Barak Obama avait été élu en invoquant un avenir fondé sur le respect des droits fondamentaux des individus et des peuples. Le bilan de son mandat est en totale rupture avec ces promesses. Les aspects les visibles, telle la non fermeture de Guantanamo, le maintient des tribunaux militaires d’exception ou bien la pratique de la torture en Afghanistan, ne sont que la partie immergée de l’iceberg. Ces éléments nous permettent seulement d’entrevoir la continuité entre les politiques des administrations Bush et Obama. Cependant, il s’est opéré un approfondissement tel de la politique antérieure qu’il a produit un changement dans la forme de l’Etat, une modification inédite de la relation entre les autorités constituées et le citoyen américain..
La possibilité de traiter les ressortissants étasuniens comme des étrangers nommés comme terroristes est un objectif constant du pouvoir exécutif des USA depuis les attentats du 11 septembre 2001.Par la nouvelle prérogative qui lui est donné, grâce au National Defense Authorization Act, de pouvoir supprimer l’Habeas Corpus des citoyens étasuniens et plus seulement celui des ressortissants étrangers, l’administration Obama a réalisé ce que l’exécutif précédent avait mis en chantier, sans pouvoir le concrétiser.
Fin de l’Habeas Corpus des étrangers.
Le Patriot Act entré en vigueur le 26 octobre 2001, autorisait déjà l’administration de détenir, sans inculpation et pour une période indéterminée, les étrangers soupçonnés d’être en relation avec des groupes nommés comme terroristes.
Afin de pouvoir éventuellement juger ces prisonniers, des tribunaux spéciaux, les commissions militaires, furent créés par un décret présidentiel, le Military Order du 13 novembre 2001[1]. Cet acte du pouvoir exécutif permet le jugement, par ces tribunaux militaires, des étrangers soupçonnés d’être en rapport avec Al Qaïda ou d’avoir « commis, préparé ou aidé à concevoir des actes de terrorisme international envers les USA ».
L’état de guerre fût invoqué pour justifier la mise en place de ces juridictions si liberticides qu’elles violent le code militaire lui-même. Ces juridictions ont été installées pour juger des étrangers, soupçonnés de terrorisme et contre lesquels il n’y a pas de preuves recevables par une tribunal civil ou militaire.
En votant le Military Commissions Act[2], en septembre 2006, les chambres ont légalisé les commissions militaires. La loi étend considérablement la notion « d’ennemi combattant illégal » qui ne porte plus seulement sur les étrangers capturés sur le champ de bataille, mais concerne tout américain ou étranger n’ayant jamais quitté son pays d’origine. Si les Américains, inculpés sur base de la notion d’ennemi combattant illégal, doivent être déférés devant des juridictions civiles, ce n’est pas le cas des étrangers qui peuvent être jugés devant des commissions militaires.
Dans ces tribunaux d’exception, le prévenu n’a pas le choix son avocat. Ce dernier est un militaire désigné par le Président. Celui-ci nomme également les juges militaires et détermine le degré de torture (de « coercition physique ») pouvant être appliqué au prisonnier. L’avocat n’a pas non plus accès aux éléments de preuve, si ceux-ci sont classés « secret défense ».
Inscription de l’ennemi dans le droit pénal.
Le Military Commissions Act introduit la notion d’ennemi dans le code pénal. Il donne au président des États-Unis le pouvoir de désigner, comme tel, ses propres citoyens ou tout ressortissant d’un pays avec lequel les États-Unis ne sont pas en guerre. On est poursuivi comme « ennemi combattant illégal », non pas sur base d’éléments de preuves, mais simplement parce qu’on est nommé comme tel par le pouvoir exécutif américain. Intégrée dans la loi, cette incrimination ne fait donc plus référence à une situation d’urgence, comme dans le Military Order de 2001, mais devient permanente. L’inscription de l’anomie dans la loi installe l’exception dans la durée. Elle procède à une mutation de l’ordre juridique et politique en créant un droit purement subjectif qu’elle place aux mains du pouvoir exécutif.
Le 28 octobre 2009, le président Obama a signé le Military Commissions Act of 2009 [3] qui amende le Military Commissions Act of 2006. Cette réforme était formellement nécessaire pour la nouvelle administration, car Barak Obama était, en 2006, l’un des 34 sénateurs qui s’étaient opposés à l’ancienne législation.
La nouvelle loi ne parle plus d’ennemis combattants illégaux, mais bien d’ « ennemi belligérant non protégé ». L’essentiel demeure : l’inscription de la notion d’ennemi dans le code pénal et ainsi la fusion entre le droit pénal et le droit de la guerre. Cependant, l’attribut « belligérant » caractérisant la notion d’ennemi élargit le champ de l’incrimination. Celle-ci ne porte plus uniquement sur des combattants, mais sur « des personnes qui sont engagées dans un conflit contre les USA ». La nouvelle définition permet ainsi de s’attaquer directement, non seulement à des personnes capturées, sur ou à proximité d’un champ de bataille, mais à des individus qui posent des actes ou émettent des paroles de solidarité vis à vis de ceux qui s’opposent à l’armée étasunienne ou simplement à la politique guerrière du gouvernement.
Fin de l’Habeas Corpus des citoyens US.
Le National Defense Authorization Act[4], signé par le président Obama le 31 décembre 2011, autorise la détention infinie, sans procès et sans inculpation, de citoyens étasuniens désignés comme ennemis par le pouvoir exécutif. Les américains concernés ne sont pas seulement ceux qui seraient capturés sur un champ de bataille, mais aussi ceux qui n’ont jamais quitté le sol des Etats-Unis, ni participé à une quelconque action militaire. La loi vise les personnes que l’administration a désignées comme membres « d’Al-Qaïda, des Talibans et qui prennent part à des hostilités contre les Etats-Unis », mais aussi quiconque qui « a appuyé de manière substantielle ces organisations ». Cette formulation permet une utilisation flexible et extensive de la loi. Elle permettrait, par exemple, de s’en prendre à des organisations de défense des libertés civiles qui voudraient faire respecter les droits constitutionnels d’américains désignés, par le pouvoir exécutif, comme ennemis des USA.
Primauté des valeurs sur la loi.
En apposant sa signature, Obama a déclaré que son administration n’autorisera pas la détention militaire, illimitée et sans jugement, de citoyens américains. Cette possibilité ne serait pas contraire à l’ordre de droit étasunien, mais seulement aux « valeurs » de l’Amérique. C’est au nom de celles-ci qu’il n’utilisera pas cette opportunité offerte par la loi et non pas parce que ce type d’enfermement s’opposerait à la Constitution. Il affirme même que, dans les faits, le National Defense Authorization Act ne lui donne pas de nouvelles prérogatives. Ces pouvoirs extraordinaires, le Président en disposerait depuis que le Congrès a adopté, le 14 septembre 2001, une résolution stipulant : « que le Président est autorisé à utiliser toutes les forces nécessaires et appropriées contre les nations, organisations ou personnes qui ont planifiés, autorisés, commis ou aidés les attaques terroristes survenues le 11 septembre 2001…. » Il rejoint ainsi la certitude exprimée par G. Bush, en opposition avec le cadre du texte, que l’accord donné au Président d’engager la force lui offre une autorité sans limite dans l’espace et dans le temps, pour agir contre tout agresseur potentiel et non uniquement contre ceux impliqués dans les attentats du 11 septembre.
Comme l’autorisation elle-même est précédée d’un préambule énonçant : « attendu que le Président a autorité sous la Constitution de dissuader et de prévenir les actes de terrorisme international contre les Etats-Unis », G. Bush a régulièrement fait part de celui-ci afin de justifier les violations des libertés constitutionnelles des citoyens américains. Le Président Obama adopte la même lecture pour dénier le caractère novateur d’une loi lui permettant de supprimer l’habeas Corpus de tout ressortissant étasunien.
Un président se plaçant au-dessus de la loi.
Ici, la primauté ne réside plus dans le texte législatif, mais dans l’initiative présidentielle. C’est de son propre fait qu’Obama n’usera pas de l’autorisation donnée par la loi d’incarcérer, indéfiniment et sans inculpation, des citoyens américains. De même, il s’oppose à l’obligation de détenir militairement les terroristes étrangers. A ce propos, il affirme que son administration « interprétera et appliquera les dispositions décrites ci-dessous de manière à préserver la flexibilité dont dépend notre sécurité et de maintenir les valeurs sur lesquelles est fondé ce pays ». Il s’écarte ainsi résolument de la règle qui veut que, une fois qu’il a signé un texte de loi, le Président l’applique loyalement. Obama renverse le caractère contraignant du texte législatif au profit de la liberté présidentielle. De même, les « valeurs » étasuniennes deviennent prééminentes par rapport à la loi.
Si le National Defense Authorization Act ne fait qu’entériner des prérogatives que le pouvoir exécutif possède déjà, le problème porte seulement sur les modalités d’exécution. Le Président ne doit pas être limité dans sa lutte contre le terrorisme. Pour Obama, les articles incriminés sont inconstitutionnels, non pas parce qu’ils concentrent les pouvoirs entre ses mains, mais parce qu’ils restreignent sa liberté d’action. Les clauses contestées instituent une détention militaire qui limite la nécessaire « flexibilité » de l’action de l’administration, par exemple, la possibilité de détenir un prisonnier étranger dans un camp de la CIA. Les articles incriminés « s’opposeraient au principe de la séparation des pouvoirs. »
Un renversement du principe de la séparation des pouvoirs.
Obama renverse ce mode d’organisation issu des Lumières. Pour Montesquieu, l’objectif poursuivi est d’empêcher la concentration de la puissance politique en une seule autorité. Pour ce faire, les pouvoirs s’équilibrent et se limitent mutuellement. Obama, au contraire, opère un clivage dans l’exercice de la puissance étatique, de manière à ce que le législatif ne puisse pas exercer un contrôle sur l’exécutif. La séparation des pouvoirs devient absence de limite posée à l’action présidentielle. Il s’agit là d’un mode d’organisation d’un pays en guerre ouverte et dont l’existence est menacée par une puissance extérieure. Les administrations Bush ou Obama estiment que l’autorisation donnée en 2001 par le Congrès, d’engager la force contre les auteurs des attentats du 11 septembre, est équivalente à une Déclaration de Guerre, comme celles votées durant la seconde guerre mondiale. Le champ d’application devient cependant beaucoup plus large, puisque l’autorisation de 2001 permet d’engager la force non seulement contre d’autres nations, mais aussi contre des organisations ou de simples individus.
Le National Defense Authorization Act inscrit dans la loi une mutation de la notion d’hostilité. Elle a pour but énoncé de faire face à un conflit contre des adversaires non clairement définis qui ne menacent pas l’intégrité du territoire national. La lutte antiterroriste produit une image constamment renouvelée de l’ennemi. Elle s’exhibe comme une guerre permanente et sans frontière qui, en ne distinguant pas le citoyen américain du soldat d’une puissance étrangère, ne sépare pas intérieur et extérieur. La structure politique et juridique, construite à partir de cette nouvelle guerre asymétrique, renverse la forme de l’Etat de droit. La loi n’est plus réduction de l’exception, mais sa continuelle extension.
Jean-Claude Paye, sociologue, auteur de L’emprise de l’image. De Guantanamo à Tarnac. Editions Yves Michel 2011.
Notes
[3] Formellement il s’agit du Titre XVIII du « National Defense Authorization Act for Fiscal Year 2010 », http://www.defense.gov/news/commissionsacts.html
[4] H.R. 1540. National Defense Authorization Act (NDAA) for Fiscal Year 2012, http://thomas.loc.gov/cgi-bin/query/z?c112:H.R.1540
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