dimanche 15 avril 2012

En pleine campagne, un nouvel instrument pour spéculer contre la France

Les plus alarmistes qualifient d’« attentat financier » ce nouveau contrat, lancé en pleine campagne. Fantasme ou réelle menace ?


Des manifestants du Parti de gauche manifestent devant Standard & Poor’s à Paris, le 15 janvier 2011 (Mal Langsdon/Reuters)

Il s’appelle « FOAT ». Il arrive. Le 16 avril, juste avant le premier tour. Que va-t-il se passer ?

Les plus alarmistes parlent d’un « attentat financier ». Mercredi, le candidat du Front de Gauche Jean-Luc Mélenchon a dénoncé « un nouveau coup de force de la finance contre notre pays » ; la veille, un autre candidat, Jacques Cheminade mettait en garde contre une « offensive qui se prépare dans le monde » contre la France.

De quoi s’inquiètent-ils tout d’un coup ? Du lancement, sur l’Eurex (l’un des plus gros marchés de dérivés), d’un nouveau contrat à terme sur les emprunts d’Etat français. Annoncé le 21 mars, ce contrat verra le jour le 16 avril et permettra d’acheter ou de vendre des obligations assimilables au Trésor (OAT) de la France à un prix fixé à l’avance pour un réglement effectif à une date ultérieure. Code Eurex de ce contrat : FOAT.

Déstabiliser le prochain Président

Jacques Cheminade considère que l’arrivée d’un tel instrument à la veille de l’élection présidentielle n’est pas un hasard : il va permettre de spéculer avec « un effet de levier de vingt fois » (« vous pouvez faire vingt fois votre mise ») et risque de déstabiliser le prochain Président.

Mélenchon lance un appel au favori du deuxième tour :

« J’invite François Hollande à prendre conscience du danger qui menace et à rejoindre ma stratégie de combat. Je préviens que si je suis élu, ces contrats seront interdits comme toutes les ventes à découvert et les CDS non-adossés. »

De quoi s’agit-il ? D’un fantasme politico-médiatique ou d’une réelle menace ?

Une exigence des traders

Les contrats sur la dette publique ne constituent pas en eux-mêmes une nouveauté. Dans les années 90, ils étaient traités sur le Matif, le marché à terme des instruments financiers.

L’euro est arrivé, le Matif a disparu. Avec lui, les instruments dérivés sur la dette française, rappelle Gunther Capelle-Blancard, professeur d’économie financière à Paris-I :

« Les instruments dérivés sur la dette allemande ont continué, eux, à pouvoir être utilisés. Durant les années 2000, il a donc été possible de spéculer sur la dette française en prenant des contrats sur la dette allemande. Car les deux dettes évoluaient de manière similaire. »

Mais, aujourd’hui, les écarts se sont tellement creusés entre les taux d’intérêt des deux pays qu’il est devenu difficile de passer par la dette allemande. Les traders ont réclamé un nouvel instrument pour tenir compte de ce divorce franco-allemand et l’ont obtenu.

Spéculer sur la dette par d’autres moyens

Avant l’apparition de ce produit (dont on peut admirer les caractéristiques techniques) il n’y avait que deux façons de spéculer sur la dette française :

Ce qui permet à Gunther Capelle-Blancard d’estimer que la création d’un contrat à terme sur la dette « ne constitue qu’une nouvelle modalité pour prendre position sur la dette française ou pour spéculer sur elle. »

Pour Marc Fiorentino, responsable d’une société de Bourse Euroland Finance, acheter des CDS ou vendre à découvert des emprunts d’Etat étaient des méthodes reservées aux grosses institutions ou aux gros fonds spéculatifs : la nouveauté du nouveau produit, selon lui, c’est qu’il sera accessible à tout le monde, très facilement. Chacun, depuis son ordinateur, pourra spéculer sur la fragilité de l’Etat Français ! « C’est l’arme idéale pour attaquer la France », a-t-il conclu sur BFM-TV.

L’eurodéputé Pascal Canfin (EELV), lui, y voit « une arme supplémentaire, qui confère à la spéculation un cadre légitime ». Car ce qui est nouveau, dit-il, c’est de passer par un marché. Ce qui peut introduire, dans les pratiques, de la transparence et de la règlementation. Le marché permet aux investisseurs de spéculer, mais également de couvrir une partie du risque qu’ils détiennent, de s’assurer sur une perte potentielle.

Plus de transparence ou plus de spéculation ?

D’où la question de Pascal Canfin, qui a négocié au Parlement les lois sur les produits dérivés :

« Passer par un marché va-t-il faire fuir les pires investisseurs, qui étaient protégés par l’opacité du gré à gré ? Personne ne peut le prédire. »

L’ancien journaliste économique se montre néanmoins pessimiste compte tenu de la situation financière actuelle :

« En période de non-stress, la création d’un tel contrat sur un marché permet de se couvrir, d’investir. C’est plutôt sain. Mais en période de crise, cela donne la possibilité à de nouveaux acteurs de parier, de spéculer. »

Addendum 13/04/2012 : Interrogé par « Les Echos », Jean-Pierre Jouyet, président de l’Autorité des Marchés Financiers, a regretté un timing malheureux :

« Eurex ne donne pas un signal convenable au marché. Le moment est inopportun, compte tenu de l’élection présidentielle en France, et des tensions sur les taux espagnols constatés en début de semaine. (...) C’est un message négatif et quelque soit le résultat des urnes ».

Ceci dit, selon lui :

« c’est un produit assez banalisé qui a toujours existé et qui existe sur la dette américaine ou allemande. C’est un produit qui permet de moins jouer sur les CDS des dettes souveraines. Il apporte aussi de la liquidité. Il est transparent et mieux contrôlé que les CDS, par exemple »

Enfin, il dément avoir donné son aval à un tel produit :

« Eurex est une société allemande privée. Interdire ce produit n’est ni de notre ressort, ni de celui des autorités de régulation européenne. Nous n’avons pas les moyens de nous y opposer, ni de dire quoi que ce soit ».

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