Michel Foucher vient de
publier l’Atlas de l’influence française au XXIe siècle, aux éditions
Robert Laffont. Fort de son expérience de diplomate et de géographe,
l’auteur cartographie la présence de la France dans divers secteurs
stratégiques et explique en quoi cette présence peut lui conférer de
l’influence.
L’influence (à la)
française ? L’auteur de cet atlas de 180 pages nous indique qu’elle est
l’expression de la grandeur d’un pays lorsqu’ « il produit des idées qui
intéressent les autres ». Lors de la conférence qu’il a donnée le 25
novembre dernier à l’IHEDN, Michel FOUCHER estimait que l’Etat français
a promu des politiques d’influences lors de périodes de crise ou, du
moins, de transition.Les trois piliers de l’influence française au XXIème siècle
Plusieurs éléments fondent l’influence de la France :
- la langue, la pensée, la culture. La langue française est aujourd’hui la 8eme langue parlée dans le monde. On compte au moins 220 millions de locuteurs, auxquels s’ajoutent 116 millions d’apprenants. Le chiffre d’affaire à l’exportation du livre français équivaut à celui du cinéma. Astérix vend son 35eme exemplaire dans 17 pays et en 13 langues, les albums précédents ont été vendus à 350 millions d’exemplaires et traduits en 107 langues. Hachette est numéro 2 mondial de l’édition. La France compte 14 prix Nobel de littérature ; le chinois est devenu en 2012 la première langue de traduction des œuvres françaises.
- Les présences économiques. Remarquons d’emblée que 1500 groupes français ont au moins une filiale hors de France, ce qui représente 5 millions d’emplois. Les trois quarts des firmes du CAC 40 sont des leaders mondiaux : énergie, BTP, luxe, services aux collectivités. Seb est l’exemple même d’une entreprise de taille moyenne qui a très bien su mener son internationalisation en sachant s’adapter à la culture locale. Les Français établis hors de France sont 2,5 millions.
- Notre contribution au système international pour la gestion des crises et la régulation. La France a largement contribué à façonner le système international (le concert européen, les Nations Unies, le droit international, les pratiques diplomatiques). La France est à origine de 23% des résolutions des Nations Unies depuis l’année 2 000, et ne compte pas moins de 10 prix Nobel de la paix.
Oui, la France est une puissance scientifique et technique mondiale : elle est au 6eme rang mondial pour les dépôts de brevets, a été honorée de 13 prix Nobel de physique, de 13 prix Nobel de médecine, dont beaucoup depuis la Vème république (1958), récompensant ainsi les efforts et investissements voulus par les Présidents de Gaulle et Pompidou. N’oublions pas non plus le poids fondamental des industries culturelles. La culture française à l’exportation « pèse » 80 milliards d’euros de chiffre d’affaires et 1,2 millions d’emplois. Le numéro 1 mondial de la musique est français (Universal Music Group), le numéro 3 mondial du jeu vidéo l’est aussi (Ubisoft). Réjouissons-nous enfin du classement de la France au 2e rang des exportateurs de films, seulement devancée par les Etat Unis.
Ces motifs de satisfaction et de fierté ne doivent toutefois pas occulter les obstacles qui paralysent la progression de l’influence française dans le monde.
Les écoles et universités françaises accueillent beaucoup d’étudiants étrangers, très majoritairement issus de nos anciens territoires coloniaux. Rêvons de former des étudiants chinois ou brésiliens, oui, mais reconnaissons qu’à ce jour nous avons surtout des étudiants marocains, ivoiriens, sénégalais, sans oublier les 4 000 médecins vietnamiens formés dans nos facultés de médecine.
Notre géographique commerciale parle d’elle-même : les parts de marchés de la France dans le monde sont d’environ 3,6 %. Or nous sommes au-dessus de notre moyenne dans 40 pays : 28 pays d’Afrique, 12 pays d’Europe. Dans 34 des 36 pays dont la langue officielle ou d’usage est le français, nous sommes bien-placés commercialement. Que faut-il comprendre ? Notre influence commerciale a du mal à sortir de la franco-sphère. La force de notre langue est aussi une faiblesse sur le plan commercial. Il faut donc essayer d’en sortir et d’acquérir des parts de marchés dans les parties du monde qui sont en constante évolution. Aux Etats-Unis par exemple, nous avons 1,7 % de parts de marchés (la moitié seulement de notre moyenne mondiale…), 1,4 % au Canada (malgré le Québec), 0,9 % au Mexique, 2,6 % au Brésil, 1,4 % en Inde, 1,3 % de parts de marchés en Chine quand les Allemands sont à 5, 7 %... Notre meilleure situation est à Singapour où nous sommes à 2,2 %, en Australie 2,1 %.
La France souffre d’un problème de stratégie d’ensemble ancien. Notre géographie commerciale de 2013 ressemble à s’y méprendre à celle de 1913… Trois cercles d’influence commerciale se dessinent de façon décroissante : les pays proches de la France (Belgique, Italie, Suisse, Allemagne, Royaume Uni, Espagne, Pays Bas), puis nos anciennes colonies (50 % de parts de marchés au Bénin ; Cote d’Ivoire et Algérie à plus de 10 %) ; enfin, le reste du monde. Nos entreprises de taille moyenne ne pourront progresser qu’en allant explorer d’autres cercles, là où se trouve la croissance, où réside un fort besoin de produits de consommation, dans les pays que l’on pourrait appeler des pays de classes moyennes. Il importe d’encourager la diplomatie économique, de développer nos stratégies d’attractivité, par exemple en direction des fonds souverains norvégiens ou singapouriens.
La France a tout intérêt à développer son soft power. L’auteur de l’atlas démontre qu’elle n’a pas de problème de présence et d’influence, mais plutôt un problème d’image. Les Français, leurs entreprises, les organes de presse ne sont pas suffisamment prescripteurs. A cet égard, c’est un intellectuel taïwanais qui a rédigé un article vantant le soft power à la française. Il expliquait que la Tour Eiffel était le symbole même du soft power : un monument pionnier en terme d’audace architecturale et de matériaux employés, le monument le plus visité de France, enfin le support réunissant à son sommet un système de télécommunication français extrêmement sophistiqué.
Des organes de presse puissants comme The Economist, le Financial Times, la BBC osent prodiguer des conseils aux dirigeants étrangers. Pourquoi France 24, RFI, TV5, ne porteraient-ils pas davantage la voix de la France ? Pourquoi ne pas imaginer une édition en langue anglaise du journal Le Monde ? Là nous serions prescripteurs. A Pékin, on dénombre au moins 20 fondations allemandes (partis politiques, syndicats, entreprises) ; il manque aussi des think-tanks français pour compter dans les débats d’idées et être des outils d’influence. De même, la France est plutôt bien placée dans les classements internationaux (universités, arts), mais elle n’est jamais à l’origine de leur élaboration… Nous ne maitrisons pas suffisamment notre image extérieure. A l’instar de l’expert taïwanais et de la Tour Eiffel, ça n’est pas nous qui parlons le mieux de nous.
Eclairer, exercer une influence, c’est choisir de précéder et non de suivre, cultiver le débat public d’idées. La France ne doit pas cesser de penser les questions qui intéressent la communauté mondiale, de produire des idées qui intéressent les autres. C’est ce pouvoir d’émission dont la combinaison avec l’attraction produit de l’influence.
Pierre VINCENT
Pour aller plus loin sur le thème de l'influence:
- Qu'est-ce-que l'influence? Lexique.
- "L'influence précède l'action", entretien avec Thierry Vautrin, Chef de secteur au SGAE.
- La philanthropie aux Etats-Unis, un puissant réseau d'influence.
- La réglementation sanitaire russe, un instrument d'influence.
Catégorie : Géoéconomie
Dernière modification le 30/12/13
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire
Remarque : Seul un membre de ce blog est autorisé à enregistrer un commentaire.