mercredi 21 août 2013

Les jumeaux Attali en librairie: portraits croisés

BERNARD ATTALI (à gauche) est né en 1943 à Alger. Enarque, il a été président de la Datar, PDG d'Air France et de la banque Argil. Il dirige aujourd'hui un fonds d'investissement.
JACQUES ATTALI (à droite) est né en 1943 à Alger. Polytechnicien, énarque, il a été conseiller de François Mitterrand, créateur et premier président de la Bird, et il est aujourd'hui président de PlaNet Finance. (Manuel Braun/Olivier Roller-Fedephoto)
BERNARD ATTALI (à gauche) est né en 1943 à Alger. Enarque, il a été président de la Datar, PDG d'Air France et de la banque Argil. Il dirige aujourd'hui un fonds d'investissement. JACQUES ATTALI (à droite) est né en 1943 à Alger. Polytechnicien, énarque, il a été conseiller de François Mitterrand, créateur et premier président de la Bird, et il est aujourd'hui président de PlaNet Finance. (Manuel Braun/Olivier Roller-Fedephoto)
 
Banquier, essayiste à succès, naguère conseiller du prince, l'un est un touche-à-tout dont le nom évoque les grandes heures de la mitterrandie. La renommée de l'autre, haut fonctionnaire, puis dirigeant d'entreprise avant de se mettre au service d'un fonds d'investissement américain, n'a jamais dépassé les frontières de la communauté des affaires.
Sans pareil pour humer et comprendre l'air du temps, Jacques est un faiseur d'opinion et Bernard, un simple décideur. Chaque livre du premier est sinon un best-seller, du moins un événement dans le landerneau politico-économique. Le mince ouvrage que publie le second est son premier roman. Qu'il trouve son public et ce sera peut-être le début d'une aventure car «j'aime écrire», avoue son jeune-vieil auteur.
Jacques et Bernard. Les frères Attali. Ou plutôt les jumeaux, car hormis leur taille (Bernard est plus petit et plus massif) et une réputation inégale, tout ou presque rapproche ces deux crânes d'oeuf natifs d'Alger, nés en novembre 1943, partis à la conquête de Paris avec l'enthousiasme de Rastignac et l'énergie des coureurs de haies.
Mêmes yeux de chat-huant, même ambition fondée sur la même formation (ENA, Conseil d'Etat pour Jacques, ENA, Cour des Comptes pour Bernard), projetés très jeunes au pinacle d'une société qu'ils rêvaient méritocratique, intellocrate, mondialisée et à gauche. Jacques comme sherpa de François Mitterrand pendant sept ans. Bernard à la tête de la Datar, puis du GAN et d'Air France. Avant d'en prendre la mesure et de choisir la position d'un Sirius promoteur du développement durable, pour Jacques. Le confort d'un pantouflage transatlantique dans un fonds américain gérant 30 milliards de dollars, pour Bernard.
Mais gémellité n'est pas toujours ressemblance. Jacques a dix-sept livres au compteur tandis que Bernard signe, avec «la Mise en examen», son deuxième livre après «les Guerres du ciel», où il racontait son expérience à Air France. «Jacques a été mon premier lecteur. Sans son avis favorable, je n'aurais rien écrit», jure Bernard. Réplique de Jacques: «Je suis très heureux, très fier qu'il l'ait écrit. Avis favorable? Non, je ne l'aurais pas écrit de la même manière.» Fraternité rime parfois avec rivalité. Souci d'exister par lui-même et non plus comme «frère de», un syndrome partagé par Olivier Poivre d'Arvor (frère de PPDA) ou Patrice Duhamel (cadet d'Alain), Bernard a donc choisi sa voie.
Aux oeuvres complètes de son frère - pour la plupart des essais, à l'exception de «la Vie éternelle», incursion dans la science-fiction -, il oppose donc un «roman». Le thème? Un huis clos, ultime confrontation d'un grand patron déchu et de ses avocats, après une crise qui a ravagé le monde. Quand Jacques multiplie les prophéties apocalyptiques, démontre, chiffres à l'appui, que nous serons «Tous ruinés dans dix ans?» (Fayard), Bernard fait le pari de nous introduire dans la tête d'un grand pré dateur par une recomposition imaginaire.
Est-ce plus efficace? «La fiction, explique Bernard Attali, autorise la complexité, les nuances, la psychologie. Dans cette fiable-procès d'une génération, traître à ses convictions, idolâtre de l'hyperlibéralisme, j'ai voulu éviter la dichotomie entre bons et méchants. Mon Satina, homme de pouvoir, manipulé-manipulateur, a intériorisé l'idéologie dominante et doit rendre des comptes. Mais ce cynique, qui a sacrifié la solidarité à la liberté, persuadé qu'il faut que tout change pour que rien ne change, est un bouc émissaire. Des prix Nobel au président des Etats-Unis en passant par les patrons de banque centrale, le monde entier a encensé ce marché qui nous a floués. Au lecteur d'établir sa responsabilité.» Difficile dans ce maelström de reconnaître les siens. Bernard, lui, «se lâche».
La finance, sa rapacité et sa brutalité nous ont-elles ruinés? Cette finance, l'ancien banquier, lui-même senior adviser, notable employee d'un fonds «prédateur», la connaît comme sa poche. Le lecteur reconnaîtra au fil des pages Guy Dejouany, Jean-Luc Lagardère ou Alain Minc, qui n'en sortent pas indemnes. Bernard n'est pas Zola, mais ce témoin à charge excelle à révéler la perversion d'un système dévoyé.
«La richesse d'un homme est faite de ses contradictions. J'ai souvent été en désaccord avec moi-même»: est ce Salina ou Attali (Bernard) qui se soumet à la question? Brusquement le roman bascule, touche la corde que n'atteint jamais la prophétie des experts. La petite voix de l'aveu ou le tocsin du Jugement dernier? Lequel des deux convaincra le mieux?

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