vendredi 19 avril 2013

Comment on a inventé les Français

Notre peuple se fabrique depuis des millénaires. Mais qu'est-ce qui entre exactement dans sa composition ? Dans son dernier ouvrage, « l'Invention des Français », le cofondateur de « Marianne » ébouriffe une histoire qu'on fait commencer avec trop de légèreté à nos ancêtres les Gaulois. En voici un chapitre inédit qui ne figure pas dans le livre.



BALTEL/SIPA
BALTEL/SIPA
On croyait Jean-François Kahn en retrait et le voilà qui déboule avec un nouveau livre de 600 pages consacré aux Gaulois* ! Connaissant la passion du cofondateur de Marianne pour l'histoire de France, on en déduit qu'il s'est enfin lancé dans la fresque à la Michelet qui le démangeait depuis longtemps et qu'il va revisiter le roman national, de l'extravagant Vercingétorix à Hollande le normal. Non ! Le polygraphe annonce bien trois autres tomes à venir, mais le dernier finira sur l'héritage de Charlemagne, créateur de cette première Europe que ses trois petits-fils feront éclater pour donner la France, l'Autriche et l'Allemagne...  

Kahn était intrigué par un «trou énorme» - de 500 av. J.-C. à 600 apr. J.-C. - qu'il avait repéré dans l'histoire de l'Hexagone : plus d'un millénaire représenté par une histoire officielle simpliste dont on ne retient généralement que le siège d'Alésia et le baptême de Clovis, sans toujours bien savoir les situer chronologiquement. Or, c'est dans cette «fosse d'oubli» que la France s'est formée, et Kahn y est descendu, dévorant pendant quatre ans tout ce que l'historiographie sérieuse a produit, épisode par épisode, sur ce millénaire. Il a découvert que rien ne s'était passé comme on le répète habituellement. De cette révélation, de ce qu'il a appris d'une époque bien plus riche, compliquée et intéressante, il se fait le vulgarisateur brillant et virevoltant, nous livrant un récit qui met l'histoire cul par-dessus tête pour mieux la comprendre.

Au final, il ne reste pas grand-chose d'Alésia (une bataille très surestimée par César pour les besoins de sa propagande à Rome) et de Vercingétorix (un putschiste auquel Kahn nous fait préférer Vindex, qui ne luttait pas pour sa tribu, mais pour la liberté). Et, surtout, le bilan des fameux Gaulois n'apparaît pas très brillant. Ces brutes chevelues, s'enivrant et s'ébrouant bruyamment en «tumultes», cruelles avec leurs ennemis, obsédées par la hiérarchie et dont les chefs s'entouraient de cultureux parasites, ont beaucoup gagné à être colonisées par les Romains. Car c'est l'une des conclusions de l'Invention des Français : le Gaulois n'était qu'un ingrédient, le rôle du Romain fut primordial dans l'avènement du Français.

Les Romains sortent en effet réhabilités de ce livre renversant : ces colonisateurs furent des bienfaiteurs. Contrairement à la colonisation française de gauche à la Jules Ferry, ils savaient, eux, offrir leur nationalité et leurs droits en même temps que leur civilisation, savaient intégrer comme leurs égaux leurs colonisés qui pouvaient devenir chefs. Pour Kahn, la part romaine dans la naissance du Français est bien supérieure à la part gauloise, et il s'en félicite : «Heureusement que l'on est romain dans les têtes et gaulois dans les pieds.»

Il va même jusqu'à présenter César – dont le rôle fut décisif en brisant Vercingétorix et en réussissant à unir les tribus gauloises pour en faire un pays unique – comme le chef de la «gauche romaine». Anachronique ? Oui, mais l'anachronisme étant une maladie très française, Kahn préfère s'en servir plutôt que de la soigner et son livre ne cesse d'identifier chez les Gaulois et les Romains les prédécesseurs d'Edgar Faure, Charles de Gaulle, Raymond Aron, Alain Poher, Philippe Pétain ou Augusto Pinochet. Même chose pour la chronologie avec laquelle, on le sait, les Français sont fâchés : Kahn la bouscule en permanence par d'acrobatiques va-et-vient pour mieux l'éclairer.

Une pratique de l'histoire très incorrecte, mais très sérieuse et très morale. Et surtout très amusante : avec ce livre pétillant, Jean-François Kahn continue de faire la preuve que l'on peut être sérieux sans se prendre au sérieux. C'est d'ailleurs la meilleure façon d'apprendre.

Eric Conan

* L'Invention des Français. Du temps de nos folies gauloises, de Jean-François Kahn, Fayard, 590 p., 23 €.


Le journaliste, écrivain et historien, co-fondateur du journal « Marianne », vient de commettre un ouvrage intitulé « L’invention des Français du temps de nos folies gauloises ».

 
Jean-François Kahn  © FRANCOIS NASCIMBENI




 

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