Figurez-vous que nous vivons dans un monde « de changement perpétuel, de compétition féroce, d'innovation débordante et d'exigences sociales ».
C'est la première révélation que nous devons à Gary Hamel. Oui, le choc
est rude, tant nous étions loin de nous douter de cette terrible
réalité.
Sachons-lui gré de ne pas
nous dorer la pilule et de nous permettre une prise de conscience
salutaire. D'autant qu'il nous dévoile dans le même temps, à notre grand
soulagement, les solutions pour nous en sortir. Car, c'est la grande et
bonne nouvelle, on peut prospérer dans ce monde infernal. C'est même
tout simple et on s'en voudrait presque de ne pas y avoir pensé avant.
Cinq principes : des valeurs, de l'innovation, de l'adaptabilité, de la
passion et de l'idéologie. Ce dernier point est encore à préciser, mais
c'est un beau programme : il s'agit ni plus ni moins que d'introduire de
la noblesse dans nos entreprises !
Cessons-là l'ironie. C'est
plutôt la consternation qui nous envahit à la lecture des propositions
d'Hamel. Une fois de plus nous voilà dans le monde merveilleux du «
Yakafokon managérial » venu tout droit des Etats-Unis... donc
nécessairement performant ! Une fois de plus nous voilà dans l'univers
des managers-sauveurs-de-l'entreprise parce qu'ils auront adopté le «
bon » comportement, la « vraie » passion, la « bonne » idéologie. Une
fois de plus, on nous fait miroiter des grands mots qui nous promettent
d'échapper à l'horrible rationalité qui conduit le monde des entreprises
à leur perte !
Pourquoi après tant
d'années à ressasser les mêmes recettes le monde des organisations
n'a-t-il pas changé ? Les managers seraient-ils incapables d'apprendre
et d'appliquer ces recettes infaillibles qu'on leur sert avec force ? Ou
bien « quelque chose » résisterait-il à leur immense passion et bonne
volonté ? Ces approches reposent sur des implicites discutables : le
contexte est un épiphénomène qui se pliera nécessairement aux visions
managériales, la complexité se tiendra sagement à sa place si l'on se
montre à la fois passionné et adaptable, les organisations ne sont que
des châteaux de cartes soumis à l'idéologie du leader qui peut en faire
ce qu'il veut et les salariés, les autres, ceux qui travaillent pour
tous ces managers new look, suivront comme un seul homme, fascinés par
tant de noblesse.
Comment des managers
intelligents peuvent-ils lire tout cela sans sourire ? Peut-être
sont-ils si fragilisés, si inquiets de leur propre pouvoir qu'ils
recherchent un discours rassurant ? Peut-être les difficultés actuelles
sont-elles si décourageantes qu'elles rendent nécessaires des propos
simplificateurs grâce auxquels tout redevient possible ?
Mais revenons à Hamel.
Demandons-nous si ces propositions ne peuvent pas, elles aussi, produire
des entreprises effrayantes ? Les valeurs : les régimes totalitaires,
les groupes sectaires n'en sont-ils pas saturés ? En quoi sont-elles
partagées dans des organisations de plus en plus diverses ?
L'innovation
: sans doute, mais est-on convaincu qu'il est capital de remplacer son
iPhone 4 par un iPhone 5 ? L'adaptabilité : certainement, mais à quel
prix ? Qui en supporte les coûts et les aléas ? La passion : est-il
raisonnable d'exiger de l'ardeur de toutes et tous ? N'est-il pas plus
pressant de permettre aux employés de « bien faire leur boulot » ? Quant
à l'idéologie, la noblesse, la nouvelle philosophie du management qui
accordera à chacun la liberté dans l'entreprise... Gary Hamel serait-il
un dangereux révolutionnaire qui envisage de démocratiser l'entreprise ?
Soyons honnêtes, l'approche
de Hamel est aussi la réponse du berger à la bergère après trois années
sur les risques psycho-sociaux et autre souffrance au travail. Entre le
discours envahissant sur le malaise - des cadres, des salariés, des
organisations... - et celui de l'idéalisation de l'action managériale,
il ne reste finalement que peu de place pour la prise en compte du réel,
trop complexe pour être regardé sans complaisance.
Sandra Enlart et Hervé Laroche
Sandra Enlart est directrice générale d'Entreprise & Personnel, Hervé Laroche est professeur à l'ESCP Europe.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire
Remarque : Seul un membre de ce blog est autorisé à enregistrer un commentaire.