Ce professeur de médecine à Boston place la méditation au centre de ses thérapies. En exclusivité, il livre les secrets d'une sérénité accessible à l'homme occidental.
Considérez-vous l'anxiété comme le mal du siècle?
Pour moi, elle appartient à la nature humaine et défie les époques. Sous l'Occupation, les Français n'étaient-ils pas anxieux?
Mais il est vrai que les modes de vie ont beaucoup évolué avec la
modernité. La mondialisation fait disparaître des sociétés
traditionnelles ou indigènes dont les croyances et les structures
familiales offraient un réconfort simple, tout en donnant un sens à
l'existence. Aujourd'hui, notre monde change à toute vitesse. Nous
sommes contraints de prendre en permanence une multitude de décisions
personnelles sans comprendre réellement les mécanismes de notre
environnement. Pour arranger le tout, nous portons dans nos poches des
superordinateurs qui, en fait, nous dirigent. Ils nous imposent une
surinformation constante et une obligation de connexion permanente qui
contribuent au stress. >>> A lire aussi: L'anxiété, comment s'en sortir?
L'anxiété aurait-elle ses vertus, en permettant l'adaptation à un monde changeant?
Elle
est nécessaire à la survie, mais quand on ne peut trouver une
échappatoire aux dangers qu'elle signale, on se retrouve "désarmé". Les
souris de laboratoire, lorsqu'elles ne peuvent éviter des chocs
électriques, tombent vite dans une sorte d'état végétatif. Les humains
aussi sombrent dans le désespoir s'ils réalisent qu'ils ne peuvent pas
améliorer leur situation.
Faut-il chercher, alors, à dominer l'anxiété?
Non,
au contraire! Il faut plutôt lui dérouler le tapis rouge, en acceptant
d'en ressentir les sensations physiques tout en prenant soin de
déconnecter celles-ci du raisonnement intellectuel. C'est la pensée qui
rend fou, car le mental ne peut rivaliser, en puissance, avec l'anxiété.
L'esprit devient alors une prison qui accentue la souffrance. Il vient
légitimer l'anxiété en ressassant le sentiment d'impuissance. L'écrivain Mark Twain a eu ce mot amusant: "Ma vie a été remplie de tragédies dont certaines ont vraiment eu lieu." Si vous croyez ce que vous dit votre esprit, vous risquez de couler. Celui-ci se projette volontiers dans l'avenir en s'inquiétant à l'avance pour des événements qui ne se sont pas encore produits, ou alors il rumine sur le passé. Pendant ce temps, vous passez à côté de l'instant présent, qui est le seul moment que vous ayez pour apprécier la vie.
La pleine conscience, une pratique d'origine bouddhiste, consiste justement à concentrer son attention sur les sensations qui se présentent sur le moment. Dans mon centre, la clinique de Réduction du stress, nous aidons les patients à réaliser que l'humain n'est pas qu'une machine à penser. Comme le disait le philosophe Pascal: "Le coeur a ses raisons que la raison ignore."
Quels résultats obtenez-vous avec votre thérapie?
J'ai
mis au point mon programme de réduction du stress par la pleine
conscience en 1979. Il a légèrement évolué depuis, puisqu'il se déroule
désormais sur huit semaines, au lieu de dix initialement. Je vois de
nettes et rapides améliorations dans des maladies comme le trouble
anxieux généralisé et la dépression, mais aussi dans les douleurs
chroniques. L'effet sur le psoriasis, une maladie de peau d'origine
mystérieuse, est spectaculaire.
La France découvre seulement vos travaux. Un peu tard?
Je
connais bien la France, car j'ai fait ma classe de seconde au lycée
Henri-IV, à Paris, quand mon père, qui était immunologiste, travaillait à
l'Institut Pasteur. Descartes y a fait beaucoup de dégâts... Les
Français se disent rationnels. Pour eux, la séparation du corps et de
l'esprit est aussi évidente que celle de l'Eglise et de l'Etat. Il
faudrait qu'ils reviennent enfin sur ce dogme qui conditionne énormément
la psychologie et, je crois, la médecine dans ce pays.
Jusqu'en 2008, mes livres avaient été publiés partout en Europe, sauf
en France. Cela m'a surpris, alors que la culture française est synonyme
d'art de vivre dans le monde entier. Les Français ne voudraient-ils pas
être heureux ?
Mais vous faites école dans d'autres pays...
Cet été, j'ai rencontré le ministre de la Santé écossais, Harry Burns,
qui est en butte à l'un des taux de mortalité les plus élevés d'Europe.
Il entend maintenant utiliser des programmes de pleine conscience pour
"réveiller sa population", transformer sa relation au travail, à
l'alcool, à la violence, surtout conjugale, qui atteint des niveaux
pathologiques. Au mois d'avril, j'étais à Londres, où j'ai été reçu au 10 Downing Street par un conseiller du Premier ministre. La veille, j'avais passé dix heures avec des lords et des membres de la Chambre des communes, dont certains revenaient d'un de nos séminaires de formation. Il y a encore cinq ans, tout cela aurait été impensable.
La Sécurité sociale britannique, la NHS, prescrit déjà la méditation en pleine conscience pour le traitement de la dépression chronique. D'ailleurs, cette maladie touche des personnes de plus en plus jeunes. Au début du siècle dernier, c'était essentiellement un problème de vieux. Aujourd'hui, ce sont surtout les jeunes de 12 à 15 ans qui sont concernés.
Comment expliquez-vous l'anxiété de la jeune génération?
On en revient à Jean-Paul Sartre,
à l'idée d'aliénation existentielle. Comment un enfant pourrait-il
s'intégrer à une société où, de son point de vue, les adultes sont
devenus fous? L'année dernière, j'étais assis avec ma femme à une
terrasse de café à Strasbourg, et j'ai vu une jeune mère, à une autre
table, pendue à son téléphone pendant une heure et demie tandis que son
enfant de 3 ou 4 ans tentait en vain d'attirer son attention. On parle
beaucoup de trouble du déficit de l'attention [l'hyperactivité] à propos
des enfants, mais c'est celle des parents, distraits par la
technologie, qui laisse à désirer !
Comment pourrait-on venir à bout des phobies scolaires?
En
Grande-Bretagne, je travaille à un projet avec le ministère de
l'Education pour adapter la pleine conscience au milieu scolaire. Plutôt
que de hurler sur les gosses, pourquoi ne pas leur apprendre à prêter
attention? Comme un musicien accorde au préalable son instrument, les
élèves doivent apprendre à apprendre, à revenir d'abord dans leur corps,
à calmer leurs esprits anxieux pour être capables de recevoir une
nouvelle connaissance.
Vous arrive-t-il d'éprouver de l'anxiété?
Parfois.
J'ai beau me soustraire à 99% des sollicitations, le 1% restant est
souvent trop pour le temps qui m'est imparti. Je médite, bien sûr.
Ensuite, je tente de cultiver un équilibre dynamique dans ma vie, qui
consiste à passer d'un déséquilibre à l'autre. Je reviens de
Grande-Bretagne, auparavant j'étais en Corée et au Japon. Je vais partir
dix jours en Israël. Mais je ménage des plages de temps pour ma vie
personnelle, pour me ressourcer, ou encore rendre visite pendant une
semaine à mes petits-enfants, en Californie.
Le nouveau maître de la sérénité
Pour saisir la personnalité singulière de Jon Kabat-Zinn, il faut
s'imaginer le dalaï-lama qui aurait soutenu sa thèse de biologie
moléculaire au MIT, la plus prestigieuse des universités américaines.
Ses travaux résultent du mélange détonant de la science et de la
spiritualité, et font école dans le monde entier. Les résultats de sa
thérapie de "réduction du stress fondée sur la pleine conscience" sont
si probants, dans l'anxiété et la dépression, que la Sécurité sociale
britannique la prend désormais en charge. Son dernier livre: A chaque jour ses prodiges. Etre parent en pleine conscience (Les Arènes, 2012). Ses deux ouvrages de référence: Où tu vas, tu es. Apprendre à méditer pour se libérer du stress et des tensions profondes (J'ai lu, 2005); Au coeur de la tourmente, la pleine conscience (De Boeck, 2009).
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