Par Jacques Ferber
Alors qu’un nouveau pape a été élu et
qu’il commence tout juste à prendre ses fonctions, on peut se demander
quelle est la signification d’un tel événement, au delà de la portée
médiatique de l’élection d’un pape. Évidemment le nouveau pape a des
qualités: il est humble, près des pauvres, simple et il aura
certainement à cœur d’enlever l’apparat superflu de la pompe
pontificale. Mais est-ce suffisant pour relancer l’Église?
Nous sommes au centre d’un changement
prodigieux de civilisation qui demeure totalement invisible et incompris
par les grands médias, lesquels pensent toujours dans les termes
anciens: conflit d’intérêt, valeurs des bons contre les gentils, pensée
économique classique et absence de vision systémique et globale. Or
notre société a maintenant besoin d’une nouvelle vision, d’une nouvelle
manière de voir le monde et de lui donner du sens qui prenne en compte
la complexité du monde, car le monde est effectivement
complexe, tout en permettant à chacun d’agir simplement. Le courant
chrétien en général et catholique en particulier, très majoritaire en
France, peut-il être un acteur majeur dans ce changement.
Beaucoup d’éléments tendent à nous faire
croire que Jésus est mort deux fois: une première fois sur la croix et
une seconde dans les poussières des petits salons du Vatican. Le
protocole du conclave, à la fois si parfait et si désuet, nous plonge
dans un voyage dans le temps, comme si tout cela se passait entre le
moyen-âge et la renaissance italienne.
Une question semble être sur toutes les
lèvres des esprits ouverts, qu’ils soient croyants ou non: est ce que
François 1er, pourra moderniser le discours, tant dans la forme que le
fond, de l’Église catholique? Les jeunes se sentiront-ils à nouveau
attiré par l’Église, alors qu’ils avaient bien du mal à se
reconnaitre dans le discours rigoriste et archaïque de l’ex-pape Benoit
XVI? Cette institution peut-elle prendre part à cette évolution mondiale
ou bien rester en arrière et continuer à présenter un message de plus
en plus rétrograde, au risque de perdre toute influence? Existe-t-il un
avenir pour le catholicisme, et plus généralement le christianisme, ou
bien est ce déjà une religion musée?
Pour répondre à ces questions, nous allons utiliser l’outil de l’approche intégrale en général et de la Spirale Dynamique en particulier, que nous avons souvent présenté sur le site www.developpementintegral.com.
Le catholicisme à la lumière de la Spirale
En termes de chiffres, il y a environ
2,3 milliards de chrétiens, et parmi eux environ 1,2 milliards de
catholiques qui considèrent le pape comme le chef spirituel de l’Église
catholique romaine. Comme le signale Philippe Bleaudau, professeur
d’histoire, dans l’interview qu’il accorde à 20minutes, pour les catholiques, le pape est un être totalement à part:
« Pour les catholiques, le pape se voit confier une responsabilité sans équivalent dans l’Eglise: il n’est pas seulement l’évêque de Rome ou le primat d’Italie. Son ministère est universel: il est le successeur de saint Pierre, mort en martyr à Rome à la fin du règne de Néron: c’est donc au pape que reviennent en plénitude les attributs et les droits objectifs confiés à Pierre par le Christ lui-même, selon la promesse énoncée dans l’évangile de saint-Matthieu. Sa fonction est d’assurer l’unité du Peuple chrétien et de veiller à ce que la foi chrétienne soit prêchée et accueillie dans le monde entier conformément aux Ecritures et à la tradition «
Du point de vue de l’approche intégrale et de la Spirale Dynamique, la structure de l’Église catholique est très Bleue:
hiérarchique, fondée sur le dogme et la croyance en une vérité unique,
révélée par Dieu, dont le pape est le porte-parole. En effet, le
souverain pontife possède l’infaillibilité papale, c’est à dire que
toutes ses affirmations en matière de dogme, de liturgie et de morale
sont considérées comme des vérités absolues. La vérité vient d’en haut.
Comme nous l’écrivions dans le livre ‘le monde change.. et nous?’:
« le Bleu,
hiérarchique et normatif, est caractérisé par l’idée qu’il existe une
signification transcendante définissant un ordre universel. Le courant Bleu
met l’accent sur le collectif et se présente comme une réponse au
débordement égocentrique du précédent. Pour encadrer cette puissance qui
se déverse en violence, apparaît un Ordre porté par une autorité
transcendante qui se réfère à un Dieu créateur ou un idéal
tout-puissant, qui établit une séparation fondamentale et indiscutable
entre le Bien et le Mal. Ce courant apporte une très grande stabilité
aux individus car il ordonne le monde et donne des repères tangibles qui
permettent de s’orienter et de donner une direction à sa vie. [...]
Avec Bleu, chaque
chose prend sa place dans une vision globale et conceptuelle de
l’existence, en une harmonie pré-établie par un ordre transcendant,
fondée sur une hiérarchie globale des choses et des êtres. L’ordre
humain, le rapport qui existe entre dominants et dominés, est le produit
d’une volonté divine ou simplement supérieure, d’un dessein
transcendant qui place chacun à sa « juste » place. Les êtres humains
n’ont plus qu’à obéir à cette vision qui les dépasse sans chercher à en
comprendre l’ensemble des mystères. La mise en œuvre de ce plan qui
dicte le Bien et le Mal à tous, s’accompagne d’une répression de tout
acte de désobéissance, toute rébellion, toute entorse au dogme. Il
s’agit bien de faire entendre, de gré ou de force, au récalcitrant, la
beauté et la magnificence de cet ordre général, tel qu’il a été conçu
par une puissance supérieure. Celui qui transgresse cet ordre est
considéré comme coupable, pervers, infidèle, hérétique et qu’il est
important de culpabiliser dès qu’il s’écarte du droit chemin. »
Et c’est exactement la vision que
propose l’Église catholique, qui n’a pas vu que le monde avait changé,
et que les problèmes qui se posent ne sont plus ceux de l’empire romain
ou du moyen-âge occidental, mais ceux d’un monde diversifié et complexe
que des solutions issues de visions dogmatiques ne peuvent qu’aggraver.
L’intervention américaine en Irak en était un bel exemple, poussée
qu’elle était par une volonté bien Bleue de lutter
contre l’axe du mal (elle était aussi motivée par d’autres intérêts,
mais cela n’est pas le débat ici), elle n’a apporté que des problèmes
dans la région du Moyen-Orient, sans rien résoudre.
Mais le christianisme, comme toutes les
grandes religions, ne se réduit pas à un seul courant, et le message
christique peut être vécu à tous les niveaux de la Spirale, même si
l’Église romaine ne voit pas cette évolution d’un très bon œil.
Après Bleu, deux courants sont apparus. Le premier est Orange,
qui propose une vision individualiste, rationnelle et surtout dénuée de
tout sens transcendant. Apparaissant avec le mouvement humaniste de la
renaissance et le développement de la science, tout doit être expliqué
rationnellement par des causes matérielles, sans faire référence à un
dieu quelconque. Lorsque Laplace, brillant physicien, explique l’origine
de système solaire à Napoléon et que ce dernier lui dit: « mais il n’y a
pas de trace de Dieu dans votre ouvrage », Laplace répond « Sire, je
n’ai pas eu besoin de cette hypothèse ». Tout est dit. Le courant Orange, qui régit le business,
et honore les puissances de la finance à Wall Street, n’a que faire du
dieu chrétien. Car le monde moderne s’est créé contre l’Église. Ce sont
les libres penseurs du 19ème siècle, qui ont permis la création de
l’école laïque, et développé la démocratie et le suffrage universel,
institué l’universalité des Droits de l’Homme.
Ensuite, le développement d’une vision existentielle du monde, avec l’apparition du courant Vert
tourné vers l’empathie, la relation, la prise en compte des
défavorisés, des exploités et d’une manière générale des minorités, va
entériner la discorde totale entre les valeurs de la population et
celles de l’Église. Car ce sont les droits de la femme, la
contraception, l’avortement et maintenant la reconnaissance du mariage
homosexuels, qui va alimenter et faire grossir cette fracture de plus en
plus vive entre le dogme catholique et les mœurs actuelles. Les tenants
du courant Orange n’avaient que faire de Dieu. Mais ce sont surtout les membres du courant Vert,
pluraliste, empathique, pacifique, prônant les valeurs féminines, qui
vont achever cette rupture. Le monde occidental actuel ne se retrouve
plus dans les dogmes désuets de l’Église, et n’en comprend même plus ses
concepts de base: qu’est ce que le péché, la faute originelle ou le
salut pour un jeune de la génération Y? Que signifie le fait que
Jésus-Christ souffre sur la croix pour racheter les péchés universels
dans un monde où la culpabilité et la honte sont vécues comme des
émotions à travailler en thérapie? Comment, dans ce courant, entendre de
manière littérale le credo sans le juger comme archaïque et relevant au
mieux de l’histoire: « Je crois en un seul seigneur [...] issu du
vrai Dieu, engendré, non créé, consubstantiel au Père, par qui tout a
été fait, qui pour nous, les hommes, et pour notre salut est descendu
des cieux. Il s’est incarné du Saint-Esprit par la Vierge Marie, et
s’est fait homme. [..] Il est monté au ciel ; Il siège à la
droite du Père et pour la seconde fois Il va venir en gloire juger les
vivants et les morts, Lui dont le règne n’aura pas de fin. » Et ce
n’est pas à prendre à la légère, car chaque mot est pesé, portant en lui
le poids d’âpres discussions théologiques pour arriver à une vision
unique, la seule autorisée, les autres devenant de facto
hérétiques. Dans un monde où les valeurs portent de plus en plus sur la
relativité et la pluralité des points de vue, chacun étant vu comme
porteur de sa propre vérité, où les notions de Bien et de Mal sont de
plus en plus remises en question au profit d’une vision pluraliste du
monde, et où en entend de plus en plus que toutes les religions se
valent et mènent au transcendant, le credo passe mal…
Le christianisme peut aussi s’exprimer dans les premiers niveaux de la Spirale, Violet et Rouge. Violet
correspond au mode tribal, où la superstition et les esprits sont
partout. On retrouve cette approche du christianisme en Amérique du Sud
et en Afrique (les endroits d’ailleurs où le catholicisme est bien
vivante), où les saints sont perçus comme des êtres surnaturels et
bienfaiteurs, où les démons peuvent posséder les fidèles et où la magie,
les sortilèges et les croyances vis à vis des éléments de la nature
sont allègrement mélangées. Et comme il y a un côté « magique » dans les
guérisons miraculeuses de Jésus, on retrouve ce niveau de conscience
dans les pèlerinages de guérison, les amulettes et médailles
« miraculeuses » que l’on prend pour aller mieux ou obtenir de l’aide
des saints et des anges.
Rouge s’exprime dans le
côté « guerrier » et fanatique de l’Église. Il vit dans le moment et
agit impulsivement, cherchant protection dans les dieux de pouvoir
auquel il faut sacrifier quelque chose pour obtenir un résultat. Dans la
chrétienté, cela s’exprime dans la vision de Yahvé et de Jésus comme
des dieux vengeurs qu’il s’agit d’amadouer par des sacrifices et des
actes de contrition. C’était la conscience naturelle des contemporains
de Jésus, qui voyaient le Messie comme un chef militaire qui allait
libérer la Palestine du joug romain. On le retrouve dans l’énergie
délirante des premières croisades, lors des horreurs commises lors de la
première prise de Jérusalem en 1099. En effet, même si la motivation
d’une croisade prend sa source en Bleue, elle permet à des guerriers Rouge-Bleu d’aller dans leurs impulsions primitives et leur désir de tuer ou de soumettre. Rouge est aussi présent dans la manière dont l’inquisition, originellement Bleue,
s’est transformée en éradication des soit-disant sorcières et en
instrument de pouvoir et de soumission: Dieu devient alors celui qui
soumet, qui contraint, qui se venge de tous ceux qui ne sont pas dans
son camp.
Courant | Principes généraux | Rapport à la religion chrétienne |
Violet | tribal, magique, superstitions, famille, fusion, émotion | importance des miracles, des guérisons spontanées, amulettes et médailles porte-bonheur |
Rouge | impulsivité, domination/soumission | Dieu puissant et vengeur, demandes à Dieu dans un « donnant/donnant », inquisition espagnole, atrocités commises au nom de ce Dieu, l’Église comme un empire qui doit s’accroitre |
Bleu | normatif, hiérarchique, obéissance, au service de l’Église (ou la patrie, la nation, etc.) | dogme, hiérarchie, vérité unique, hérésie, un seul Dieu, credo, ma religion est la seule vraie religion |
Orange | individualisme, rationnel, recherche d’intérêts individuel, sujet citoyen, réussite individuelle | Pas besoin de l’hypothèse du divin, mort de Dieu, le divin n’est qu’une façon de contrôler les esprits |
Vert | relativisme, empathie, pluralité des points de vue, chacun sa vérité, ressenti, pas de hiérarchie, | Importance du ressenti et de l’expérience spirituelle, « spirituel mais pas religieux », importance du partage et de l’amour entre les êtres |
Tableau des courants du premier cycle de la Spirale et de son expression dans le christianisme
Alors, le christianisme est il voué à
mourir au fur et à mesure du développement de conscience de l’humanité?
Le message christique d’amour, d’engagement et de renoncement est-il
cantonné à son interprétation Bleu, à une vision de
l’amour dépourvu de charnel, d’un engagement considéré comme une
contrainte, d’un renoncement vécu comme une perte?
Pour un christianisme intégral
Et pourtant, quand on entre dans une
cathédrale ou une abbaye, la marque du divin est bien présente. Je
connais nombre de personnes qui n’ont plus rien à voir avec l’Église et
qui pourtant, comme moi, aime à se recueillir dans l’une de ces nefs
spirituelles. On sent la Présence… Même pas besoin de méditer ou de
prier. Il suffit d’être là, de se mettre à l’écoute de l’Esprit qui
parle par le Cœur. Et cela se fait tout seul… Silence, paix, reliance…
Le lien est immédiat avec ce qui nous dépasse, que l’on soit croyant ou
non, que l’on adhère au dogme ou non. N’est ce pas étonnant que cette
institution rigide, corrompue, hypocrite, condamnante, ayant mis en
œuvre exactement l’opposé du message christique qui est amour,
acceptation totale de l’autre et pardon, ait été capable de construire
des édifices qui conservent le pouvoir de nous relier au divin de
manière aussi directe? N’est ce pas étonnant que l’on puisse faire des
expériences mystiques en ces lieux qu’aucun prêtre n’oserait soutenir?
Comme si l’Église avait construit quelque chose qui la dépassait,
imprégnée malgré tout d’Esprit Saint, au delà de toutes les exactions
qu’elle a pu commettre. Comme si le divin, qui emploie des chemins
incroyables que la raison ne saurait suivre, avait su utiliser toutes
les facettes de cette institution, les lumineuses comme les plus
obscures, pour parvenir à ses fins et nous transmettre la Présence
Divine.
Exprimé autrement, c’est un peu au même
type de raisonnement que Pierre Teilhard de Chardin était arrivé dans
les années cinquante en France. Plus connu et célébré aux USA qu’en
France (voir la différence de taille des pages wikipedia françaises et
anglaises ), ce jésuite, paléontologue et théologien, a développé une
conception intégrale (au sens de K. Wilber) de la spiritualité, en
montrant la continuité de l’évolution biologique et humaine. La matière
(la physiosphère), puis le vivant (la biosphère), et enfin l’humanité
(la noosphère ou sphère des idées) se sont succédées, intégrant à chaque
stade les résultats des stades précédent: le vivant, qui est fondé sur
la matière, transcende les lois de la physique pour faire émerger celles
du biologique. Et il en est de même pour la noosphère, qui est fondée
sur le vivant (l’être humain est un organisme), mais qui le dépasse en
faisant émerger le monde des idées, des concepts, des théories, des
croyances, etc. donnant lieu au pouvoir créateur des objets créés par
l’être humain. A chaque stade c’est une évolution de conscience qui est
en jeu, laquelle passe par un effet d’union, un rassemblement des
disparités, une synthèse des singularités menant à l’émergence d’une
nouvelle forme, d’un nouvel être, d’une union des âmes en Dieu, de
l’apparition d’un ‘point Oméga’ pour employer le terme de Teilhard de
Chardin où les consciences individuelles viennent se rassembler en un
point de Conscience collective et universelle, un point de retournement
final de la Conscience prenant totalement conscience d’elle-même au
travers de chacun, l’avènement du Christ Cosmique.
L’Église catholique a mis son œuvre à
l’index, l’interdisant de publier de son vivant, et elle ne comprend
toujours pas la portée de sa vision, restant encore et toujours dans le
courant Bleu qui l’a vue naître. Et pourtant Pierre
Teilhard de Chardin, élevé en son sein, pourrait bien être l’un des
piliers d’une vision intégrale du christianisme.
Dans les prochains articles, nous
verrons comment le message christique continue dans l’évolution des
courants, bien loin de l’apparatchik de l’Église catholique, et comment
il s’ouvre à une vision de plus en plus vaste de l’être humain, dans sa
dimension de Conscience et d’Amour.
A suivre… Prochain article Christianisme intégral #2: le renouveau christique..
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