samedi 20 avril 2013

Cameroun : les ex-otages de retour en France

Tanguy Moulin-Fournier, ex-otage au Cameroun (C), est accueilli par François Hollande à son arrivée à Orly en provenance de Yaoundé, le 20 avril 2013
Tanguy Moulin-Fournier, ex-otage au Cameroun (C), est accueilli par François Hollande à son arrivée à Orly en provenance de Yaoundé, le 20 avril 2013 (Photo Kenzo Tribouillard. AFP)
Fatigués mais souriants, les sept Français d’une même famille, dont quatre enfants, libérés après avoir été retenus en otages par le groupe islamiste Boko Haram au Nigeria, sont arrivés samedi matin à Paris, deux mois après leur enlèvement au Cameroun. «Aujourd’hui, c’est la vie qui a gagné», a déclaré devant la presse le président François Hollande, venu accueillir les anciens otages au petit matin à leur arrivée à l’aéroport d’Orly, en provenance de Yaoundé, après leur libération dans la nuit de jeudi à vendredi.

Le père de famille Tanguy Moulin-Fournier à ses côtés, le chef de l’Etat a souligné que «les autorités françaises (avaient) fait leur devoir, dans la discrétion». Il a «remercié aussi bien le Cameroun que le Nigeria», avec une «pensée particulière pour le président (camerounais Paul) Biya, qui dans ces derniers jours a eu un rôle important». Les otages «ont souffert de la chaleur et du manque d’eau, mais ont été correctement traités», a ensuite confié à des journalistes François Hollande, «impressionné» par les enfants, quatre garçons de 5 à 12 ans. «Ils ont été des appuis solides. S’ils (la famille Moulin-Fournier) ont pu retrouver leur liberté, les enfants y sont pour beaucoup», a ajouté le président.

«On retournera au Cameroun»

Les anciens otages sont arrivés à 6h, à bord du Falcon du ministre des Affaires étrangères Laurent Fabius qui avait fait un aller-retour au Cameroun pour aller les chercher. Sur le tarmac attendaient une dizaine de membres de leur famille, frères, soeurs et grands-parents, et une soixantaine de journalistes. Des couvertures sur les épaules pour se protéger du froid, ils sont tombés dans les bras de leurs proches, avant de s’acheminer vers le pavillon d’honneur où ils sont restés un moment, à l’écart de la presse.
Tanguy Moulin-Fournier, visage amaigri, épaisse barbe, a ensuite fait part de son «immense émotion», de son «immense bonheur». «C’est fini, on en est sortis...», a-t-il déclaré. «Je suis très heureux d’être de retour en France, c’est un grand moment. Après, on retournera également au Cameroun, qui est un très beau pays où on se plait beaucoup», a-t-il ajouté. La famille est ensuite partie dans un véhicule monospace, sous escorte policière. Les enfants, en short, avaient les yeux cernés mais le sourire aux lèvres.
Les trois adultes et quatre enfants - Clarence, 5 ans, Maël, 8 ans, Andeol, 10 ans, et Eloi, 12 ans - avaient été enlevés le 19 février alors qu’il étaient en vacances dans un parc national dans l’extrême nord du Cameroun. Le père, la mère et leurs quatre garçons résidaient depuis 2011 à Yaoundé, où Tanguy Moulin-Fournier est employé comme expatrié par GDF Suez. Cyril Moulin-Fournier, le frère de Tanguy, qui vit en Espagne, les avait rejoints pour des vacances. Le PDG de GDF Suez, Gérard Mestrallet, était présent à leur arrivée à Orly.

Pas de rançon

Les autorités françaises et camerounaises ont indiqué que la famille avait été libérée dans la nuit de jeudi à vendredi à la frontière entre le Cameroun et le Nigeria. Très peu d’informations ont filtré sur les conditions de cette libération, annoncée par la présidence camerounaise dès vendredi matin. François Hollande avait alors remercié les autorités camerounaises et nigérianes, faisant valoir que «c’est en étant le plus discret possible que nous pouvons être les plus efficaces».
Il avait également assuré que la France ne changeait pas son «principe», qui est «le non versement de rançons». L’Elysée a également affirmé que la libération des otages n’était pas «une action de force» mais le fruit de «contacts multiples». «L’heureux dénouement de cette affaire est incontestablement le fruit d’une coopération exemplaire entre les gouvernements français, nigérian et camerounais», a de son côté estimé le président camerounais Paul Biya, appelant à un «renforcement» de la coopération internationale pour faire face à l’insécurité sur le continent africain.
Les ravisseurs des Moulin-Fournier se réclamaient du groupe islamiste Boko Haram, actif dans le nord du Nigeria, une zone troublée depuis plusieurs années par des attentats et des assassinats violemment réprimés par les forces de sécurité nigérianes. Ils demandaient notamment la libération de membres de leurs familles «emprisonnées au Nigeria et au Cameroun». Ces revendications avaient été jugées «hors de portée de la France» par Laurent Fabius, qui avait toutefois effectué un voyage au Cameroun à la mi-mars et y avait rencontré le président Biya.
«Pour les otages qui viennent d’être libérés, des contacts avaient pu être établis ces dernières semaines et en particulier ces derniers jours», a-t-il dit, M. Fabius indiquant avoir parlé avec le président Biya «presque tous les jours au cours de ces dernières semaines». La France compte encore au moins sept de ses ressortissants otages en Afrique. Des rapts revendiqués par des groupes islamistes dont six par Al-Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi) au Sahel.

Les 7 otages français libérés ce vendredi étaient aux mains de Boko Haram. Cette prise d'otage marque un tournant stratégique pour ce mouvement terroriste islamiste, jusqu'alors connu pour ses attaques sanglantes contre l'Etat nigérian et les chrétiens qui ont fait plus de 1.000 morts au Nigeria depuis 2009. Rappel des faits.

Boko Haram a déjà eu deux vies. Le groupe, fondé en 2002 à Maiduguri, au nord-est du Nigeria, est, dans son premier souffle, un mouvement social, qui bénéficie, à l’époque, d’une certaine sympathie au sein de la population locale puisqu’il n’a recours que ponctuellement à la violence.
Chômage, corruption, désordre
L’organisation s’est développée sur le terreau des inégalités territoriales qui marquent le Nigeria. Le nord, délaissé par Abuja, subsiste grâce à l’agriculture et à l’élevage, tandis que le sud, poussé par Lagos, la capitale économique, bénéficie de la rente pétrolière. La population subit de plein fouet la faiblesse de l’État, entre un taux de chômage record, une corruption ­endémique, l’absence d’ordre public et d’infrastructures.
Ce contexte permet la diffusion de l’idéologie du groupe, qui tient une place singulière dans la nébuleuse salafiste internationale. Selon Marc-Antoine Pérouse de Montclos, chercheur à l’Institut de recherche pour le développement, « Boko Haram n’est pas issu du modèle wahhabite et sa doctrine est assez différente de celle des autres groupes djihadistes dans le monde ». Boko Haram entend imposer un État islamique sur l’ensemble du territoire nigérian. L’organisation ­estime que seule la charia mettrait fin à la domination du sud chrétien sur le nord musulman. Souvent caricaturée comme antichrétienne, l’organisation salafiste cible en premier lieu l’État central et les musulmans modérés, qu’elle accuse d’être corrompus par « l’éducation occidentale », et l’élite politique chrétienne du sud, symbolisée par le président, Goodluck Jonathan.
Etudiants errants
Le groupe s’est construit comme une secte. Son gourou, Mohamed ­Yusuf, a aimanté ses partisans par le culte de la personnalité. Le cœur de la secte est composé de « talibés » des villes du nord du pays. Maltraités dans leurs écoles coraniques, ces étudiants, errant à la marge de la société, trouvent dans Boko Haram une structure sociale stable. Cet endoctrinement a permis à l’organisation de constituer un ­potentiel conséquent de déstabilisation de l’État fédéral.
Pourtant, au début des années 2000, les autorités ne s’inquiètent pas outre mesure de l’essor de Boko Haram et demeurent absorbées par le conflit avec le Mend (Movement of Emancipation of the Niger Delta) dans la région pétrolière du delta du Niger. Le revirement s’opère en juillet 2009, à la suite d’une attaque de Boko Haram contre des postes de police dans quatre États du nord-est. Abuja lance une opération de répression sanglante dans le bastion du mouvement islamiste, à Maiduguri. Près de huit cents personnes sont tuées, et quelques heures après son arrestation, Mohamed Yusuf est exécuté sans procès.
Djihad armé
Abuja pense avoir exterminé la secte. En réalité, il signe l’acte de naissance de l’organisation djihadiste dans sa forme actuelle. La répression fait basculer le groupe dans le « djihad armé » pour venger ses « martyrs ». Il élargit son champ d’action à toute la moitié nord du Nigeria. Les attaques quasi journalières sont ponctuées de carnages toujours plus « sophistiqués », comme les attentats de Noël dernier (149 morts), de Kano, le 20 janvier 2012 (185 morts), et contre le siège de l’ONU à Abuja, le 26 août 2011 (25 morts). Après sa décapitation à l’été 2009, la secte se restructure. « L’organisation est devenue un monstre », observe Kunle Amuwo, chercheur de l’International Crisis Group. Elle s’est fragmentée entre « le canal historique » de Maiduguri, dirigé par Abubakar Shekau, et les fractions constituées autour des cadres partis au Niger et au Tchad lors de la répression.
Marc-Antoine Pérouse de Montclos voit dans ces dernières « les tendances les plus dures du mouvement ». Chaque sous-groupe dispose de ses propres ­circuits de financement, de formation et d’approvisionnement en armes. « Certaines de ces fractions disent être en contact avec Aqmi, présent dans le Sahel, et avec les shebabs somaliens », affirme le chercheur. La branche de Maiduguri ne semble pas, elle, avoir tissé de liens avec l’étranger. Elle se finance en multipliant les attaques de banques. Malgré cette régionalisation partielle, « Boko Haram reste focalisé sur des objectifs locaux », tempère ­Valentina Soria, chercheuse britannique au Royal United Services Institute. Il n’existe donc pas d’alliance stratégique entre la secte, Aqmi et les shebabs, pour un « al-Qaida au Nigeria ».
Echec de la répression
Sur le plan intérieur, « le mouvement entretient des liens informels avec des responsables politiques des États du nord du pays, qui appliquent la charia, des membres de la police et de l’armée », explique Kunle Amuwo. Ces relais gangrènent même « la branche exécutive du gouvernement », admet le président Jonathan, dépassé. Les autorités sont incapables d’apporter une réponse efficace contre la secte. La politique de répression s’avère un échec total. Marc-Antoine Pérouse de Montclos rapporte que « le gouvernement et l’état-major sont conscients de leurs erreurs stratégiques, mais aucune politique alternative crédible n’est envisagée ».

En quatre ans de violences, Boko Haram n’a pas conduit le pays dans la guerre civile, mais « il a réussi à faire l’unanimité contre lui. Paradoxalement, l’action du groupe pourrait avoir un rôle unificateur dans le pays », assure le chercheur. Le nord ne peut pas se couper des puits de pétrole du sud, et le sud n’entend pas se priver des débouchés commerciaux qu’offre le nord. Chrétiens et musulmans sont épuisés par les attentats, la militarisation, les exécutions sommaires et le co­uvre-feu. Kunle Amuwo juge que « la population pourrait chasser les membres de Boko Haram de la communauté et aider les autorités ». Marc-Antoine Pérouse de Montclos entrevoit deux scénarios. « Soit le mouvement, coupé de sa base ­sociale, choisit de se professionnaliser en groupe terroriste mafieux, soit ses membres seront contraints de s’insérer dans le circuit politique. » Dans les deux cas, Boko Haram entamerait une troisième vie.
Premier scénario
La prise d'otage des sept français, une première pour Boko Haram, semble avoir poussé le mouvement vers le premier scénario. La revendication de cet enlèvement d’étrangers pourrait ainsi marquer un tournant dans sa stratégie, voire la volonté d’endiguer l’influence d’un autre groupe nigérian, Ansaru, issu d’une scission avec Boko Haram. Le quotidien camerounais le Jour confirme pour sa part que « le temps politique mondial est favorable à de tels actes ».

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