Car article est publié sous une
forme proche dans l'excellente revue Transversus, 4e édition, qui ajoute
une très belle mise en page à une série de textes originaux et denses sur le management transverse. Le support papier reste indispensable dès lors qu'il créee une valeur ajoutée tangible.
http://transversus.fr/ pour commander la revue
Line avec le site Xerfi où ces thèmes ont fait l'objet de développement
http://www.youtube.com/watch?v=SswoEbhUeZA
Imaginer le travail au XXIe siècle,
c’est reconnaître et orchestrer une révolution ! Le travail, dans
toutes ses acceptions, connait une profonde remise en cause. Dans tous
les pays matures on observe simultanément une réduction du nombre
d’emplois disponibles et une mutation dans le contenu du travail et dans
les comportements face au travail. Une croissance durablement molle
dans nos pays conduit à une augmentation du taux de chômage et un
alourdissement des coûts de la solidarité. Cette situation est critique
et appelle des réponses toniques.On ne peut pas exclure en permanence
des talents.
Dans les pays émergents, la mutation va
être rapide et d'ailleurs poser de multiples problèmes d'adaptation
d'une population encore peu qualifiée.
Or comme à chaque grande étape de
l’histoire, c’est l’innovation technique et sa diffusion dans la société
qui vont induire un renouveau. Cette innovation s’appelle, en ce début
de XXIe siècle, le numérique. Comprendre comment le numérique va
bousculer notre vision classique du travail et transformer la production
de richesses est aujourd’hui un impératif. En effet, vouloir relancer
la créativité et la confiance dans le futur avec les solutions du passé
serait illusoire. Intégrer dans la réflexion et l’action la profonde
transformation que nous sommes en train de vivre dans la production et
la diffusion de connaissances est devenu urgent. Mais c’est un défi
complexe tant notre conception du travail est enracinée dans un
inconscient profond qui se traduit par des règles de fonctionnement de
la société difficiles à faire évoluer. La compétition mondiale
bouleverse le cadre du travail Le monde est devenu global, plat,
l’information nous connecte en permanence à toutes les idées, tous les
produits mais aussi tous les drames de la planète. En douze ans, 5,2
milliards de terriens ont accédé au téléphone mobile et 2,2 milliards
aux services du web. Cette globalisation nous percute dans toutes les
dimensions de notre activité, privée comme professionnelle. Nous savons
tout et tout de suite, mais en même temps le champ des opportunités
individuelles semble se contracter. Car l’image du travail et sa portée
sociale n’ont pas fondamentalement changé dans nos codes sociaux, alors
même que pour la très grande majorité des acteurs sociaux, la
pénétration profonde des outils et de la pensée « numérique » ont
transformé la vie quotidienne. Il y a là un paradoxe qui nourrit
l’incertitude contemporaine. Or ce sont la nature et le contenu du
travail qui intègrent ces contradictions. Les signaux négatifs qui ont
été envoyés aux salariés au cours des dix dernières années n’incitent
pas à exalter les valeurs du travail salarié et stimuler la confiance.
Les messages sur l’intensification des efforts pour développer la
compétitivité ont certes pu séduire, dans une première phase, car les
salariés font preuve d’une grande lucidité et sont conscients qu’une
entreprise moribonde aura peu de chance de leur proposer un travail
stimulant… et durable. La compétitivité est stimulante mais doit être
accompagnée d’un sentiment d’équité dans le partage de l’effort et sa
rémunération. Or l’accroissement considérable de l’écart des
rémunérations autant que la suppression d’effectifs devenue une
constante fatale des stratégies d’ajustement font peser sur les salariés
un profond sentiment d’inéquité et d’inquiétude. Travailler plus et
mieux ne protège pas. L’exposition permanente au changement est plus
vécue comme un échec que comme une opportunité car dans notre pays la
mobilité professionnelle n’a pas été assez encouragée et préparée. La
culture d’enracinement local ne favorise pas la mobilité d’ajustement et
l’Europe n’est pas pour la majorité des travailleurs une option
crédible de mobilité géographique. L’absence de solutions visibles dans
le cadre actuel à la contraction du travail ne favorise évidemment pas
la motivation. Moins de travail d’une part, un travail profondément
changé de nature par les technologies numériques, d’autre part
constituent le champ habituel de la perception actuelle du travail. Le
déploiement massif des technologies de l’information a été perçu plus
comme une source de déstructuration des compétences et de
complexification du travail que de simplification et d’enrichissement.
Les études, comme celles conduites à l’Université de Paris Dauphine par
Michel Kalika et Henri Isaac, montrent que les techniques désormais
classiques – bureautique, messagerie, ERP – encadrent de façon formelle
le travail individuel par un rituel qui attache à son ordinateur plutôt
qu’il ne libère l’initiative individuelle. Le temps contraint déborde
facilement sur la sphère de la vie privée, alors que la mobilité permise
par la technique ne donne pas la liberté promise faute d’un
accompagnement managérial adapté.
La journée de travail, un cadre conformiste
Le lien électronique avec l’entreprise
accroît l’amplitude de la journée de travail plus qu’il ne libère la
capacité d’initiatives. Comme les formes traditionnelles de management –
réunion de service, communication hiérarchisée – persistent, les
salariés ont le sentiment que les technologies de l’information ajoutent
une couche de complexité et de travail, isolent et contraignent
plutôt qu’elles ne libèrent. Ce millefeuille organisationnel déroute et
dans de nombreux cas conduit à l’accroissement du stress et du sentiment
de ne jamais parvenir à atteindre ses objectifs. Repenser le travail à
l’heure de la globalisation numérique Il est facile de professer que
dans un marché ouvert et mouvant, les compétences doivent être multiples
et adaptables. Le numérique oblige certes à repenser le fonctionnement
de l’entreprise comme un réseau ouvert sur l’extérieur et non plus
comme une pyramide fermée. Ce ne sont plus les mêmes profils de
compétence et de comportement. Mais l’ouverture, la flexibilité, la
prise d’initiatives, la collaboration spontanée, ne constituent pas des
propriétés naturellement développées et encouragées dans tous les
milieux professionnels. Elles sont pourtant au cœur de l’efficacité
numérique. Or enfermés dans une logique verticale de compétences,
cloisonnés dans des organisations pyramidales rigides, les salariés ont
trop fait confiance à l’entreprise pour qu’elle prenne en charge leur
employabilité au risque d’en devenir totalement dépendants et de ne plus
être acteurs de leur destinée. Réinventer les parcours de travail au
cours de la vie à l’ère du numérique implique de multiples changements
dans notre compréhension du travail contemporain, dans les organisations
et la culture managériale mais aussi dans l’affirmation de sa
responsabilité individuelle dans le développement de son parcours
professionnel. L’inéluctable réduction du volume de travail nécessaire
Le travail est plus que jamais un phénomène complexe
Chaque situation individuelle doit se
comprendre à la fois dans sa dimension catégorielle et tout au long de
la vie. Les étapes et les choix sont multiples : étudiants prolongés,
salariés et non-salariés, travailleurs au forfait ou entrepreneurs,
travailleurs à temps plein ou à temps partiel, par choix, ou contraint,
chômeur actif ou résigné, retraité précoce, tardif, inactif ou
hyperactif. C’est une question de statut professionnel -un travailleur
indépendant n’aura pas le même profil de vie qu’un fonctionnaire -, de
choix de vie et de sur-détermination sociale. On ne choisit pas par
hasard une filière professionnelle et un statut social. Mais à chaque
situation ce sera la relation au travail qui établira le statut perçu et
le lien par rapport au tissu social.
Le travail reste la référence classique
de l’analyse sociale et politique. Or paradoxalement grâce à
l’allongement de la vie et aux gains de productivité, nous sommes
collectivement « condamnés » à travailler de moins en moins. Depuis le
début du XXe siècle, la durée moyenne, toutes catégories confondues, du
travail effectif est passée de 200000 heures à 67000 heures. Nous vivons
désormais grâce à l’allongement de la vie, et à l’amélioration de
l’efficacité productive, deux vies complètes, une vie de travailleur et
une vie de rentier. Comme on a gagné plusieurs centaines de milliers
d’heures de vie en un siècle pour vivre 700000 heures, le travail ne
représente plus que 12% de notre existence, contre 40% à la fin du XIXe
siècle, mais nous passons 15% de notre vie devant un téléviseur et 30% à
dormir*… Par rapport à nos grand-parents, nous sommes tous de grands
fainéants, et en plus nous nous plaignons. Bien sûr les moyennes ne
sont que des outils bien sommaires pour rendre compte de la réalité, de
notre réalité individuelle qui seule compte. Mais quelle réalité ?
Est-ce qu’un footballeur qui ne travaille que quelques heures par
semaine sur l’année, ou un pilote d’Airbus A380, ou un président de la
République, à la tâche 7 jours sur 7, doivent être jugés sur la durée
de leur travail apparent ? La leçon quotidienne sur les jugements
péremptoires que nous portons sur le travail… des autres incite à
beaucoup de prudence et de modestie. Le constat incontestable est que
nous vivons beaucoup plus longtemps, et en bonne santé, et que nous
avons besoin de beaucoup moins travailler pour vivre longtemps et en
bonne santé. Il faut s’habituer à cette réalité troublante qui ne
correspond pas nécessairement au vécu individuel. Le travail ne devient
plus qu’un cas très particulier de notre passage sur terre. Il va même
plonger au dessous de 10% du temps de vie dans un futur immédiat. Bonne
nouvelle, bien sûr ! Mais aussi défi majeur pour une société qui avait
construit tous ses mécanismes de transfert sociaux sur… le travail !
Le numérique redéfinit le champ du travail
Dans ce contexte nouveau, l’irruption du
numérique brouille totalement les références. L’économie est
indissociable du système socio-technique qui la soutient. Or depuis la
révolution industrielle le travail n’est pas le seul facteur de nos
progrès. Il n’y a pas de relation évidente entre le volume de travail («
plus » de travail), le niveau de production et la rémunération.
L’informatique et la robotisation, appliqués aux processus stables et
aux données structurées, comme le numérique appliqué aux données non
structurées, ont depuis quarante maintenant changé profondément la
nature du travail. Mais ce processus s’accélère avec des conséquences
nouvelles dès lors que la création de valeur résulte de la connexion de «
cerveaux d’œuvre » échappant aux cadres classiques de l’organisation du
travail ! Le travail a d’abord été utilisé pour apporter une réponse
urgente aux besoins des couches basses de la pyramide de Maslow…
survivre ! Se nourrir, se protéger des intempéries, du chaud et du
froid, assurer la pérennité de l’espèce ont fourni pendant des
millénaires le cadre naturel et obligé des échanges économiques. Il a
fallu que la découverte des machines nous dotant d’une prothèse
musculaire efficace ainsi que les progrès dans la compréhension de
notre environnement naturel nous permettent de faire des gains
significatifs dans la productivité du travail pour nous arracher à cette
zone de survie précaire. Ce n’est pas la seule intensification du
travail qui a permis à l’humanité de progresser, mais la science et la
technique. En même temps, le déploiement de nouvelles techniques
apportait à chaque étape son lot de destructions créatrices. L’exemple
du métier à tisser de Jacquard est le premier d’une longue série. Quand
on observe le travail d’un paysan qui récolte les foins en quelques
heures, seul au volant de son tracteur climatisé, on se souvient d’un
passé proche où cette tâche impliquait des dizaines de personnes,
enfants et vieillards inclus… La mécanisation, puis l’automatisation et
enfin l’informatisation ont cassé le lien linéaire entre le volume de
travail et le volume de production. La croissance économique s’est
construite par la réduction du volume de travail qui est le produit du
nombre de travailleurs par la durée du travail pour une technique
donnée. Et ce processus va continuer à opérer en touchant les métiers
tertiaires encore peu transformés par le développement de la
numérisation totale de toutes les activités. La transformation de la
distribution avec les scanneurs de caisse et le paiement sans contact
peut affecter des centaines de milliers d’emplois. Or ce processus est
largement engagé. Le remplacement des caissiers de banque par des
distributeurs automatiques en a été le précurseur. L’industrie a du son
essor par la maîtrise de ce processus de transformation. L’automobile
illustre clairement ce phénomène. Au début du XXe siècle les premières
voitures automobiles étaient construites à l’unité à la main. C’étaient
des produits artisanaux, extrêmement coûteux, réservés à une élite. Il a
fallu Henry Ford dès 1908 pour comprendre que ce produit rencontrerait
une demande forte si on en abaissait considérablement le prix de
production, et pour cela il fallait casser le modèle de production
unitaire pour passer à la grande série. Standardisation et mise en place
de chaînes d’assemblage servies par des ouvriers exécutant des tâches
simples et répétitives ont permis le décollage de cette industrie. C’est
donc la rupture dans la conception qui a permis la croissance, non pas
l’intensification du travail. Ce processus a progressé avec la
robotisation qui a conduit à un accroissement de la qualité et à la
réduction tant de la pénibilité du travail que du nombre de
travailleurs. Le volume de travail direct engagé pour construire une
voiture moderne est très faible. L’usine Renault de Flins est passée de
21000 salariés dans les années 70 à moins de 3000 aujourd’hui pour une
production certes réduite de 50 %.
Travail, emploi, statut, rémunération, le grand bazar
Tout se mélange ! Si un grand nombre
d’emplois restent associés à un cycle de tâches élémentaires directement
liés au temps qui leur est consacré – coupe de cheveux, par exemple,
nombre de client reçus à un guichet par heure… -, la plupart des emplois
modernes dissocient temps de travail et production. C’est le cas de
tous les emplois conceptuels - les manipulateurs de symboles - dont la
production intellectuelle n’est pas fonction du temps qui lui est
consacré. L’exemple parfait est celui du chercheur. Les professions de
création ne permettent pas d’établir un lien prédictible entre le volume
de travail, le résultat atteint et la rémunération qui en découle.
Partout dans la société les travailleurs utilisent un outil informatique
pour concevoir, produire, décider, diffuser de l’information et de la
connaissance. Mais cet usage, utilitaire et fragmenté, n’a pas encore
faire émerger un modèle alternatif de production ni changé l’image du
travail.
Le développement de l’immatériel est une
opportunité. L’arrivée de l’informatique, puis du web sont en train
de bouleverser les mécaniques du travail. L’usage des outils pour
produire des données comme pour les comprendre et en tirer parti pour la
décision est le lot de la plupart des travailleurs dans les économies
modernes. Or plus de travail ne permettra pas de faire plus de courriels
pertinents, plus de tableaux Excel utiles, plus de présentations
PowerPoint probantes. Les heures de bureau, entrecoupées des pauses
cigarette et café, et d’interminables réunions, sont une série de
sprints courts pour produire de l’information et l’envoyer telle une
bouteille à la mer sur le réseau. Le lieu de travail lui-même n’est plus
le cœur indispensable de l’activité, puisqu’on garde le lien avec les
problématiques du travail bien au-delà de l’horaire légal. Le
télétravail donne un sentiment de confort additionnel, puisqu’il évite
les déplacements, mais crée l’isolement et se révèle délicat à
organiser. Une idée peut naître n’importe où, n’importe quand, se
propager instantanément et apporter des résultats clivants ou
simplement rejoindre le cimetière des fausses bonnes idées… La
dématérialisation du travail a de nouveau dissocié le lien entre temps
de travail, lieu de travail, production, efficience et rémunération. Il
reste que le travail contribue à beaucoup plus de fonctions que
produire… Le travail procure un statut social, des horaires, un lieu de
travail, des collègues, un environnement de socialisation et… une
rémunération. Il y a dissociation entre le travail, mesuré en heures, le
produit final et la rémunération. La place dans l’organisation, la
reconnaissance par les pairs, l’image et le leadership deviennent plus
important que le seul travail fourni. L’autorité et le lien de
subordination sont moins efficaces quand il s’agit d’agir sur la
capacité de conception que lorsqu’il ne s’agit que de maîtriser une
contribution « musculaire ».
On rémunére quoi : la présence ou la résolution de problèmes ?
Le numérique fabrique de nouvelles
logiques d’interaction entre acteurs. Au siècle des réseaux et du
cerveau d’œuvre, alors que la dématérialisation multiplie à l’infini,
idées, sons et images, il faut admettre que produire du sens devient
aussi important que produire des biens. Or la production intellectuelle
échappe aux contraintes habituelles du travail : le contrat, le lieu,
le statut, les horaires et la rémunération. Le web en rendant possible
chacun de ces transgressions est un puissant outil de déstructuration
des formes anciennes et de réinvention de nouveaux rapports de création.
La société en réseaux s'appuie sur le
constat lucide que seul on ne peut rien. La production d'intelligence
collective en réseau est le moteur d’une nouvelle économie et d’une
nouvelle société. Affranchis des contraintes conventionnelles issues de
la fragmentation de la société, la mise en synergie des talents peut
trouver des réponses radicalement nouvelles aux problèmes de notre
société et combler les lacunes des mécanismes classiques. Mais cette
transformation pose de redoutables problèmes. Est-ce que le marché, qui
demeure le moins mauvais des systèmes d'arbitrage, peut inventer les
modèles de régulations jugés souhaitables ? Le développement de la
gratuité comme forme courante des échanges sur le web permet-il la mise
en place de mécanismes de rémunération du travail et des idées
acceptables ? Utopie ? Certainement moins que l'idée d'atteindre
couramment cent ans pouvait apparaître folle au XIXe siècle au temps de
Karl Marx... Il faudrait d’abord reconnaître que toutes ces questions ne
constituent pas un problème mais une formidable opportunité puisque,
pour la première fois dans l’histoire, nous avons désormais le choix
d’inventer et non pas de subir ! Alors peut-on imaginer reconstruire le
« travail 2.0 » autour des nouvelles pratiques sociales et
collaboratives pour faire oublier le désenchantement actuel ? La
génération Y va-t-elle imposer des modes nouveaux de comportement et
ouvrir des voies nouvelles de production de la performance ? Car plus
que jamais la notion de performance économique, indispensable à la
communauté, ne peut être dissociée de la dynamique de la compétence et
de l’engagement. Il paraît clair que cette net-génération traite le
travail avec le plus grand sérieux mais ne souhaite pas pour autant
renoncer à son mode de fonctionnement à la fois individualiste et
tribal. Les valeurs et l’éthique, la quête du sens, l’autonomie, le
plaisir ne sont pas perçus comme contraires à l’intérêt de l’entreprise.
Cette génération pratique entre le travail et le reste de la vie une
continuité multitâche comme ils jonglent entre leurs objets numériques.
La net-génération n’est pas celle du « ou » mais du « et » et souhaite
piloter librement dans la vie professionnelle ce zapping permanent
qu’elle a exploré avec délice dans les années d’adolescence. Elle ne
fait pas plus confiance à l’entreprise qu’à la société et à la politique
pour régler ses problèmes. Mais elle est prête à s’impliquer dès lors
qu’elle en retire de la satisfaction individuelle plus que de la
reconnaissance formelle. L’entreprise doit donc réinventer des modes de
fonctionnement novateurs pour réconcilier performance collective et
accomplissement individuel, dans un contexte général où le travail
classique n’est plus l’unité de mesure stable et reconnue par tous.
De nouveaux schémas d'organisation et de production de sens : les six sentiers
Ce qui compte dans le monde des affaires
mais aussi des collectivités publiques n'est pas tellement où on est
mais où on va. Si l'entreprise veut avancer, elle doit se mettre en
mouvement, c'est tautologique ! Or très souvent on entend les adeptes du
progrès immobile expliquer qu'il faut marcher, mais pas prendre de
risque. Tout bébé d'un an sait que c'est en prenant des risques qu'on
apprend à marcher. Pour mobiliser les compétences au service d’un projet
de performance globale, six axes doivent être explorés de façon
simultanée afin de définir le champ d’une stratégie numérique
d’entreprise. Ce sont ces six sentiers qu'il faut défricher sans crainte
en construisant la confiance entre tous les acteurs du système :
- Porter le client au cœur de nouvelles
interactions numériques, en misant sur la capacité d’initiative du
client « expert » et en sollicitant ses réactions et contributions
- Faire de l’entreprise étendue un écosystème efficient, fondé sur la richesse des interactions entre partenaires
- Intégrer la mobilité spatiale des collaborateurs comme vecteur de performances
- Recomposer de façon permanente les
combinatoires de compétences au sein du cœur stabilisé de
l’organisation, mais aussi du réseau élargi en misant sur la « sagesse
des masses »
- Faire émerger les nouvelles valeurs du manager numérique, leader plus que patron, coach plutôt que chef
- S’insérer dans la mondialisation numérique en pratiquant ces nouvelles règles dans le cadre territorial le plus large
Peu d’entreprises ont engagé cette
transformation en dehors des grands leaders de l’industrie numérique,
comme Google ou Cisco. IBM envisage de recourir à grande échelle au »
sourcing de masse » (crowdsourcing). Les industriels associent les
internautes à la conception du produit et rémunèrent les meilleures
contributions comme Fiat l’a fait pour sa 500 et continue à le faire
pour ses produits futurs. Mais ils font école. Les PME innovantes sont
de plus en plus nombreuses et pas seulement dans le monde des start-up
du web. Citons l’exemple de l’entreprise Lippi, fabricant de clôtures
métalliques en Charente, qui a l’occasion d’un changement de génération
de dirigeants propriétaires, a repensé totalement ses processus à
travers l’exploitation de toutes les techniques du web. Un wiki
consigne les meilleures pratiques, magasinier et secrétaire commerciale
échangent par Tweeter, les vidéos des sites sont conçues par le
personnel. Et tout le monde, sans exception, a été formé pour être à
l’aise avec la culture et les outils numériques. Les résultats
économiques suivent l’enthousiasme du personnel. Leur adhésion au projet
d’entreprise collectif ne les prive pas de conduire leur propre projet
entrepreneurial, ce qui renforce autonomie et capacité d’initiative. Il
s’agit en effet de penser une modernisation radicale du projet
d’entreprise à partir des outils mais surtout d’une mutation des
comportements. Il est vrai qu’aujourd’hui les réseaux sociaux semblent
incarner ce mode de fonctionnement.
Mais il serait vain d’y voir une forme
nouvelle et spontanée de management pour séduire les collaborateurs. Les
ficelles du « management cool » sont trop grosses pour convaincre et
peuvent au contraire faire fuir. Le tutoiement imposé ne supprime pas
les distances de statut, de culture, de rémunération. Cela ne peut pas
faire de mal, encore que...Faire le pari de l’authenticité et de la
rigueur pour construire les bases de l’économie de la connaissance
paraît un choix plus durable. Le management collaboratif de la
connaissance est une opportunité majeure qu’il ne faut pas gadgétiser.
Dire les choses, sans complaisance ni condescendance, faire confiance à
la lucidité et organiser, sans arrière-pensée, les conditions du
débat pour construire une efficacité renouvelée constituent un chemin
exigeant mais plus robuste. On voit bien que la technologie ne peut être
qu’un adjuvant pour replacer le travail dans une dynamique positive.
C’est une opportunité considérable, mais insuffisante. Elle ne se
substituera pas à la recherche de sens qui pousse les êtres humains à
avancer ensemble.
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