dimanche 15 avril 2012

Tu ne prêteras point à ton frère ton argent à intérêt

"Tu ne prêteras point à ton frère ton argent à intérêt."
[Bible, Ancien testament, Lévitique, 25.37]


Durant plus de deux millénaires, de Platon au Pape Léon XIII, en passant par Charlemagne et Saint Louis, les autorités morales des sociétés ont lutté drastiquement contre le prêt à intérêt : l’usure, qui a même valu excommunication au Moyen-âge.

Cette notion existe d’ailleurs toujours dans notre législation contemporaine : il y a une limite au taux d’intérêt exigible.

Outre l’aspect peu moral de gagner de l’argent avec de l’argent, « en dormant » et non par le travail, nos ancêtres avaient également perçu le vice intrinsèque du prêt : c’est un dangereux pari sur l’avenir, car il consiste à dépenser aujourd’hui l’argent que l’on aura normalement demain. Si l’argent est bien là demain, l’opération sera neutre, et il y aura alors simplement moins d’argent disponible pour l’emprunteur. Sinon, les problèmes commencent…

Rappelons bien ce fait comptable : hormis le cas des intérêts, une opération de crédit « normale » est neutre : elle n’enrichit ni n’appauvrit personne. L’emprunteur bénéficie d’une simple avance de trésorerie qu’il doit rembourser à terme ; il fait donc le pari qu’il disposera alors des sommes pour rembourser. S’il n’y arrive pas, l’emprunteur se sera in fine enrichi au détriment du prêteur, par un simple transfert de patrimoine. Ceci explique la frilosité du prêteur, qui étudie attentivement la situation de l’emprunteur et lui demande des garanties.

Or, le « financiarisme » a remplacé aux États-Unis le capitalisme fordien au début des années 1980. Il se caractérise principalement par : la croissance du système financier au détriment de « l’économie réelle », la suppression de la régulation financière, la sur-distribution de revenus aux actionnaires au détriment de l’entreprise, le sous-investissement chronique, la valorisation de la rente et de l’héritage sur le travail, la mise en concurrence internationale des salariés et, plus généralement, le fait de privilégier systématiquement le court terme sur le long terme.

Le dernier point conduit naturellement à la généralisation du PIG : le Principe d’Imprudence Généralisé, n’importe quel risque se devant d’être pris pourvu qu’il soit censé ramener quelques euros. On comprend ainsi parfaitement la perversion du système actuel quand on comprend le critère de pilotage réel : le court-terme, c’est le mois ; le moyen-terme, le trimestre ; le long terme, un an ; au-delà, les risques ne sont plus véritablement gérés – d’où la folie des subprimes.

Autre conséquence du PIG : l’endettement sans limite. Du secteur privé d’abord, puisque le financiarisme a eu pour conséquence de comprimer les revenus d’une vaste majorité de la population. Le consommateur, moteur de nos systèmes économiques, a donc été obligé de s’endetter pour consommer – piège absolu du crédit. S’en est suivi une importante hausse de l’endettement du secteur privé dans tous les pays occidentaux.

La dette privée a finalement continué son travail de sape, et a fini par provoquer en 2008 le naufrage du secteur bancaire. Logiquement, les États sont intervenus, mais ils ont oublié ce principe de base du secourisme : « La priorité du sauveteur est de se protéger. » : des pertes abyssales ont ainsi quitté des bilans bancaires hypertrophiés pour finalement s’accumuler dans les bilans des États via la dette publique.

Le problème est que les États sont surendettés, et ne pourront jamais rembourser leur dette. Jusqu’ici, ils l’ont simplement fait « rouler », c’est à dire qu’ils ont emprunté pour rembourser la dette échue, augmentant en permanence l’encours. De nombreux signes font actuellement craindre la fin prochaine de cette gigantesque cavalerie.

Si une politique de rigueur peut résoudre une telle situation, elle se doit d’être entreprise en 1990 ; il est probablement trop tard en 2011, la dette étant désormais non maitrisable.

Illustrons par quelques ordres de grandeur :

• dette publique = 50 % du patrimoine financier des ménages = 110 000 € pour chaque foyer fiscal imposable ;

• budget 2011 : 200 Md€ de recettes, près de 300 Md€ de dépenses ;

• intérêts de la dette = 25 % des recettes de l’Etat ;

• (intérêts de la dette + amortissement de la dette) = 300 % des recettes nettes de l’Etat (pour mémoire, un banquier exige que ce chiffre soit inférieur à 30 %) ;

• montants à emprunter par l’État en 2012 : environ 600 Md€.

L’honnêteté intellectuelle imposerait de reconnaitre l’impasse et de restructurer la dette, comme nous l’avons fait pour plusieurs pays africains par le passé – dont les situations étaient nettement moins dégradées. Un complexe de supériorité semble empêcher une telle conclusion, alimenté par la complicité des agences de notation qui continuent d’attribuer des notes AAA à des finances valant à peine un B… Seule l’agence chinoise Dagong note plus correctement nos pays. Trafiquer le thermomètre pour masquer la fièvre est une très mauvaise option pour une guérison.

Tous les États occidentaux sont dans cette situation déplorable – et sans issue. Le système ne tient plus que par un reste de confiance, mais qui n’a aucune justification réelle. Comme le disait Jacques Rueff : « Ce qui doit arriver arrive »…

Plus que la hausse des taux, le seul risque réel est la fuite des prêteurs, car, comme La Palisse aurait pu le dire : « Tant qu’on vous prêtera de l’argent, vous ne serez jamais en faillite »… Dans cette hypothèse, il ne restera plus qu’à choisir entre payer les fonctionnaires ou les créanciers…

Nous retrouverons alors une règle confirmée par des siècles d’Histoire : « Moyennant suffisamment de temps, tout État finit par faire défaut ». Depuis 1975, en 35 ans, 70 États ont fait défaut sur la Planète – 2 tous les ans en moyenne. La France fait défaut environ 2 fois par siècle – le dernier date de 1943, par hyperinflation… Le défaut d’un État est en fait la règle, le remboursement l’exception.

Rappelons qu’un défaut public entraîne simplement une réaffectation des patrimoines au bénéfice des plus pauvres. C’est évidemment une très mauvaise solution, mais c’est souvent la seule disponible, comme dans toute faillite… L’État étant par ailleurs la puissance émettrice de l’impôt, un tel défaut s’analyse en une forme de taxe sur le capital accumulé ou de perception des impôts non appelés par le passé – car « un euro de dette publique en plus aujourd’hui, c’est un euro d’impôt en plus demain », et nous sommes demain…

Les rentiers ont perçu des intérêts couvrant un risque de défaut, il est logique qu’ils perdent une partie de leur investissement quand le risque se réalise – c’est la règle du jeu capitaliste. Rappelons que 70 % de la dette publique est in fine détenue par environ 10 % de la population. 90 % des ménages ne sont donc pas impactés par un défaut partiel, alors qu’ils le sont par de vaines tentatives de remboursement, entrainant récession, misère, instabilité sociale et… plus de déficit encore, comme on le voit en Grèce. Ainsi, quand on parle de « SO-LI-DA-RI-TÉ avec la Grèce », il faut entendre « Solidarité avec les Banques et les Rentiers », les Grecs utilisant l’argent déversé pour les rembourser…

Pour éviter ce qui n’est que finalement la fin inéluctable d’un mécanisme fou de cavalerie financière, tout semble devoir être tenté.

On avance même étrangement l’idée de « fédéralisme », alors que 17 États insolvables fédérés font seulement un énorme État insolvable.

Enfin, l’idée d’imprimer l’argent pour rembourser est fréquemment mise en avant. Or, ce n’est pas le rôle de la BCE de se transformer en faux-monnayeur pour empêcher des investisseurs obligataires privés d’encaisser leurs pertes. Le retour de l’inflation induite vu les montants en jeu ruinerait d’ailleurs probablement les États et les salariés en plus des créanciers – nous ne sommes plus en 1978….

Le financiarisme a réussi à endommager très gravement le système bancaire, puis les finances publiques. Il est encore temps de lutter pour qu’il épargne au moins la monnaie, notre bien commun, base du pacte social…

Au final, une fois que toutes les pertes qui virevoltent entre bilans de personnes morales (banques, États…) seront redescendues au niveau des personnes physiques, on peut dire que la phase aigüe de la Crise sera terminée.

Nous pourrons alors rebondir en rebâtissant un nouveau modèle d’économie sociale de marché, basée sur des principes sains : nouveau système monétaire international avec une monnaie mondiale commune (mais non unique), interdiction de la spéculation à outrance et des paris financiers, régulation du crédit du secteur privé, orientation des investissements vers les besoins de l’économie réelle, récompense du travail et du mérite, interdiction des déficits publics hors récession par une règle d’or budgétaire, récompense de l’éthique et de la morale.

Bref, un système équilibré entre le « Tout Égalité » qui a sombré en 1989, et le « Tout Liberté », que nous essayons désespérément de renflouer, en pure perte comme nous allons le voir…

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