De 5 % à 10 % de la population française serait touchée par la dépression ! Bonne nouvelle tout de même : psychothérapies ou médicaments adaptés peuvent venir à bout de ce désagréable épisode.
Interview du docteur Roland Jouvent,
professeur des universités et praticien hospitalier au service
psychiatrie à la Pitié-Salpêtrière. Il est également auteur de nombreux
ouvrages sur la dépression, dont Le Cerveau magicien, paru en 2009.
Roland Jouvent répond aux questions de Futura-Sciences sur la dépression. © Docteur Roland Jouvent
D’un point de vue médical, d’où vient la dépression ?
Il est important de distinguer deux plans dans la
dépression : les facteurs déclencheurs et la vulnérabilité. Les
événements déclencheurs comme la perte ou l’épuisement face à la lutte
sont fréquents. Il peut s’agir d’un deuil, d’un divorce, d’un drame
familial, d’un déménagement ou de l’annonce d’une maladie grave. Par
ailleurs, ces phénomènes peuvent survenir sur un terrain vulnérable déjà
existant. Tout le monde n’est pas égal face aux événements de la vie.
Il existe des tempéraments qui exposent davantage à la dépression. Ceci
relève de l’inné et de l’acquis. De plus, il faut avoir à l’esprit
qu’une personne peut être marquée par des événements précoces qui l’ont
touchée avant les six premières années de sa vie. Enfin, d’un point de
vue biologique, ce qui déclenche la dépression est lié au stress
cortisolique (via les neurotransmetteurs) ; la répétition de ce stress épuise le système sérotoninergique.
Quand peut-on parler de dépression chez un sujet ?
Il existe des critères pour établir un diagnostic précis et déclarer qu’une personne est dépressive. Il faut détecter la présence complète de symptômes accompagnant l’humeur dépressive et qui sont proposés de façon binaire : boulimie/anorexie,
agitation/ralentissement… Dès lors que nous sommes face à une personne
présentant plus de cinq de ces symptômes, on peut dire qu’elle souffre
de dépression majeure. Il s’agit d’une combinaison de critères.
Quelles sont les personnes les plus touchées ?
N’importe qui peut faire une dépression. En France,
10 à 20 % de cas de dépression dans la population sera touchée par la
dépression à un moment donné. Les individus les plus exposés sont ceux
qui ont connu une maltraitance familiale, une difficulté sociale ou
professionnelle particulière.
Existe-il des cas d’enfants dépressifs ?
Oui. C’est John Bowlby qui a décrit en premier les
réactions à la séparation chez l’enfant et Spitz celle du nourrisson.
Les enfants sont très sensibles à la séparation et à la détérioration de
l’ambiance familiale. Ceci se manifeste par du mal à dormir et à
travailler, une tristesse voire des idées morbides.
Peut-on vraiment s’en sortir ?
Oui, la dépression se soigne très bien. Il existe
des cas de perturbation qui nécessitent une correction pharmacologique
avec l’aide d’antidépresseurs.
De plus, pour éviter les rechutes, il faut traiter le terrain grâce à
la psychothérapie. Il faut compter six mois pour qu’une personne puisse
se dire qu’elle est guérie.
Où en est-on en termes de traitements ?
Les traitements qui fonctionnent bien de nos jours
sont les antidépresseurs. Mais dans les cas rares et graves dépressions
résistantes, on utilise la sismothérapie (électrochocs) et les stimulations magnétiques transcrâniennes. La dépression étend une grande variété de troubles hétérogènes : elle va de la plus simple à la pathologie récidivante comme les troubles bipolaires (avec des phases d’euphorie suivies de dépression profonde). Il convient de traiter la dépression au cas par cas.
Quelle est la prochaine étape à atteindre pour la prévention et les traitements ?
Les facteurs sociologiques et existentiels comme la
maltraitance en famille ou le harcèlement au travail doivent pouvoir
être pris en charge de manière précoce. Il faut ajouter que chacun doit
faire face à une vie active surmenée. Ainsi, en terme de prévention, rétablir une hygiène de vie psychologique et physique est indispensable. Le sport protège contre la dépression.
Concernant les traitements, de nouvelles pistes ont
été découvertes pour soigner les formes profondes de la dépression. Il
s’agit de la stimulation cérébrale profonde (ou magnétisme transcrânien)
qui offre de bons résultats. Pour les cas chroniques,
il faut éviter de ruminer, ce qui entretient la dépression ou la
rechute. De plus, on arrive à un moment où les médecins généralistes
sont eux-mêmes mieux armés pour proposer un traitement à leurs patients
qui souffrent de cette pathologie.
Est-ce le mal du XXIe siècle ?
Non, la dépression existe depuis longtemps. Elle a été décrite sous Hippocrate. Il est vrai que les conditions de vie actuelles sont plus difficiles, ce qui augmente la fréquence
des dépressions. Mais la maladie n’est pas nouvelle. Tout est une
question de vulnérabilité face à l’adversité qui peut venir du
« dehors » comme du « dedans » (anxiété, stress lié à des suites
post-traumatiques…). De plus, il existe des personnes qui sont
dépressives même quand tout va bien. L’esprit est censé jouer un rôle
fondamental d’autonomie dans la régulation de l’humeur, c’est-à-dire que
l’Homme doit être capable d’anticiper des solutions pour ne pas verser
dans des comportements dépressifs.
Pensez-vous qu’un jour l’Homme sera débarrassé de la dépression ?
Non, car lorsqu’un Homme n’en peut plus, sa réaction
est de se retirer du monde. Il adopte une réaction de retrait et
d’isolement. La solitude a un effet néfaste dépressiogène. L’Homme
dépend d’un système motivationnel basé sur l’affect. L’isolement est un facteur important, en particulier chez la personne âgée.
Existe-il des cas de dépression chez les animaux et sous quelles formes ?
Chez l’animal on décrit généralement 2 phases
successives : une phase de lutte (correspondant chez l’Homme à
l’anxiété) et une phase de renoncement équivalent à la dépression chez
l’Homme. La différence avec l’Homme étant que l’animal ne dispose pas de
sa pensée pour tenter d’adapter son comportement.
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