Comment évolue et vers quoi évolue le contexte marketing ?
Il faut reconnaître que l’on vit une transformation digitale qui est très importante, dont la donnée est l’un des leviers. Il n’y pas de logique digitale d’un côté, et de logique physique de l’autre. C’est un même monde, et le monde est devenu digital. Malheureusement, je n’ai pas le sentiment que les cadres dirigeants aient une pleine conscience et surtout une pleine volonté de l’assumer. La preuve, dans beaucoup d’entreprises, on a créé un département digital, or c’est par essence transversal puisque ce sujet touche autant la DSI, que le marketing, que le supply-chain etc. Le digital n’est plus seulement le réseau nerveux de l’organisation, ce doit être son système sanguin. La clé est là parce que le digital irrigue tout, tout le monde y a accès.
Les directions générales doivent donner l’impulsion, elles ont un rôle capital parce que ce genre de projets doit être initié au sommet pour engager toute l’organisation. En même temps, il faut aussi que cela concerne le front-office, les gens qui sont au contact des clients parce que si eux n’adoptent pas la logique digitale, le projet capotera. Les agences ont clairement un rôle à jouer, c’est même fondamental qu’elles apportent ces idées et ces innovations.
Une fois cela dit, on sait bien aussi que ceux qui ont gagné le pouvoir dans les organisations, ce sont les financiers. Cela pose des problèmes puisque tant que les entreprises ont comme souci premier de maintenir leur profitabilité tout en étant absolument attentives aux coûts, elles ne peuvent pas être attentives aux transformations de modèles d’affaires et à la conquête des marchés. Raisonner en retour sur investissement sur du court-terme, c’est le meilleur moyen de tout stériliser.
Comment passer à ce monde digital alors ?
Tout est en train d’être écrit, cette transformation est en train de se faire avec des gens qui osent. D’autres sont un peu plus retardataires parce qu’il y a une forme de désarroi. Je pense que la réponse repose dans la « digital literacy », c’est-à-dire le développement de notre capacité à nous acculturer et à nous approprier ces sujets digitaux. En résumé, c’est de l’alphabétisation digitale. Cette digital literacy se montre d’autant plus nécessaire auprès des cadres. Une étude a en effet révélé que globalement, les employés du front office, qui représentent la majorité des consommateurs, sont plus et mieux connectés que les cadres !
Prenez un exemple très simple : l’email. Tout le monde l’utilise mais dans la réalité, nous ne l’exploitons pas de façon optimale, et nous finissons par nous laisser déborder par tous ces mails. Qui par exemple utilise des dossiers et des sous-dossiers ? Qui utilise des filtres pour pouvoir automatiquement dériver les messages qui viennent de sources identifiées ? La même question peut aussi être posée sur les bases de données : est-ce que les bases sont bien utilisées ? Est-ce que j’analyse toutes ces informations pour mieux connaitre et mieux cibler mes clients ? Il ne suffit pas d’avoir de l’or dans ses données, il faut avoir le tamis pour trouver cet or.
Qu’en est-il alors du phénomène Big Data dans cette transformation digitale ?
Le Big Data est une belle invention marketing des fournisseurs de solutions informatiques ! Ce qui importe, c’est la data tout simplement ! Beaucoup de nouvelles problématiques autour de la donnée sont apparues récemment : la volumétrie, le croisement de données, la réutilisation de données, les données ouvertes etc. Pour le marketing, ce qui devient important, c’est de pouvoir délivrer un message de façon instantanée en fonction d’une action que fait le consommateur à un instant T.
L’enjeu au départ, il est forcément technique parce que toutes les entreprises ne sont pas forcément équipées en infrastructure, mais il est aussi surtout d’ordre organisationnel. Quand un réseau de distribution décide par exemple d’équiper l’ensemble de ses vendeurs en tablettes, c’est un choix politique qui implique de la formation parce que ces vendeurs vont être utilisateurs et producteurs de données.
Aujourd’hui, nous ne sommes pas du tout à maturité sur ce sujet. Jusqu’à maintenant, on était dans une approche CRM assez basique. Beaucoup font encore du mass-marketing avec des données individuelles, mais très peu font de la véritable personnalisation de la communication. La vraie personnalisation, c’est offrir au consommateur le bon service au moment où il en a besoin. Adresser un courrier en posant un prénom et un nom, ce n’est pas de la personnalisation, c’est de la personnalisation minimale. La véritable personnalisation, c’est par exemple ce que fait Google qui est capable de proposer des réponses en fonction des historiques de recherche. On passe de la personnalisation de la communication à la personnalisation du service.
Cela signifie qu’il y a encore beaucoup à imaginer sur le sujet du digital et de la donnée ?
Le véritable enjeu, c’est la créativité : qu’est-ce que l’on peut faire avec ces données ? Il faut inventer des services autour de ces données, comme par exemple rendre le client véritablement acteur de ses données. La FING a lancé une initiative récemment qui repose sur le principe que les entreprises restituent aux clients les informations dont elles disposent sur eux. On peut aussi aller très loin dans l’exploitation du digital et de la donnée qui revisitent complètement des secteurs d’activité. Regardez ce qui se passe dans le monde de l’hôtellerie avec Air B&B. Son métier, c’est de mettre en relation des particuliers entre ceux qui veulent offrir un hébergement et ceux qui en cherchent un. Aujourd’hui, cela représente presque 20 millions de réservations par an ! Air B&B offre maintenant plus de lits que le groupe Accor ou le groupe Hilton, pourtant cette entreprise n’a que 4 ans ! On peut aussi citer Booking.com qui tient 40% des parts de marché en Europe et représente environ 200 millions de réservations par an ! Plus de la moitié des réservations du secteur se font maintenant via ces plateformes. Il est évident que si l’hôtellerie traditionnelle ne réfléchit pas à un nouveau modèle, ne repense pas complètement ses bases, elle va se laisser complètement dépasser par ces multiples formes de consommation collaborative. Leur métier n’est plus de louer des chambres mais de mettre en relation et de créer de la confiance.
Le monde de la distribution est lui aussi complètement bousculé par les nouveaux consommateurs. Désormais, quand je veux faire un achat d’un certain montant, je passe d’abord par Google donc je regarde les produits, je regarde les sites des marques et les comparateurs et je commence déjà à me faire une idée de ce que je vais acheter. Cela modifie complètement le parcours client. La vision auparavant était beaucoup plus simple, on se disait que lorsque les gens avaient besoin de quelque chose, ils allaient dans un centre commercial. Aujourd’hui, il y a un découplage entre l’activité de recherche et l’activité d’achat. Pour les distributeurs, c’est un enjeu phénoménal. Ça veut dire que leur présence, elle doit être dès le domicile. Ce qui veut dire qu’un hypermarché ne se résume plus à un bon emplacement, il faut être présent le plus en amont possible dans le parcours du client. Plus globalement, si les acteurs traditionnels ne remettent pas en cause leurs fondamentaux, ils risquent de se faire dépasser par des start-ups plus agiles. Le moteur de ces start-ups, c’est la capacité à offrir à chaque consommateur ce dont il rêve au moment où il en a besoin. On est au-delà du produit, au-delà même du service, on est dans la mise en relation qui amène le bon produit au bon consommateur.
En résumé, il y a aujourd’hui une technologie qui est disponible, elle peut faire plein de choses mais on n’a aucune idée de ce que le marché et la société vont retenir. Ce n’est même pas la peine de se poser la question de savoir où cela va nous emmener donc il faut essayer sans se poser de questions.
A lire aussi :
Interview de Pierre Volle, professeur de marketing & customer management à l’Université Paris-Dauphine
Interview de Christian Barbaray, PDG D’INIT MARKETING
Il faut reconnaître que l’on vit une transformation digitale qui est très importante, dont la donnée est l’un des leviers. Il n’y pas de logique digitale d’un côté, et de logique physique de l’autre. C’est un même monde, et le monde est devenu digital. Malheureusement, je n’ai pas le sentiment que les cadres dirigeants aient une pleine conscience et surtout une pleine volonté de l’assumer. La preuve, dans beaucoup d’entreprises, on a créé un département digital, or c’est par essence transversal puisque ce sujet touche autant la DSI, que le marketing, que le supply-chain etc. Le digital n’est plus seulement le réseau nerveux de l’organisation, ce doit être son système sanguin. La clé est là parce que le digital irrigue tout, tout le monde y a accès.
Les directions générales doivent donner l’impulsion, elles ont un rôle capital parce que ce genre de projets doit être initié au sommet pour engager toute l’organisation. En même temps, il faut aussi que cela concerne le front-office, les gens qui sont au contact des clients parce que si eux n’adoptent pas la logique digitale, le projet capotera. Les agences ont clairement un rôle à jouer, c’est même fondamental qu’elles apportent ces idées et ces innovations.
Une fois cela dit, on sait bien aussi que ceux qui ont gagné le pouvoir dans les organisations, ce sont les financiers. Cela pose des problèmes puisque tant que les entreprises ont comme souci premier de maintenir leur profitabilité tout en étant absolument attentives aux coûts, elles ne peuvent pas être attentives aux transformations de modèles d’affaires et à la conquête des marchés. Raisonner en retour sur investissement sur du court-terme, c’est le meilleur moyen de tout stériliser.
Comment passer à ce monde digital alors ?
Tout est en train d’être écrit, cette transformation est en train de se faire avec des gens qui osent. D’autres sont un peu plus retardataires parce qu’il y a une forme de désarroi. Je pense que la réponse repose dans la « digital literacy », c’est-à-dire le développement de notre capacité à nous acculturer et à nous approprier ces sujets digitaux. En résumé, c’est de l’alphabétisation digitale. Cette digital literacy se montre d’autant plus nécessaire auprès des cadres. Une étude a en effet révélé que globalement, les employés du front office, qui représentent la majorité des consommateurs, sont plus et mieux connectés que les cadres !
Prenez un exemple très simple : l’email. Tout le monde l’utilise mais dans la réalité, nous ne l’exploitons pas de façon optimale, et nous finissons par nous laisser déborder par tous ces mails. Qui par exemple utilise des dossiers et des sous-dossiers ? Qui utilise des filtres pour pouvoir automatiquement dériver les messages qui viennent de sources identifiées ? La même question peut aussi être posée sur les bases de données : est-ce que les bases sont bien utilisées ? Est-ce que j’analyse toutes ces informations pour mieux connaitre et mieux cibler mes clients ? Il ne suffit pas d’avoir de l’or dans ses données, il faut avoir le tamis pour trouver cet or.
Qu’en est-il alors du phénomène Big Data dans cette transformation digitale ?
Le Big Data est une belle invention marketing des fournisseurs de solutions informatiques ! Ce qui importe, c’est la data tout simplement ! Beaucoup de nouvelles problématiques autour de la donnée sont apparues récemment : la volumétrie, le croisement de données, la réutilisation de données, les données ouvertes etc. Pour le marketing, ce qui devient important, c’est de pouvoir délivrer un message de façon instantanée en fonction d’une action que fait le consommateur à un instant T.
L’enjeu au départ, il est forcément technique parce que toutes les entreprises ne sont pas forcément équipées en infrastructure, mais il est aussi surtout d’ordre organisationnel. Quand un réseau de distribution décide par exemple d’équiper l’ensemble de ses vendeurs en tablettes, c’est un choix politique qui implique de la formation parce que ces vendeurs vont être utilisateurs et producteurs de données.
Aujourd’hui, nous ne sommes pas du tout à maturité sur ce sujet. Jusqu’à maintenant, on était dans une approche CRM assez basique. Beaucoup font encore du mass-marketing avec des données individuelles, mais très peu font de la véritable personnalisation de la communication. La vraie personnalisation, c’est offrir au consommateur le bon service au moment où il en a besoin. Adresser un courrier en posant un prénom et un nom, ce n’est pas de la personnalisation, c’est de la personnalisation minimale. La véritable personnalisation, c’est par exemple ce que fait Google qui est capable de proposer des réponses en fonction des historiques de recherche. On passe de la personnalisation de la communication à la personnalisation du service.
Cela signifie qu’il y a encore beaucoup à imaginer sur le sujet du digital et de la donnée ?
Le véritable enjeu, c’est la créativité : qu’est-ce que l’on peut faire avec ces données ? Il faut inventer des services autour de ces données, comme par exemple rendre le client véritablement acteur de ses données. La FING a lancé une initiative récemment qui repose sur le principe que les entreprises restituent aux clients les informations dont elles disposent sur eux. On peut aussi aller très loin dans l’exploitation du digital et de la donnée qui revisitent complètement des secteurs d’activité. Regardez ce qui se passe dans le monde de l’hôtellerie avec Air B&B. Son métier, c’est de mettre en relation des particuliers entre ceux qui veulent offrir un hébergement et ceux qui en cherchent un. Aujourd’hui, cela représente presque 20 millions de réservations par an ! Air B&B offre maintenant plus de lits que le groupe Accor ou le groupe Hilton, pourtant cette entreprise n’a que 4 ans ! On peut aussi citer Booking.com qui tient 40% des parts de marché en Europe et représente environ 200 millions de réservations par an ! Plus de la moitié des réservations du secteur se font maintenant via ces plateformes. Il est évident que si l’hôtellerie traditionnelle ne réfléchit pas à un nouveau modèle, ne repense pas complètement ses bases, elle va se laisser complètement dépasser par ces multiples formes de consommation collaborative. Leur métier n’est plus de louer des chambres mais de mettre en relation et de créer de la confiance.
Le monde de la distribution est lui aussi complètement bousculé par les nouveaux consommateurs. Désormais, quand je veux faire un achat d’un certain montant, je passe d’abord par Google donc je regarde les produits, je regarde les sites des marques et les comparateurs et je commence déjà à me faire une idée de ce que je vais acheter. Cela modifie complètement le parcours client. La vision auparavant était beaucoup plus simple, on se disait que lorsque les gens avaient besoin de quelque chose, ils allaient dans un centre commercial. Aujourd’hui, il y a un découplage entre l’activité de recherche et l’activité d’achat. Pour les distributeurs, c’est un enjeu phénoménal. Ça veut dire que leur présence, elle doit être dès le domicile. Ce qui veut dire qu’un hypermarché ne se résume plus à un bon emplacement, il faut être présent le plus en amont possible dans le parcours du client. Plus globalement, si les acteurs traditionnels ne remettent pas en cause leurs fondamentaux, ils risquent de se faire dépasser par des start-ups plus agiles. Le moteur de ces start-ups, c’est la capacité à offrir à chaque consommateur ce dont il rêve au moment où il en a besoin. On est au-delà du produit, au-delà même du service, on est dans la mise en relation qui amène le bon produit au bon consommateur.
En résumé, il y a aujourd’hui une technologie qui est disponible, elle peut faire plein de choses mais on n’a aucune idée de ce que le marché et la société vont retenir. Ce n’est même pas la peine de se poser la question de savoir où cela va nous emmener donc il faut essayer sans se poser de questions.
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