C'était il y a un an : Kodak se déclarait en faillite.
Pourtant, ce n'était pas faute d'avoir innové constamment tout au long
de son histoire, en témoignent les 19.000 brevets déposés par la marque.
En 1975, Kodak avait même inventé l'appareil photo numérique mais avait
renoncé à le développer pour ne pas mettre en péril son business
model : vendre à prix cassé des appareils photos mais à prix d'or des
pellicules (bon, ce n'était pas un coup d'essai : Kodak avait déjà
laissé filer la photocopieuse et l'imprimante...). L'entreprise n'est
pas morte faute d'intelligence, pas même faute d'avoir sous-investi dans
la recherche, mais par les effets conjugués du court-termisme et de son
incapacité à concevoir un nouveau modèle - ici économique - en rupture
avec le précédent ; Kodak est mort par peur du changement.
C'est ce qui menace l'école publique et l'université.
Les tiroirs du ministère débordent de rapports et de travaux de
recherche analysant aussi bien les facteurs d'échec intrinsèques à
l'organisation de notre système éducatif que les solutions qui
permettraient de les neutraliser. Les comparaisons internationales
fournissent également leur lot d'enseignements utiles.
Un exemple ? La formation des enseignants, initiale et surtout
continue. Ce qu'indique le bon sens est confirmé par de robustes
analyses : elle est la clé de l'amélioration du système. L'on s'apprête
pourtant à remettre en selle une formation essentiellement consécutive
(le théorique d'abord, le pratique ensuite), alors que les formules
gagnantes sont simultanées, et assorties d'efforts massifs en direction
des enseignants déjà en poste. Un autre ? La transmission des savoirs et
savoir-faire. Le numérique peut jouer un rôle d'accélérateur
extraordinaire, dès lors qu'il est intelligemment combiné avec d'autres
formes - le cours classique, le tutorat individualisé ou en petits
groupes, l'apprentissage par l'expérience, etc. Mais il s'invente de
manière décentralisée, se déploie grâce à la mise en réseau, s'invente
aussi bien dans le privé que dans le public. Que s'apprête-t-on à
faire ? Produire des ressources standardisées. Encore un ? Les
universités qui rayonnent au niveau mondial combinent une
impressionnante puissance de feu en matière de recherche, une forte
capacité de repérage et d'attraction des meilleurs potentiels, des liens
étroits avec le monde économique. Que fait la France ? Elle cède aux
organismes de recherche les moyens et l'excellence, aux classes prépas
des lycées la formation des élites, aux grandes écoles les liens avec
les entreprises. Pour l'université ? Rien, ou si peu au regard des
enjeux.
Le service public d'éducation, de la maternelle à l'université, ne
manque pas de ressources pour innover. Mais la protection de son modèle,
de ses habitudes, parfois de ses privilèges, le rendent impuissant à
changer de paradigme. Dans un siècle, quelque historien formulera
peut-être sur la perte d'influence du service public la question que
formulent aujourd'hui les analystes à propos de Kodak : pourquoi ont-ils
échoué alors qu'ils hébergeaient autant d'énergies et d'intelligence,
et qu'ils savaient ce qu'il fallait faire?
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