Pour comprendre l'antagonisme entre le Nord et le Sud, il faut remonter bien plus loin que la guerre froide.
- Un garde-frontières nord-coréen, en avril 2013. REUTERS/Jacky Chen -
n connaît l’histoire. A la suite de la Seconde Guerre mondiale, la Corée est coupée en deux, avec une zone d’occupation soviétique au nord, et américaine au sud. Comme en Allemagne, cette situation aboutit à la naissance de deux Etats distincts en 1948, mais contrairement à l’Allemagne, la situation se tend au point de provoquer une guerre, de 1950 à 1953. Depuis, la Corée est toujours scindée en deux et la situation demeure explosive.
L’escalade de ces dernières semaines semble éloigner encore davantage l’espoir d’une réunification (le 6 mai, Pyongyang a fait redescendre la pression en retirant deux missiles de leur site de lancement). Mais historiquement, la Corée a bien moins été unie et indépendante que partitionnée ou vassalisée.
C’est aux environs du quatrième siècle avant notre ère, soit, sensiblement, la période où la Corée entre dans l’âge du fer, que naît la civilisation coréenne. Mais ce premier «royaume de Corée» a une existence assez brève. Dès le deuxième siècle avant notre ère, la Chine des Hans envahit en effet la péninsule et incorpore la Corée à son empire. Tronçonnée en quatre, la Corée devient une région vassale de la Chine. Mais cette domination s’étiole de plus en plus et les Coréens s’émancipent peu à peu.
Au sud de la péninsule, deux grands royaumes cohabitent, celui de Paekche ou Baekje, au sud-ouest et celui de Silla au sud-est, qui affrontent le puissant voisin du nord. Cette période de conflits dure jusqu’au IVe siècle. Elle est marquée par la formation de petites entités étatiques tribales autonomes gravitant autour de ces trois grands royaumes, et par l’érosion progressive de la puissance du royaume de Koguryo au profit de celui de Silla.
Le royaume vit deux siècles d’indépendance, mais en 1231, ce sont les Mongols qui envahissent la Corée et la mettent sous coupe réglée. Ils ne sont à leur tour chassés qu’en 1364 par la nouvelle dynastie Li. Du XIVe au XVIIe siècle, la Corée connaît une nouvelle période d’indépendance et d’unité, avant de retomber sous la domination des Chinois, qui vont administrer la Corée jusqu’à la fin du XIXe siècle.
Surgit alors la guerre sino-japonaise de 1894-95 qui voit le Japon vainqueur contraindre la Chine à reconnaître l’«indépendance» d’une Corée qui, de 1905 à 1945, sera un dominion japonais. Après la capitulation du Japon, la Corée est partagée en deux zones d’occupation, russe au nord et américaine au sud. On connaît la suite.
La comparaison avec l'Allemagne pour une éventuelle réunification n'est guère pertinente. Elle s’arrête en effet à la partition post-Seconde Guerre mondiale. Avant 1871, l’Allemagne n’a jamais été unie, contrairement à la Corée. Elle n’était pas davantage partitionnée en deux ou trois grands Etats mais en une constellation de principautés, royaumes, villes libres et duchés. Et cela explique partiellement pourquoi, alors que les tensions étaient à leur comble entre les deux blocs, c’est en Corée et pas en Allemagne que la guerre éclata en 1950.
Une telle guerre avait certes l’avantage d’être d’une ampleur nécessairement plus limitée, personne ne souhaitant provoquer une Troisième Guerre mondiale. Mais l’antagonisme entre le Nord et le Sud de la péninsule était loin d’être une donnée récente ou une simple vue de l’esprit et pouvait apparaître comme une sorte de retour aux sources de l’histoire coréenne. Pour employer une métaphore sportive: les sponsors avaient changé –pas les maillots.
Cet antagonisme entre la Corée du Nord et la Corée du Sud paraît de prime abord étrange –la culture coréenne est remarquablement homogène. Mais l’histoire a montré –comme lors de la guerre qui vit l’éclatement de l’ex-Yougoslavie– qu’une culture ou une langue communes peuvent parfois être à la source de que Freud appelait «le narcissisme de la petite différence» divisant des populations qui, très proches l’une de l’autre, éprouvent le besoin de se différencier à toute force. Voilà pourquoi les Corées ont peut-être de beaux jours devant elles, sinon sur le terrain, du moins dans les têtes des Coréens.
Antoine Bourguilleau
n connaît l’histoire. A la suite de la Seconde Guerre mondiale, la Corée est coupée en deux, avec une zone d’occupation soviétique au nord, et américaine au sud. Comme en Allemagne, cette situation aboutit à la naissance de deux Etats distincts en 1948, mais contrairement à l’Allemagne, la situation se tend au point de provoquer une guerre, de 1950 à 1953. Depuis, la Corée est toujours scindée en deux et la situation demeure explosive.
L’escalade de ces dernières semaines semble éloigner encore davantage l’espoir d’une réunification (le 6 mai, Pyongyang a fait redescendre la pression en retirant deux missiles de leur site de lancement). Mais historiquement, la Corée a bien moins été unie et indépendante que partitionnée ou vassalisée.
C’est aux environs du quatrième siècle avant notre ère, soit, sensiblement, la période où la Corée entre dans l’âge du fer, que naît la civilisation coréenne. Mais ce premier «royaume de Corée» a une existence assez brève. Dès le deuxième siècle avant notre ère, la Chine des Hans envahit en effet la péninsule et incorpore la Corée à son empire. Tronçonnée en quatre, la Corée devient une région vassale de la Chine. Mais cette domination s’étiole de plus en plus et les Coréens s’émancipent peu à peu.
La période des Trois royaumes
C’est ainsi qu’à partir du Ier siècle de notre ère apparaissent bientôt trois grands royaumes en Corée. Le plus puissant est celui de Koguryo ou Goguryeo, au nord. Il a donné à la Corée sa dénomination actuelle (en coréen, la péninsule répond au nom de Chôson). Ayant chassé les derniers Chinois occupant la Corée en 313, le royaume de Koguryo s’étend vers le nord, en Mandchourie.Au sud de la péninsule, deux grands royaumes cohabitent, celui de Paekche ou Baekje, au sud-ouest et celui de Silla au sud-est, qui affrontent le puissant voisin du nord. Cette période de conflits dure jusqu’au IVe siècle. Elle est marquée par la formation de petites entités étatiques tribales autonomes gravitant autour de ces trois grands royaumes, et par l’érosion progressive de la puissance du royaume de Koguryo au profit de celui de Silla.
La Corée vassalisée
Au VIIe siècle, le royaume de Silla s’allie en effet à la Chine des Tang et, grâce à ce concours, parvient à annexer l’ancien royaume de Paekche, au prix d’une présence chinoise renforcée dans la péninsule. Il faut attendre le Xe siècle pour que les Coréens parviennent, à nouveau, à chasser les Chinois de leur péninsule, et assister à la formation de la dynastie Koryo qui, pour la première fois depuis un millénaire, réunit donc l’ensemble de la Corée.Le royaume vit deux siècles d’indépendance, mais en 1231, ce sont les Mongols qui envahissent la Corée et la mettent sous coupe réglée. Ils ne sont à leur tour chassés qu’en 1364 par la nouvelle dynastie Li. Du XIVe au XVIIe siècle, la Corée connaît une nouvelle période d’indépendance et d’unité, avant de retomber sous la domination des Chinois, qui vont administrer la Corée jusqu’à la fin du XIXe siècle.
Surgit alors la guerre sino-japonaise de 1894-95 qui voit le Japon vainqueur contraindre la Chine à reconnaître l’«indépendance» d’une Corée qui, de 1905 à 1945, sera un dominion japonais. Après la capitulation du Japon, la Corée est partagée en deux zones d’occupation, russe au nord et américaine au sud. On connaît la suite.
Le narcissisme de la petite différence
La Corée est-elle condamnée à la partition ou à la vassalité? Si cette dernière, depuis que le XXe siècle a consacré le droit (théorique) des peuples à disposer d’eux-mêmes, semble à ranger au magasin des accessoires périmés, la première n’est manifestement pas tranchée. Dans l’histoire coréenne, l’unité est loin d'avoir été la norme, et on peut donc se demander ce qui se produirait si, comme l’Allemagne, la Corée cessait d’être coupée en deux –et si elle pourrait cesser de l’être et dans quelles conditions.La comparaison avec l'Allemagne pour une éventuelle réunification n'est guère pertinente. Elle s’arrête en effet à la partition post-Seconde Guerre mondiale. Avant 1871, l’Allemagne n’a jamais été unie, contrairement à la Corée. Elle n’était pas davantage partitionnée en deux ou trois grands Etats mais en une constellation de principautés, royaumes, villes libres et duchés. Et cela explique partiellement pourquoi, alors que les tensions étaient à leur comble entre les deux blocs, c’est en Corée et pas en Allemagne que la guerre éclata en 1950.
Une telle guerre avait certes l’avantage d’être d’une ampleur nécessairement plus limitée, personne ne souhaitant provoquer une Troisième Guerre mondiale. Mais l’antagonisme entre le Nord et le Sud de la péninsule était loin d’être une donnée récente ou une simple vue de l’esprit et pouvait apparaître comme une sorte de retour aux sources de l’histoire coréenne. Pour employer une métaphore sportive: les sponsors avaient changé –pas les maillots.
Cet antagonisme entre la Corée du Nord et la Corée du Sud paraît de prime abord étrange –la culture coréenne est remarquablement homogène. Mais l’histoire a montré –comme lors de la guerre qui vit l’éclatement de l’ex-Yougoslavie– qu’une culture ou une langue communes peuvent parfois être à la source de que Freud appelait «le narcissisme de la petite différence» divisant des populations qui, très proches l’une de l’autre, éprouvent le besoin de se différencier à toute force. Voilà pourquoi les Corées ont peut-être de beaux jours devant elles, sinon sur le terrain, du moins dans les têtes des Coréens.
Antoine Bourguilleau
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