LE CERCLE. Les commentaires sceptiques et parfois méfiants à propos de la restructuration du capital de Peugeot témoignent d'une méconnaissance profonde des nouvelles règles de la compétition économique mondiale. Les batailles ne se gagnent pas en restant isolées. Conclure une alliance, ce n'est pas un signe de faiblesse, c'est apporter la démonstration que l'on a compris ces nouvelles règles du jeu.
Trouver le bon partenaire et le convaincre d'adhérer à un projet commun, c'est faire la preuve de sa propre crédibilité. Si l'État soutient le projet en investissant 800 millions d'euros, cela montre avant tout qu'il croit au succès de l'opération comme n'importe quel investisseur. Il ne s'agit pas d'une démarche protectrice contre on ne sait quel risque de mainmise étrangère, parfaitement inexistant dans le cas de Dongfeng, on y reviendra, qui a autant besoin de Peugeot pour alimenter en modèles ses chaines de montage en Chine que Peugeot a besoin de lui pour les fabriquer et les vendre sur ce qui est devenu et de très loin le premier marché automobile mondial.Ce qui est en question, c'est de s'assurer que Peugeot tire les leçons de ses échecs et qu'un actionnaire minoritaire n'impose plus ses vues dépassées et ses intérêts à court terme à l'entreprise au point de la conduire au bord de la faillite. Car si l'État a dû intervenir, c'est bien pour pallier une défaillance et pour écarter ceux qui, au lieu d'assurer l'avenir de l'entreprise, ont préféré protéger leurs fauteuils. L'État sera donc le garant du rebond de l'entreprise, une fois débarrassée de ses querelles de gouvernance, rebond rendu crédible par la qualité de son personnel et de ses produits, et la renommée de ses marques, qui lui ont permis de ne pas sombrer malgré les multiples erreurs de ses directions successives.
Le parallèle avec Volkswgen est à cet égard riche d'enseignements. Les deux entreprises ont en commun d'être européennes, de disposer de plusieurs marques et d'être des constructeurs généralistes. Et, à la fin des années 70, elles "boxent" dans la même catégorie. Cela ne durera pas, car les stratégies des deux groupes vont diverger, pour le meilleur, pour Volkswagen et pour le pire, pour Peugeot. Aujourd'hui, Peugeot a une capitalisation de 4 milliards et Volkswagen de 70 milliards.
D'abord, Peugeot se lance dans la désastreuse acquisition des filiales de Chrysler en Europe et tente de relancer la marque Talbot. Le groupe frôle une première fois la faillite et ne doit sa survie qu'à l'intervention discrète de l'État auprès des banques, qui sont alors publiques, et aux augmentations de capital que celles-ci exigent pour réduire l'influence déjà néfaste de l'actionnaire familial.
Celui-ci n'aura d'ailleurs de cesse de tenter de retrouver un niveau de participation plus élevé, en puisant, par des programmes de rachats d'action, dans les ressources de l'entreprise, lesquelles auraient évidemment été mieux employées à la désendetter et à investir. Pendant ce temps là, le concurrent allemand restructure son outil de production en profitant des bas coûts salariaux dans les pays voisins de l'Europe de l'Est, mais il maintient les unités d'assemblage en Allemagne tout en optimisant ses approvisionnements.
En même temps, plutôt que de conserver deux marques qui se font concurrence comme Peugeot avec Citroën, voire trois avec Talbot, Volkswagen va transformer Audi en marque "premium" avec le succès que l'on sait. La troisième différence, c'est bien sûr la Chine, ce qui nous ramène à l'actualité. Les deux entreprises y sont présentes dès le début des années 80.
Peugeot s'est implanté à Canton alors que son concurrent allemand a choisi Shanghai. Les débuts sont difficiles, le partenaire de Peugeot est mal vu à Pékin et Volkswagen ne vend pas beaucoup. Mais le groupe allemand ne se décourage pas, à la différence de Peugeot qui, malgré un changement de partenaire et un premier accord avec Dongfeng, se désintéresse peu à peu de ce marché.
En 1996, VW, sous ses différentes marques a produit et vendu 250 000 véhicules et Peugeot, à peine 15 000. Mais le pire est à venir, car les dirigeants de Peugeot n'ont toujours pas compris le formidable essor qui se prépare là-bas, alors que tous les constructeurs de taille mondiale, à l'exception de Renault, nouent des partenariats avec les industriels chinois, GM, comme VW, avec SAIC, Mazda et Toyota avec First Auto Works et Nissan, Honda et Hyundai avec Dongfeng.
En 2008, les immatriculations atteignent 6 millions d'unités, soit dix fois plus qu'en 1995. En 2013, elles ont frôlé les 18 millions, faisant de la Chine le premier marché mondial de très loin. Peugeot se rendra compte de son erreur, mais bien tard, et, en 2010, sous l'impulsion de Philippe Varin, étendra ses accords avec Dongfeng et lancera la construction de deux nouvelles usines d'assemblage, à Wuhan, la capitale de l'industrie automobile chinoise et le siège historique de son partenaire, et à Shenzhen.
Ayant enfin compris, grâce au succès d'Audi, qu'il existait un marché "haut de gamme" dans l'automobile, Peugeot décide même d'implanter des lignes de production de la gamme DS, spécialement dédiée au marché chinois. Sa production totale atteindra en 2013, 500 000 véhicules, c'est bien, mais c'est peu, si l'on sait que les différentes marques de Volkswagen se seront vendues au total à plus de trois millions d'exemplaires cette année-là.
Les commentaires frileux sur le partenariat avec Dongfeng traduisent aussi une ignorance de la situation qui prévaut en Chine dans ce secteur. Le développement de l'automobile s'est fait à partir des marques étrangères qui représentent 75 % du marché. Les industriels chinois ont un profil qui s'apparente à de la sous-traitance : ils exploitent des usines dessinées par leur partenaire où sont fabriqués des modèles que ceux-ci ont conçu et développé et qu'ils produisent déjà en Europe, au Japon ou aux États-Unis.
Ce schéma ne risque pas de changer, car il correspond à l'attente de leurs clients. L'idée, largement partagée en France, suivant laquelle ce type de partenariat serait dangereux, car il ouvrirait la voie à des concurrents qui auraient comme objectif de s'en affranchir après avoir dérobé les "secrets de fabrication", relève d'un vieux phantasme protectionnisme bien gaulois, mais auquel nos concurrents n'accordent aucun crédit.
L'intérêt – flatteur – de Dongfeng pour Peugeot a aussi une raison politique, qui a été peu mis en avant, mais qui est important : la tension avec le Japon a déjà des répercussions sur les choix des consommateurs chinois. Or la plus grosse partie de l'activité de Dongfeng est réalisée avec Nissan et Honda. Il était donc dans son intérêt de rééquilibrer son portefeuille de marques. D'où aussi le rapprochement subit avec Renault...
L'accord qui vient d'être signé ne consacre donc pas un "ménage à trois" ingouvernable et instable parce que réunissant des intérêts divergents. Il a été rendu nécessaire par l'obstination d'un actionnaire qui refusait de reconnaître ses échecs. Pour neutraliser son influence et redonner à Peugeot les ressources nécessaires à son rebond, il fallait une recomposition du capital.
Telle est la justification du volet financier de l'accord. Et que Dongfeng y participe est un gage crédible de l'attachement du partenaire à leur réussite commune. Quant au volet industriel, il tombe sous le sens : aucun constructeur automobile ne peut prétendre détenir une position mondiale sans une présence significative en Chine. Renault ne va pas tarder à s'en apercevoir. Les volumes réalisés là-bas, outre la rentabilité qu'ils dégagent, permettent d'amortir les frais fixes de plus en plus importants engagés pour la conception des nouveaux modèles et l'amélioration de leurs performances.
Dans cette affaire, l'État en contribuant à la recomposition du capital, n'a pas seulement apporté des ressources à l'entreprise. Il a permis l'installation d'une nouvelle équipe de direction qui aura la confiance des actionnaires et qui pourra mettre en oeuvre la bonne stratégie permettant à l'entreprise de rebondir, ce qui constituera la meilleure des garanties pour l'emploi. En agissant ainsi, l'État s'est comporté en véritable État stratège.
Ancien conseiller à la Présidence de la République, Président d'AB 2000, www.ab-2000.com
Membre depuis le 20 septembre 2010
Conseiller en charge des affaires industrielles, du logement et des transports (1981-1988)
Directeur de cabinet puis conseiller du ministre de l'économie et des finances (1988-1991)
Directeur général adjoint de Framatome (1991-1993)
Président d'AB 2000 depuis 1994
Dernier livre publié: le nouvel Etat-Stratège, paru le 6 février 2014 aux Editions de l'Archipel
Directeur de cabinet puis conseiller du ministre de l'économie et des finances (1988-1991)
Directeur général adjoint de Framatome (1991-1993)
Président d'AB 2000 depuis 1994
Dernier livre publié: le nouvel Etat-Stratège, paru le 6 février 2014 aux Editions de l'Archipel
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