dimanche 15 avril 2012

Après France Télécom, Thierry Breton passe Atos à l'essoreuse

Arrivé il y a trois ans à la tête d’Atos Origin, l’ex-ministre y a importé ses méthodes de management. Premiers dégâts.


L’ex-PDG de France Télécom, ex-ministre de l’Economie et ancien patron de Bull et Thomson, prend la tête en 2008 d’une société discrète, Atos Origin, 50 000 employés. Deuxième société de service en ingénierie informatique (SSII) française, il veut en faire le leader européen du service informatique.

Son atout : le « cost killing » (réduction drastique des coûts). Pour ce faire, Thierry Breton a une technique qui tient en trois lettres : le TOP, pour « Total Operational Performance ». C’est ce programme (PDF) que l’ancien professeur de mathématiques met en place partout où il passe. Chez Thomson, chez France Télécom et, depuis novembre 2008, chez Atos Origin.

Ce « lean management » qui nous vient du Japon

Pour Jacques Pommeraud, de la direction générale, l’outil s’est imposé :

« Nous l’avons mis en place parce que le niveau de compétitivité du groupe était inférieur à celui de ses concurrents comparables. »

Jacques Pommeraud est en charge de l’un des éléments clés du programme, celui qui doit améliorer la productivité, le « lean » :

« La technique vient du Japon, de chez Toyota. Elle consiste à éliminer tous les gaspillages, à améliorer la qualité et la motivation des équipes. Appliquée aux services, elle concerne essentiellement le management. »

Et, pour le mettre en place, la méthodologie est rodée. Le travail de chaque salarié est observé, mesuré, puis des axes d’amélioration définis afin d’éliminer temps et gestes inutiles. Ces chantiers « lean » de douze semaines prennent chez Atos le nom doux et poétique de « vagues », que naviguent des « skippers ». Et qui mènent à des résultats encourageants, comme le dit Jacques Pommeraud :

« Du côté de la productivité, les gains sont typiquement à deux chiffres. Et du côté des équipes, l’adhésion s’est accrue : les salariés sont satisfaits de devoir se concentrer sur ce qui apporte de la valeur ajoutée au client plutôt que de continuer à accomplir certaines tâches administratives. »

En mars, pourtant, un internaute, ingénieur chez Atos, nous alerte :

« J’ai toujours travaillé avec plaisir dans la société, mais, depuis deux ans, la situation ne cesse de se détériorer. La compétence ne compte plus, le client est oublié, la seule préoccupation, c’est de savoir combien ça rapporte et quand c’est facturé. »

Un cas isolé ?

Absentéisme, crises de larmes et antidépresseurs

C’est Atos Infogérance qui a, la première, testé en France les vagues de « lean ». Celles-ci se sont même succédées à un rythme soutenu entre juillet 2009 et octobre 2010.

A tel point que le Comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) s’est inquiété pour la santé des salariés, et a demandé une expertise à un cabinet agréé par le ministère du Travail, Sécafi. Qui alerte :

  • l’absentéisme explose pour atteindre 30% en mai 2010 ;
  • les troubles du sommeil et les états réactionnels aigus (pleurs, etc.) sont en augmentation ;
  • près de 300 employés, sur les 850 « leanés », prennent des substances psycho-actives au moment de l’enquête.

Le travail s’intensifie, les marges de manœuvre diminuent.

En cause, l’intensification du travail, tout d’abord, comme l’analysent les auteurs. Fabrice Fischer, de Solidaires, lui, la vit au quotidien :

« Depuis janvier, quatre personnes ont démissionné sans être remplacées. Nous nous retrouvons à huit, alors que nous sommes passés de dix à dix-sept clients. »

La vague déferle et « libère » ceux qui font moins bien

Mais le rapport pointe également :

  • une perte de sens du travail,
  • des besoins de reconnaissance non-satisfaits,
  • une dégradation des relations.

Car le « lean » permet aussi d’identifier des « low performers », ceux qui font moins bien que la moyenne du service. La vague déferle et les « libère » pour les déposer à la « workforce », qui les aide à mettre à jour leur CV et à passer des entretiens en interne, détaille Jacques Pommeraud :

« Quand on fait des gains d’efficacité, on a besoin de moins de personnes que prévues pour une mission. Il faut former celles qui ne sont plus “staffées”. Pour mieux les vendre ensuite aux clients sur d’autres missions. »

La formation, c’est le nerf du « lean » japonais. Pourtant, dans trois des quatre entités d’Atos, les efforts de formation ont diminué en 2009, calcule le cabinet d’expertise comptable Sextant dans son rapport au comité d’entreprise.

« Certains salariés craquent, et partent »

En 2010, 1 000 salariés quittent l’entreprise (PDF). Peut-on y voir un lien ? Pour Jack Toupet, coordinateur CGT, c’est une évidence :

« Les salariés se retrouvent à attendre, sans travail. Parfois, au bout d’un moment, on leur propose des postes qui ne peuvent pas leur convenir. Certains craquent, et partent. »

Ce n’est pas le but, assure Jacques Pommeraud, de la direction générale :

« TOP, c’est une transformation d’Atos sans plan social. Simplement, dans les services informatiques, le taux de départ naturel est très élevé. »

Les budgets d’Atos Infogérance intègrent pourtant une réduction globale des effectifs de 20% dans le cadre du « lean management », reporte Sécafi.

Un copier-coller de France Télécom

Il faut dire que la recette a fonctionné chez France Télécom. Nommé en 2002, Thierry Breton y avait réduit l’endettement de 25% en trois ans. Les effectifs, eux, passaient de 146 900 en 2001 à 121 000 en 2005.

Déjà, c’est TOP qui s’applique, les vagues en moins, se souvient Philippe Meric, de Sud-PTT :

« Chez nous, il n’y avait pas de mode d’emploi, c’était au manager d’identifier les plus lents, pour la cellule de reclassement. »


Télécharger le rapport de Technologia.

Certains se voient ainsi proposer d’ouvrir une pizzeria ou un bowling, comme le raconte Ivan du Roy, auteur du livre « Orange stressé » (éd. La Découverte, 2009). Quand les congés de fin de carrière écrèment les rangs.

En février 2005, Thierry Breton quitte France Télécom, après avoir conçu les plans Next et Act, petits cousins de TOP. Ce sont ces trois programmes qui sont mis en cause en mai 2010, suite aux suicides, dans le rapport du cabinet Technologia. (Télécharger le rapport)

Tandis que, chez Atos Origin, Thierry Breton rachète les services informatiques de Siemens, espérant devenir le leader européen.

Dans la division allemande, TOP sera mis en œuvre dès le 1er juillet.

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