Pourquoi tant de passion autour du 1er Mai ? Nous avons
posé la question à Danielle Tartakowsky, historienne, l’auteure d’une
histoire de cette journée particulière, « La Part du rêve » (éd.
Hachette).
Rue89 : Tout le monde s’arrache le 1er Mai. Pourquoi cette fête a-t-elle une telle force symbolique en France ?
Danielle Tartakowsky : D’abord, est-ce une
« fête » ? Le mot fait question, certains préférant parler de « journée
de lutte ». Depuis 1890, lorsque la journée du 1er Mai a pour
la première fois été organisée dans plusieurs pays industrialisés, on a
remis en cause le mot « fête ». A l’époque, les militants du mouvement
anarchiste, notamment, expliquaient que ce ne pourrait être une fête
qu’après la victoire des travailleurs.
Ce qui a fait la force du 1er Mai, c’est peut-être
justement qu’il est international. Il faut comprendre qu’en 1890, la
mise en œuvre d’une journée internationale était une prouesse, compte
tenu des moyens de circulation de l’information de l’époque.
Par ailleurs, dès le départ, cette journée du renouveau a été
empreinte d’une dimension sacrée, complètement assumée. On n’hésitait
pas à puiser dans le vocabulaire religieux pour en parler.
Les Italiens parlaient même de « pâque des ouvriers », Paul Lafargue
évoquait le « caractère presque mystique » que conférait
l’internationalisme au 1er Mai... Mais le baptême, l’offrande, la résurrection sont également invoqués, quand ce n’est pas Lazare ou le Christ...
Pourquoi a-t-on choisi cette date du 1er Mai ?
L’exposition universelle de 1889 à Paris avait été accompagnée de
nombreux congrès internationaux, dont deux congrès socialistes
concurrents.
Au cours de l’un d’entre eux, qu’on appelle « Le Congrès de Paris » [La IIe Internationale ouvrière,
ndlr], et qui réunissait les mouvements socialistes de différents pays
européens, il a été décidé d’organiser une journée de revendication pour
obtenir la journée de travail de 8 heures.
On avait alors pensé au 14 juillet, ou au 18 mars [date du
soulèvement de la commune de Paris, ndlr], ce qui montre le poids des
révolutions françaises dans l’imaginaire socialiste.
Mais c’était probablement trop français, et on a préféré retenir le 1er mai, date d’ores et déjà choisie, pour l’année 1889, par le syndicat ouvrier américain, l’American Federation of Labor. Aux Etats-Unis, le 1er mai correspond à la date des renouvellement des baux et contrats.
En Europe, sa force vient du fait
qu’il échappe aux calendriers civil et religieux : il s’inscrit dans le
calendrier social, tout en faisant écho à des célébrations printanières
anciennes – le mai des folkloristes.
Ce n’est pas un hommage aux martyrs des manifestations de Chigago, le 1er mai 1886 ?
La référence à Chicago est largement, du moins en Europe, une reconstruction postérieure. Le 1er
Mai de 1890 était une journée conçue non pas par des syndicats, mais
par des mouvements politiques socialistes. Lorsqu’en France, en 1905, la
SFIO s’est retirée de l’organisation du 1er Mai, laissant la CGT organiser la grève générale à cette occasion, on a commencé à insister sur l’importance du 1er mai de Chicago.
Aux Etats-Unis, le 1er Mai a été abandonné au profit du premier lundi de septembre [Labour Day, ndlr]. Les syndicats américains ne voulaient rien avoir à faire avec les socialistes ou les anarchistes européens.
Depuis quand est-ce férié ?
Entre les deux guerres, la journée devient fériée dans plusieurs pays
ou régimes « nouveaux » : la Russie soviétique, l’Allemagne nazie
(Hitler avait puisé dans les mythes aryens et autres références
folkloriques pour se l’approprier), la Tchécoslovaquie...
En France, le Front populaire avait l’intention de rendre cette date
fériée, mais le projet n’est pas allé à son terme à la Chambre des
députés. En 1941, Pétain en fait un jour férié.
Mais à l’époque, férié ne veut pas dire chômé : on s’arrête de
travailler dans les usines que le temps d’une cérémonie, avec lecture du
discours du Maréchal ...
Ce n’est qu’en 1948 que le 1er Mai devient une journée « chômée et salariée ».
Célébrations du 1er Mai 1944 par Marcel Déat France Actualités du 5 mai 1944
Pétain ou plus tard Le Pen n’ont jamais vraiment réussi à s’approprier le 1er Mai...
Non. Une chose est de s’approprier la date, pour concurrencer
l’adversaire, une autre est de réussir. C’est une construction
artificielle aussi vaine que les quelques tentatives, par la gauche, de
s’approprier Jeanne d’Arc, décrite pour l’occasion en « fille du peuple,
trahie par le roi, brûlée par des clercs ».
La tentative de Pétain est un échec : le 1er Mai n’a jamais été une grande journée sous Vichy. Le Pen a tenté en 1988 le syncrétisme 1er Mai + Jeanne d’Arc, mais sans grand succès.
Nicolas Sarkozy cherche aujourd’hui à relancer un 1er Mai
échappant aux syndicats. J’imagine que l’UMP a prévu des cars pour qu’il
y ait un peu de monde, mais je ne pense pas que cela puisse vraiment se
pérenniser.
Ces célébrations fonctionnent si elles s’appuient sur des traditions
de longue durée, si elles renvoient à des pratiques sociales inscrites
dans l’histoire longue
Célébrations du 1er Mai en 1934 et en 1946 Les Actualités françaises du 9 mai 1946.
Y a-t-il eu d’autres tentatives, à droite, de s’approprier le 1er Mai ?
Pas vraiment, à part le RPF. Pendant la guerre, en 1942, les résistants avaient poussé De Gaulle à lancer un appel à manifester le 1er Mai, en réaction au 1er Mai pétainiste. Il l’avait fait et il y avait eu en France une quinzaine de petits défilés « patriotes », organisés par des gens plus que courageux.
Après la guerre, de Gaulle s’en était souvenu et son RPF avait, dans le parc de Bagatelle, disputé le 1er Mai à ceux que le Général appelait « les séparatistes de la CGT ».
Avez vous été choquée par l’appel à manifester le 1er Mai de Nicolas Sarkozy ?
Il a une très grande capacité à se saisir de tout ce qui passe, y compris dans l’histoire avec laquelle il a un rapport résolument post-moderne. Il chasse les voix qui se sont portées sur Marine Le Pen et ne peut donc pas laisser les frontistes seuls dans les rues le 1er Mai : il fallait qu’il prenne une initiative.
Appeler à célébrer le « vrai travail », c’est un peu n’importe quoi. Le parallèle avec l’initiative de Pétain n’est peut-être pas volontaire ou même conscient.
Mais même si Nicolas Sarkozy ne l’a pas fait exprès, c’est impardonnable de sa part : il y a, au regard de notre histoire, des mots qui ont un sens, des mots lourds qu’il faut, quand on est un homme politique responsable, éviter.
Pas vraiment, à part le RPF. Pendant la guerre, en 1942, les résistants avaient poussé De Gaulle à lancer un appel à manifester le 1er Mai, en réaction au 1er Mai pétainiste. Il l’avait fait et il y avait eu en France une quinzaine de petits défilés « patriotes », organisés par des gens plus que courageux.
Après la guerre, de Gaulle s’en était souvenu et son RPF avait, dans le parc de Bagatelle, disputé le 1er Mai à ceux que le Général appelait « les séparatistes de la CGT ».
Avez vous été choquée par l’appel à manifester le 1er Mai de Nicolas Sarkozy ?
Il a une très grande capacité à se saisir de tout ce qui passe, y compris dans l’histoire avec laquelle il a un rapport résolument post-moderne. Il chasse les voix qui se sont portées sur Marine Le Pen et ne peut donc pas laisser les frontistes seuls dans les rues le 1er Mai : il fallait qu’il prenne une initiative.
Appeler à célébrer le « vrai travail », c’est un peu n’importe quoi. Le parallèle avec l’initiative de Pétain n’est peut-être pas volontaire ou même conscient.
Mais même si Nicolas Sarkozy ne l’a pas fait exprès, c’est impardonnable de sa part : il y a, au regard de notre histoire, des mots qui ont un sens, des mots lourds qu’il faut, quand on est un homme politique responsable, éviter.
La religion et le 1er mai des travailleurs
Député du Parti ouvrier belge, voici ce qu’écrivait Emile Vandervelde au début des années 1890 :
« Ne faut-il pas admettre que ces noirs bataillons d’hommes obéissaient à une mystérieuse et irrésistible impulsion qui a toujours poussé les peuples à fêter le renouveau, à célébrer la fête des germes quand mai fait monter les rêves et ramène la saison d’amour.
Car ce jour-là, il y a fête dans toutes les religions et dans tous les pays. Pendant que ces travailleurs industriels quittent les usines et les charbonnages [… ] et se promènent en longs cortèges [ …] ne voyons nous pas les jeunes filles parer les autels de la vierge et les paysans planter des arbres de mai ou allumer des feux de joie sur le sommet des collines .
Et ces coutumes même ne sont que des survivances d’un passé plus lointain, des temps ou nos ancêtres, celtes ou germains, célébraient la fête de l’amour ou des arbres […] nous fêtons, non seulement avec les vivants mais avec les morts, l’humanité tout entière ».
« Ne faut-il pas admettre que ces noirs bataillons d’hommes obéissaient à une mystérieuse et irrésistible impulsion qui a toujours poussé les peuples à fêter le renouveau, à célébrer la fête des germes quand mai fait monter les rêves et ramène la saison d’amour.
Car ce jour-là, il y a fête dans toutes les religions et dans tous les pays. Pendant que ces travailleurs industriels quittent les usines et les charbonnages [… ] et se promènent en longs cortèges [ …] ne voyons nous pas les jeunes filles parer les autels de la vierge et les paysans planter des arbres de mai ou allumer des feux de joie sur le sommet des collines .
Et ces coutumes même ne sont que des survivances d’un passé plus lointain, des temps ou nos ancêtres, celtes ou germains, célébraient la fête de l’amour ou des arbres […] nous fêtons, non seulement avec les vivants mais avec les morts, l’humanité tout entière ».
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