Son nom commence par «A»...
- Copenhague 2009, pour la conférence sur le climat. REUTERS/Christian Charisius -
Léon Tolstoï a écrit: «Toutes les familles heureuses se ressemblent; chaque famille malheureuse est malheureuse à sa manière.»
On peut ajouter que si les malheurs de certaines familles restent
confinés au sein du cercle des proches, d’autres répandent les maux qui
les affectent bien au-delà.Les vicissitudes de la pauvre famille Tsarnaev, par exemple, ont eu des répercussions sur toute la ville de Boston. Les deux frères, Tamerlan et Dzhokhar, ont décidé que la meilleure façon de canaliser leur mal-être était d’assassiner des innocents à l’occasion du marathon de Boston.
Il en va de même pour les régions du monde. Les tragédies de l’Afrique ou de l’Amérique latine ont tendance à rester dans les frontières de ces continents. Quoique, l’émigration massive d’Africains en Europe ou de Latino-Américains aux Etats-Unis illustre bien le déplacement des problèmes d’un continent vers un autre. Mais cette contagion est de moindre ampleur que la crise financière et économique née aux Etats-Unis, dont des millions d’hommes et de femmes, partout dans le monde, mais surtout en Europe, continuent de faire les frais.
Le fait est qu’il existe des régions du monde plus «systémiques» que d’autres. C’est-à-dire des régions dont les problèmes frappent tous les habitants de la planète, aussi éloignés géographiquement soient-ils. La question est donc de savoir lequel des cinq continents ou des grandes régions devrait engendrer le plus de malheurs, à l’avenir, dans le monde.
L’une des façons d’y répondre consiste à penser au type de menaces qui circulent le plus facilement et ne rencontrent ni frontières, ni barrières, ni politiques publiques qui puissent les contrecarrer. Désormais, nous savons que les crises financières appartiennent à cette catégorie. Si la Chine venait à subir un krach comme celui qui s’est produit aux Etats-Unis, aucune partie du monde ne serait épargnée. Idem si le jeune dictateur nord-coréen continue de vouloir une guerre nucléaire!
A mon sens, la région du monde qui représente le plus de menaces est l’Asie. Je vais peut-être surprendre ceux qui voient dans le miracle économique asiatique une source de stabilité et de prospérité internationales. Ou ceux qui estiment que le Proche-Orient réunit les conditions d’une vague prolongée et croissante de conflits armés, de radicalisation religieuse et de terrorisme qui, comme chacun sait, ne sont pas sans conséquences ailleurs dans le monde. Tout cela est vrai... Mais je crains que les problèmes qui nous viendront d’Asie ne soient d’autant plus complexes que ces grosses puissances économiques continueront d’afficher une bonne croissance.
Il me semble que les principales menaces qui guettent actuellement l’humanité sont:
- Le changement climatique;
- La prolifération nucléaire;
- L’apparition d’une maladie incurable qui se propage de pays en pays et d’un continent à l’autre, faisant des millions de victimes;
- Les crises économiques mondiales;
- Un conflit armé entre deux puissances militaires (ou plus), par exemple la Chine et l’Inde.
Une croissance menaçante
Or, l’Asie est le continent qui compte le plus de pays ayant le potentiel de créer et de diffuser ces cinq problèmes. En soulignant le considérable et très bienvenu succès économique des tigres asiatiques, on occulte le fait que cette région recèle aussi les principales menaces à la stabilité internationale. Selon la Banque asiatique de développement, l’Asie est en passe de doubler sa consommation de pétrole, de tripler celle de gaz naturel et d’augmenter de 81% son usage de charbon hautement polluant. Résultat, elle va doubler ses émissions de dioxyde de carbone d’ici 2035. Selon les estimations des experts, l’Asie émettrait alors à elle seule une quantité de CO2 équivalente au niveau maximal que devrait totaliser l’ensemble de la planète!L’Asie est aussi le continent où prolifèrent le plus d’armes nucléaires. Non seulement des pays à haut risque, à l’image de la Corée du Nord ou du Pakistan, disposent de la bombe atomique, mais plus grave encore, les gouvernements de ces pays ont été tout à fait disposés à vendre leur technologie nucléaire au plus offrant. Parmi les conflits armés qui durent longtemps, beaucoup se déroulent en Asie: de l’Afghanistan au Sri Lanka, en passant par le Cachemire et les insurrections armées interminables en Indonésie et aux Philippines. Et c’est là que se trouvent les frontières les plus explosives du monde: entre Chine et Inde, entre Pakistan et Inde et entre les deux Corées.
La pandémie de grippe aviaire est née en Asie. Bien qu’elle n’ait pas fait autant de morts qu’on pouvait le craindre, elle a alerté le monde sur le risque que les épidémies qui touchent ce continent se propagent rapidement ailleurs.
Ces accidents et problèmes qui trouvent leurs origines en Asie sont-ils inévitables? Certainement pas. Une chose est sûre, ils méritent que l’on s’y attaque en priorité par rapport à d’autres questions qui mobilisent régulièrement l’attention de la communauté internationale.
Moisés Naím
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