Rien à changé depuis un siècle ?
« Vous vous adapterez » ils me disaient. Te voilà bien, maintenant, avec leur « vous vous adapterez ». Et si l’on m’amène une hernie? Expliquez- moi donc comment je m’adapterai? Et surtout, comment se sentira-t-il entre mes mains, le malade, avec sa hernie? Il s’adaptera dans l’autre monde (un frisson me passa le long de la colonne vertébrale)... Au crépuscule, j’allai, plein de tristesse, faire un tour dans mon cabinet. En approchant de la lampe, j’aperçus son reflet lumineux dans la fenêtre et ma face blême apparut à ses côtés dans les ténèbres infinies des champs »
C’est ainsi que Mikhaïl Boulgakov débute ses «Récits d’un jeune médecin» au début du 20ème siècle dans la Russie de la première guerre mondiale. Il y décrit, tout ce qui fait qu’un médecin puisse se sentir stressé face à un patient : inexpérience, peur de mal faire, peur d’être jugé par ses pairs, la fatigue des nuits de travail, la surcharge de patients. C’est avec ce livre que je partis faire mes premiers remplacements de médecin généraliste à la campagne et que je pus me rendre compte que finalement peu de choses avaient changé. C’était rassurant: après tout, s’il avait survécu, pourquoi pas moi. Au début de mes études de médecine, j’avais lu avec effroi un numéro de la revue «Autrement » sur les médecins que je trouvais d’un pessimisme incroyable. Je découvrais, pour la première fois, le mot « burn out »... et ce n’était pas encourageant. Quinze ans plus tard je me suis replongée dans le sujet.
Le médecin généraliste : un candidat au burn out ?
La médecine générale présente des particularités qui peuvent la distinguer des autres spécialités, en termes de risque de développer un burn out : exercice principalement libéral avec contraintes de gestion, de rentabilité, de comptabilité, de secrétariat, situation en première ligne, accueil tout-venant, peu d’outils d’aide au diagnostic, solitude, et depuis la réforme du médecin traitant, place centrale au sein du réseau médical.
Il n’est ainsi pas étonnant que les médecins généralistes soient nombreux à avoir été touchés par l’épuisement professionnel puisque le nombre de consultations ne cessent de croître ainsi que la charge de travail administrative. La profession de médecin généraliste ne serait plus guère attrayante, comme le rapportent quelques chiffres lus dans la septième édition de l’Atlas national de la démographie médicale, à partir des chiffres du tableau de l’Ordre du 1er janvier 2013. La part des médecins qui choisissent l’exercice libéral reste très modeste : 9,8% des jeunes inscrits à l’ordre en 2007.
Différentes études montrent que 40 à 50% des médecins généralistes se sentent menacés de burn out. Les six causes les plus citées sont d’ordre professionnel : excès de paperasserie, non reconnaissance de l’action du médecin, charge de travail, augmentation des contraintes collectives, longueur des journées, exigences des patients.
Les principaux résultats d’un questionnaire
J’ai proposé à des médecins généralistes installés à Paris de répondre à un questionnaire sur le stress de la profession. Ils font partie d’un groupe d’échanges de pratiques et de supervision auquel je participe qui se réuni 2 fois par mois dans le service de médecine interne du Pr Cabane à l’Hôpital Saint Antoine. Vingt médecins, 12 femmes et 8 hommes ont participé.
Les principales sources de stress retrouvées sont :
1 le manque de temps à consacrer au patient au cours de sa consultation 2 la charge administrative responsable d’une lassitude et d’un épuisement important 3 l’isolement avec une vraie volonté de travail de groupe et d’association 4 la communication avec les confrères spécialistes et les difficultés pour obtenir les rendez vous ou les dossiers des patients 5 la difficulté pour adresser le patient en urgence 6 l’avenir avec la raréfaction des médecins et l'afflux de patients 7 la peur de ne pas être bien couverts en cas de retraite, ou de maladie.
10 suggestions pour prévenir le burn out du médecin
1 favoriser l’installation en cabinet de groupe, en aidant la création de maisons médicales, même en milieu urbain 2 remettre au patient son compte rendu médical à la sortie, comme aux urgences 3 instaurer un numéro d’appel à l’hôpital dédié aux généralistes (mis en place à l’APHP, mais hélas supprimé depuis un an) 4 généraliser le dossier médical partagé et les échanges informatiques sécurisés 5 partager le rôle de prévention avec les centres de soins 6 soutenir le médecin dans la prise en charge des pathologies lourdes 7 sensibiliser les médecins généralistes au risque de burn out par des campagnes d’information 8 augmenter la protection sociale des médecins libéraux en cas de maladie, le délai de carence est de trois mois actuellement 9 inscrire la gestion du stress et la prévention du burn out dans la formation 10 mettre en place un dispositif de prise en charge spécifique du burn out du médecin.
Conclusion : au bord du burn out mais content quand même d’exercer
De manière générale les médecins interrogés gardent du plaisir à exercer leur métier, mais citent tout de même un grand nombre de facteurs de stress quotidiens.Les stress inhérents aux taches médicales semblent bien acceptés finalement. En revanche, les médecins se sentent moins bine formées sur l’organisation de leur travail. Il faut proposer des solutions pour garder motivés ceux qui exercent et inciter les étudiants à devenir généralistes. Il est utile de former à l’organisation des cabinets mais aussi de sensibiliser les médecins à une approche à la gestion du stress, qu’ils pourraient transmettre à leurs patients et aussi appliquer à eux-mêmes.
1 BOULGAKOV M. Récits d’un jeune médecin. Le Livre de Poche. Nouv ed 1996. 2 CATHERAS P et al.Burn out among French general practitioners. La Presse médicale 2004 ; 33 : 1569-74. 3 DAGRADA H et al. Le burn-out du médecin généraliste: hypothèses étiologiques. Revue médicale de Bruxelles 2011;32,407-12. 4 DUSMENIL H et al. Professional burn-out of general practitioners in urban areas: prevalence and determinants Santé publique 2009, 21:355-64. 5 SOLER JK et al. Burnout in European family doctors: the EGPRN study. Family Practice 2008; 25 : 245-65
Evelyne MONNERIE, médecin généraliste à Paris. Elle a réalisé ce travail dans le cadre du Diplôme d’Université Gestion du stress et de l’anxiété de la Faculté de médecine et de l’Université Lille 2 sous la direction du docteur Dominique Servant. L’auteure remercie le Pr Cabane pour son soutien à l’ACOMVHI (Association pour la Communication Ville-Hôpital), les collègues du groupe et mon associée Le Docteur Sophie Le Pape qui me permet au quotidien d’exercer avec plaisir mon métier.
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