; ils s'appellent les "systèmes de reporting", toujours plus nombreux, devenus une fin en soi et bien plus destinés à couvrir ceux qui les créent qu'à donner une vision exacte et utile de la réalité de l'entreprise ; ils se nomment enfin les "indicateurs de performance" (KPIs, dans la "novlangue" managériale), qui cherchent à enserrer l'activité des salariés dans toujours plus de mesures.

Le propos n'est pas de dire ici que rien ne doit être défini ni mesuré. Il est d'attirer l'attention sur le fait que la machine s'est emballée, et que plus personne ne sait désormais où on en est dans l'utilisation de ces outils.

Ce que l'on sait, en revanche, c'est d'abord leur inefficacité, tant ils sont contradictoires, redondants ou inapplicables. Selon le vieux principe de la grève du zèle, il suffit qu'un salarié décide de les appliquer tous pour que l'ensemble se grippe.

LE SALARIÉ CONTRÔLE L'ENTREPRISE

L'effet produit est alors l'inverse de celui qui était recherché : ce n'est plus l'entreprise qui contrôle le salarié, mais bien... le salarié qui contrôle l'entreprise. Rien ne fonctionne comme c'est écrit, mais plutôt comme la bonne volonté du salarié le fait fonctionner. Si engagement il y a, il est dans cette bonne volonté qui pallie au quotidien les dérives managériales.

Ce que l'on sait aussi, c'est que ce management est décourageant, frustrant et peu mobilisateur. Il envoie jour après jour des signaux de défiance, prive le salarié de la moindre initiative (donc de la moindre capacité d'innovation), selon une logique que Taylor avait souhaité faire triompher.

Dans ce contexte, demander au salarié de s'engager, de donner de lui-même, c'est faire un voeu pieux qui a fort peu de chances de se réaliser aussi longtemps que le management restera aussi crispé et bureaucratique comme il l'est aujourd'hui. Quelques entreprises, il est vrai, en prennent conscience, qui tentent de réintroduire de la confiance et de la simplicité dans les relations de travail.
Mais confiance et simplicité sont difficiles à mettre en oeuvre. La France notamment reste une société de défiance. On le sait depuis longtemps : le passage de règles formelles, écrites et codifiées à des règles du jeu décidées par les acteurs eux-mêmes, définissant ce qui est acceptable et ce qui ne l'est pas quand ils travaillent ensemble, prend l'allure d'une révolution. Cependant, c'est une première condition du regain d'engagement des salariés.

En revenir à la simplicité n'est pas plus aisé. Et pourtant : comment penser qu'il serait possible dans une société aussi complexe, où les parties prenantes sont de plus en plus nombreuses, de tout régir par les procédures ?

Cela ne crée que de la confusion et apporte de nouvelles frustrations. Ces procédures sont d'ailleurs émises par des acteurs qui ne se parlent pas et qui n'ont aucune vision globale de l'effet produit : chacun se désespère ainsi du poids des outils de management, mais tous participent à leur production ! Le travail de remise à plat n'en est par conséquent que plus compliqué, mais il est une des clés de la restauration de la confiance.

Confiance et simplicité sont donc les deux faces d'une même nouvelle façon de manager les hommes sur leur lieu de travail. Il ne sert en définitive à rien de prêcher l'engagement des salariés si l'on n'a pas, dans un premier temps, créé le contexte qui le rend non seulement possible, mais encore attractif. L'échec du management contemporain... devrait faciliter cette prise de conscience.
 
Comment la crise transforme l'entreprise

Cet article est le huitième d'une série de dix contributions de chercheurs sur le thème "Comment la crise transforme l'entreprise", publiée en partenariat avec l'Association nationale de valorisation interdisciplinaire de la recherche en sciences humaines et sociales auprès des entreprises (Anvie).

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