Santé et travail : un nouveau pacte à négocier
En
période de chômage croissant, l'absence de travail n'est certainement
pas sans risques pour la santé. Pourtant, on ne saurait oublier que les
salariés sont confrontés à de multiples risques du travail pour lesquels
beaucoup reste à faire. Car, à l'accident du travail, sont venus
s'ajouter, en quelques décennies, de nouvelles maladies
professionnelles, des risques environnementaux inédits et, enfin, le
risque « psychosocial ».
Il ne s'agit pas d'une simple extension de
la liste des dangers, mais de l'irruption de risques de natures
différentes qui bousculent les modèles d'observation, de réglementation,
de négociation sociale et, in fine, de management. C'est cette
évolution qu'éclaire un ensemble de recherches soutenues par l'Agence
nationale de la recherche (Catherine Courtet, Michel Gollac, Risques du
travail, la santé négociée, éditions La Découverte).
C'est à la
fin du XIXe siècle que se met en place une première législation des
accidents du travail et des maladies professionnelles. Elle permet
d'imputer la responsabilité à l'employeur et impose un système
d'assurances qui indemnise les ouvriers. En outre, inspection et
médecine du travail viendront contrôler et réguler la protection des
salariés.
Dans les années 1960, ce dispositif vise une
rationalisation ergonomique du travail : les risques doivent être
connus, réglementés et limités par une conception rigoureuse du poste de
travail. Le débat peut alors se déplacer vers la reconnaissance
publique des maladies professionnelles, clé du dispositif réglementaire.
La silicose sera ainsi l'une des premières « maladies négociées » après
de longues luttes ouvrières et de multiples redéfinitions scientifiques
de la maladie.
Organiser la vigilance
Mais la maladie
professionnelle n'est pas nécessairement celle d'une profession. Avec
le désastre de l'amiante, on découvre un nouveau type de risque : celui
de l'agent nocif insidieux (particules, agents chimiques, biologiques,
ondes...) qui peut s'introduire à tout moment dans l'environnement du
travail. L'étude épidémiologique entre alors en scène pour démontrer les
mécanismes en cause, parfois déjà reconnus sur le terrain, mais
négligés. Dans l'entreprise, il faut alors organiser la vigilance,
l'alerte, et faire remonter les informations de terrain. Mais
l'incertitude s'installe : suffit-il de s'en tenir à la réglementation
actuelle ? Il faut aussi gérer la précaution en situation de
controverses sur la nocivité.
Avec le risque « psychosocial »,
l'épidémiologie ne suffit plus. On peut cerner les facteurs du stress et
de la souffrance psychique au travail, mais encore faut-il reconnaître,
dans une entreprise particulière, que ces facteurs sont présents et
dangereux : détecter que le climat social est délétère, le management
débordé, les objectifs intenables ou contradictoires... Plus difficile
encore est de comprendre comment ces dysfonctionnements collectifs
annoncent des drames individuels.
Cette fois, il ne s'agit plus
de bonne ergonomie du poste ou de protection environnementale, c'est un
pacte fondamental qui s'est peut-être rompu : pour certains, travail et
entreprise ne font plus sens. Il n'y a pas alors de réparation possible
sans la mise en place d'un management à la fois présent, lucide et
ouvert au dialogue, comme le souligne à son tour le récent rapport
Kaspar (« Rapport de la Commission du grand dialogue de La Poste »,
disponible en ligne) remis à la demande du président de La Poste à la
suite de suicides sur les lieux de travail.
Ainsi, les risques
de santé au travail ont-ils profondément changé de nature en un siècle.
Pour l'Etat, ils recoupent désormais les questions de santé publique.
Pour l'entreprise, il s'agit de bien plus qu'une stratégie de protection
technique : c'est un espace de recherche et de négociation où se joue
sa place dans la cité.
Armand Hatchuel
Le Monde.fr Article paru dans l'édition du 09.10.12
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