Les managers du groupe de com’ ont demandé aux salariés de signer des messages de soutien au PDG, qui va toucher 16 millions d’euros de prime.
Marc (son prénom a été modifié) travaille chez Publicis. Mercredi 28 mars, en fin de journée, il assiste à un drôle de ballet dans l’open space :
« Les directeurs appellent les équipes dans leurs bureaux. Comme tout est vitré, tout le monde assiste au manège en se demandant ce qu’il se passe. Les premiers sortis nous expliquent. Les directeurs leur demandent de signer une pétition pour soutenir Maurice Levy et justifier sa rémunération. »
Nous sommes au surlendemain de la révélation, par La Tribune du bonus de 16 millions d’euros, promis par Publicis à son président du directoire.
« Une chasse aux salariés »
Comme nous l’ont affirmé plusieurs sources, de nombreux salariés sont alors sollicités pour participer à l’opération décrite par Marc. Il poursuit :
« La journée touche à sa fin et une chasse aux salariés qui n’ont pas signé s’engage. Tout le monde est convoqué dans les bureaux, par groupe client, deux par deux, ou individuellement. »
Marc, à son tour, est appelé avec un collègue dans le bureau de son directeur :
« Qu’avons-nous à voir là dedans ? Sommes-nous obligés de signer ? Pourquoi cette pétition ? Notre boss répond par un grand discours sur le fait que Publicis en est là grâce à “Maurice”, que ce n’est pas un profiteur mais un vrai entrepreneur, que sa rémunération n’est que justice, que la polémique actuelle n’a pas lieu d’être. Et qu’il faut signer pour faire corps. Tout en répétant que la signature n’est pas obligatoire. »
Démenti de Publicis
Arthur Sadoun, qui dirige Publicis France et Publicis Conseil, dément l’existence d’une « pétition » :
« Suite aux articles du début de la semaine, nous avons eu énormément de questions de nos collaborateurs.
Chez Publicis Conseil, nous avons rencontré le CE et le Comex [comité exécutif, ndlr], et nous avons été hyper pugnaces pour expliquer le montant, le système de rémunération et le fait qu’il s’agit d’un bonus différé.
De leur côté, les managers des différentes entités ont très clairement donné une version objective des faits. Ils ont expliqué le contexte aux équipes. Mais personne n’a forcé qui que ce soit à signer quoi que ce soit. »
« Un mouvement de sympathie spontané »
Arthur Sadoun témoigne en revanche d’« un mouvement de sympathie spontané et assez profond » :
« Maurice Lévy a reçu des e-mails de soutien de l’interne et des CE. Des initiatives individuelles ou collectives. Un manager a très bien pu dire qu’il écrivait un e-mail de soutien et demander si quelqu’un voulait s’y associer. Mais rien d’organisé. »
Questionné sur le nombre de messages de soutien reçus par Maurice Lévy, Arthur Sadoun ne souhaite pourtant pas répondre :
« Nous ne voulons pas faire d’exploitation publique sur le soutien apporté à Maurice Lévy. On pourrait publier un communiqué de presse disant que X salariés soutiennent le président du directoire, mais ce n’est pas notre rôle. »
« Pour dire que Maurice est super »
Pourtant, lundi, la CGT Info-Com’ fait état de plusieurs plaintes :
« Nous avons écho de pressions sur certains salariés afin qu’ils signent une “pétition” ou un texte de soutien au PDG et son bonus. Une curieuse démarche pour tenter de justifier l’injustifiable, alors que les salariés ne bénéficient plus d’augmentation collective depuis plusieurs années. »
Trois délégués syndicaux, de trois agences différentes de Publicis – Marcel, Publicis Conseil et Publicis Consultant – racontent que des collègues sont venus leur raconter avoir été sollicités pour signer un message de soutien.
Ce que confirme un autre salarié, sous couvert d’anonymat. Un collègue est venu lui demander, « l’air de rien » :
« Sinon, y a une pétition qui va circuler, ça te dirait pas de la signer ? C’est pour dire que Maurice est super. »
« Une ambiance malsaine »
Il a refusé d’apposer son paraphe. Tandis que Marc, lui, n’a pas osé dire non :
« Pendant que mon boss m’expliquait à quel point la rémunération de Maurice Lévy était justifiée, je sentais le regard des autres, à travers la vitre. Je n’ai jamais ressenti un tel malaise ici. Et là, le collègue qui est avec moi décide de signer sans rien dire et s’en va aussitôt. J’ai fait de même, à contrecœur, par peur d’être fiché. »
Une réaction qu’il regrette vite :
« En ressortant du bureau, je me suis senti mal, mais vraiment mal. J’ai refait la scène dix fois dans ma tête, mais ça ne changeait rien. Dans les couloirs, on ne discutait que de ça. Il y avait ceux qui avaient signé, ceux qui avaient refusé tout net, d’autres qui défendaient la démarche, mais très peu. Plus on en parlait entre nous, plus on prenait la mesure de ce truc dingue qu’on aurait dû tous refuser de signer.
Mais on voyait aussi passer dans les bureaux des dénonciateurs qui désignaient au boss ceux qui n’étaient pas passés dans son bureau : “Lui n’a pas signé ! Elle non plus !” L’ambiance est devenue malsaine ce jour-là. Ça a été tellement vite. »
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