vendredi 23 novembre 2012

Tissus cyborg: les premières fusions homme-machine

Le biochimiste américain Charles Lieber vient de créer des cellules humaines renfermant des capteurs électroniques. Ces «tissus cyborg», comme il les appelle, en référence aux robots humains de la science-fiction pourraient être très utiles à la recherche mais aussi à la médecine.

Robocop, cyborg policier (Paul Verhoeven, 1987) -- Orion Pictures - Robocop, cyborg policier (Paul Verhoeven, 1987) -- Orion Pictures -
Sur le plan de la technologie, comme sur celui de la biologie, Charles Lieber, de l’université de Harvard, et ses collègues, ont réalisé une «première». Ils ont intégré des minuscules fils de silicium (leur diamètre est environ mille fois plus petit que celui d’un cheveu) et des transistors pas plus gros que des virus à une sorte d’éponge faite de biomatériaux comme le collagène. Sur cet échafaudage, ils ont cultivé différents types de cellules humaines –cardiaques et musculaires– mais aussi des vaisseaux sanguins et des neurones de rats. Ils ont ainsi réussi à fabriquer des fragments de chaire hybride, mi-électronique, mi-biologique. En trois dimensions de surcroît.
Une prouesse devant laquelle Matthias Lutolf, professeur associé dans la section sciences et technologies du vivant de l’Ecole polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL), ne cache pas son enthousiasme: «Jusqu’ici, les laboratoires travaillant dans ce domaine n’avaient obtenu que des structures en deux dimensions. En outre, ils intégraient dans les tissus vivants des matériaux que les cellules rejetaient, les considérant comme des corps étrangers. Ce qui n’est pas le cas ici

Bien qu’artificiels, ces tissus se comportent en effet comme leurs équivalents naturels, car l’intrusion de composants électroniques ne perturbe pas leur fonctionnement. Les cellules cardiaques cyborg, par exemple, se contractent comme celles d’un «vrai» cœur et les chercheurs américains ont pu mesurer le rythme de leurs battements.
«Avec des capteurs de ce type, on pourrait mesurer différents paramètres –acidité, température– à l’intérieur de la cellule, ce qui devrait nous permettre de mieux comprendre le fonctionnement de cette dernière», estime Yann Barrandon, chef du service de chirurgie expérimentale au CHU de Lausanne. En tant que titulaire d’une chaire commune EPFL-Université de Lausanne sur les cellules souches, il estime qu’il serait intéressant pour son laboratoire de pouvoir utiliser des capteurs de ce type.

Implants «intelligents»

La recherche fondamentale devrait en effet être la première bénéficiaire de ce nouvel outil. Mais la médecine pourrait, elle aussi, y trouver son compte.
Dans ce domaine, les idées ne manquent pas. Selon leurs inventeurs, les tissus hybrides, qui reproduisent en partie le métabolisme d’un organisme entier, pourraient servir à tester l’effet de nouveaux médicaments. Les chercheurs américains envisagent aussi d’intégrer des défibrillateurs le long de nano-capteurs pour traiter les troubles du rythme cardiaque. Ou encore, d’utiliser les composants électroniques pour détecter, à l’intérieur des cellules, un environnement propice aux phénomènes inflammatoires ou au développement des tumeurs. «On pourrait en effet créer des implants “intelligents”, qui seraient capables de nous renseigner sur l’état du tissu avoisinant et de nous dire s’il est sain ou malade», renchérit Mathias Ludolf.

Cellules télécommandées

Pour l’instant, Charles Lieber et ses collègues doivent se contenter de recevoir les informations issues des capteurs présents au sein des cellules. Mais ils visent déjà la prochaine étape, qui leur permettra d’envoyer des signaux aux circuits électroniques et de communiquer réellement avec eux. De les «télécommander» en quelque sorte. Par exemple pour les inciter à libérer des médicaments de manière très ciblée ou pour aiguillonner le système immunitaire qui pourrait ainsi mieux lutter contre des bactéries et des virus. Et pourquoi pas, carrément pousser des cellules malades à se régénérer.
«C’est le rêve de tout biologiste, commente Yann Barrandon. On aimerait “manipuler”, dans le meilleur sens du terme, les cellules à l’aide de systèmes simples, afin de leur donner des instructions pour qu’elles se déplacent, qu’elles se reproduisent, qu’elles se suicident etc. Ce serait génial!»
Les applications potentielles de ces tissus cyborg «ne sont limitées que par notre imagination», précise le médecin du CHU suisse. Mais restons réalistes. Si les travaux de Charles Lieber et de ses collègues ouvrent la voie à des pistes prometteuses, les tissus cyborg n’existent pour l’instant qu’à l’état d’échantillons dans un laboratoire de l’université de Harvard. Ils n’ont même pas encore été testés sur des animaux.
Elisabeth Gordon

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