mardi 13 novembre 2012

Santé et travail : un nouveau pacte à négocier

En période de chômage croissant, l'absence de travail n'est certainement pas sans risques pour la santé. Pourtant, on ne saurait oublier que les salariés sont confrontés à de multiples risques du travail pour lesquels beaucoup reste à faire. Car, à l'accident du travail, sont venus s'ajouter, en quelques décennies, de nouvelles maladies professionnelles, des risques environnementaux inédits et, enfin, le risque « psychosocial ».

Il ne s'agit pas d'une simple extension de la liste des dangers, mais de l'irruption de risques de natures différentes qui bousculent les modèles d'observation, de réglementation, de négociation sociale et, in fine, de management. C'est cette évolution qu'éclaire un ensemble de recherches soutenues par l'Agence nationale de la recherche (Catherine Courtet, Michel Gollac, Risques du travail, la santé négociée, éditions La Découverte).

C'est à la fin du XIXe siècle que se met en place une première législation des accidents du travail et des maladies professionnelles. Elle permet d'imputer la responsabilité à l'employeur et impose un système d'assurances qui indemnise les ouvriers. En outre, inspection et médecine du travail viendront contrôler et réguler la protection des salariés.

Dans les années 1960, ce dispositif vise une rationalisation ergonomique du travail : les risques doivent être connus, réglementés et limités par une conception rigoureuse du poste de travail. Le débat peut alors se déplacer vers la reconnaissance publique des maladies professionnelles, clé du dispositif réglementaire. La silicose sera ainsi l'une des premières « maladies négociées » après de longues luttes ouvrières et de multiples redéfinitions scientifiques de la maladie.

Organiser la vigilance

Mais la maladie professionnelle n'est pas nécessairement celle d'une profession. Avec le désastre de l'amiante, on découvre un nouveau type de risque : celui de l'agent nocif insidieux (particules, agents chimiques, biologiques, ondes...) qui peut s'introduire à tout moment dans l'environnement du travail. L'étude épidémiologique entre alors en scène pour démontrer les mécanismes en cause, parfois déjà reconnus sur le terrain, mais négligés. Dans l'entreprise, il faut alors organiser la vigilance, l'alerte, et faire remonter les informations de terrain. Mais l'incertitude s'installe : suffit-il de s'en tenir à la réglementation actuelle ? Il faut aussi gérer la précaution en situation de controverses sur la nocivité.

Avec le risque « psychosocial », l'épidémiologie ne suffit plus. On peut cerner les facteurs du stress et de la souffrance psychique au travail, mais encore faut-il reconnaître, dans une entreprise particulière, que ces facteurs sont présents et dangereux : détecter que le climat social est délétère, le management débordé, les objectifs intenables ou contradictoires... Plus difficile encore est de comprendre comment ces dysfonctionnements collectifs annoncent des drames individuels.

Cette fois, il ne s'agit plus de bonne ergonomie du poste ou de protection environnementale, c'est un pacte fondamental qui s'est peut-être rompu : pour certains, travail et entreprise ne font plus sens. Il n'y a pas alors de réparation possible sans la mise en place d'un management à la fois présent, lucide et ouvert au dialogue, comme le souligne à son tour le récent rapport Kaspar (« Rapport de la Commission du grand dialogue de La Poste », disponible en ligne) remis à la demande du président de La Poste à la suite de suicides sur les lieux de travail.

Ainsi, les risques de santé au travail ont-ils profondément changé de nature en un siècle. Pour l'Etat, ils recoupent désormais les questions de santé publique. Pour l'entreprise, il s'agit de bien plus qu'une stratégie de protection technique : c'est un espace de recherche et de négociation où se joue sa place dans la cité.

Armand Hatchuel
Le Monde.fr Article paru dans l'édition du 09.10.12

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