Les centrales nucléaires d'Abou Dhabi seront coréennes et pas françaises, Volvo vient d'être racheté par un «petit» constructeur chinois et à Copenhague l'Europe donneuse de leçons a été superbement ignorée.
- A Abu Dhabi, en novembre 2009. Steve Crisp / Reuters -
Les basculements géopolitiques ont rapport avec la tectonique
des plaques. Les forces s'accumulent sous la surface mais restent
invisibles, on les ignore, puis tout craque d'un coup. Les nouvelles
structures apparaissent, nouveaux sommets, nouveaux creux. Il en est
ainsi aujourd'hui de l'Europe. L'Asie est montée en puissance ces
dernières années, l'Asie des usines pas chères. La Chine «atelier du
monde» nous exportait ses téléviseurs et ses jouets. L'Inde «brillante»
nous a montré une intelligence dans les services informatiques.
Singapour a commencé à rivaliser comme place financière. Mais l'Europe
ne s'en est pas alarmée. Chacun sa place au soleil, que l'Asie «émerge»,
nous en profiterons.Aujourd'hui il y a danger. Danger parce que l'Asie ne se contente plus de nous fournir en «produits pas chers». Elle nous dame le pion dans les hautes technologies. Si l'Europe et la France ne répondent pas à ce défi immense posé sur sa place future dans la nouvelle division du travail, elles vont rester impréparées, perdront leurs emplois les plus qualifiés après les emplois ouvriers et elles n'auront alors plus rien à opposer aux arguments protectionnistes. Sans un sursaut contre son déclin accéléré, l'Europe n'aura d'autre choix que de se refermer sur elle-même, comme le fit la Chine dans les années 1820.
L'histoire du déclin européen s'accélère maintenant sous nos yeux. Il y a une semaine, à Copenhague, Chine et Etats-Unis ignoraient l'Europe superbement et écrivaient à deux, appuyés par l'Inde et l'Afrique du sud, le communiqué final du sommet sur le climat. L'Europe donneuse de leçons, l'Europe qui se croyait avant-garde, s'est retournée pour voir que personne ne la suivait. Tandis qu'elle court dans l'impasse des restrictions malthusiennes, les nouvelles grandes puissances, quatre milliards d'individus, s'engagent sur une autre voie, celle qui marie écologie et économie. L'Europe pleure son isolement, ses commentateurs accusent Chinois et Américains, tous les autres pays poussent les feux de la solution technologique. Ils savent que l'avenir est là, dans la recherche, l'innovation, pas dans la restriction.
Cinq jours plus tard un «petit constructeur Chinois» d'automobiles achetait Volvo. Un des groupes européens qui était mondialement en avance dans la sécurité, racheté par un Chinois dont les voitures sont classées comme dangereuses. Un constructeur haut de gamme qui passe dans des mains d'un fabriquant d'automobiles pas chères. Un industriel qui a développé des relations sociales exemplaires avec ses salariés, repris par une firme toute jeune, propriété d'un entrepreneur pressé et ambitieux. N'est-ce pas un glissement tectonique de plaques?
Et, dernier d'une liste d'actualités désormais quotidiennes, le groupe coréen Kepco vient de battre le consortium français pour construire des centrales nucléaires à Abou Dhabi. Un contrat de 20 milliards de dollars (ou 40 si l'on compte l'exploitation) qui est soufflé aux «champions mondiaux» que croient être les Français. Un marché perdu au profit de l'Asie dans LA technologie qu'ils pensaient la mieux défendue dans la division du travail, un secteur où les groupes tricolores ont une expérience éprouvée, des techniques, des ingénieurs.
Il faudra tirer toutes les leçons particulières de cet échec, passer au crible les divisions entre Areva, Total, GDF Suez, la volonté tardive et brutale de l'Elysée de confier à EDF le poste d'avant-centre. S'interroger sur la question du prix: les Coréens étaient-ils vraiment 30% moins chers? Si oui, comment rabaisser les coûts français? Faudra-t-il délocaliser, notamment hors de la zone euro?
Mais il est surtout temps de tirer les leçons générales de cet échec. L'Europe manque le tournant de l'histoire faute de savoir vendre ses innovations. Le basculement des forces vers l'Asie a pour cause sans doute, aussi, la démographie. Des milliards comptent plus que des millions. Le déclin de l'Europe est assuré si elle reste endormie sur ses certitudes d'occuper naturellement le haut de l'échelle dans la division du travail sans voir que les Coréens l'ont rattrapée, que les Indiens sont là, que les Chinois la doublent. Il est temps de tout mettre à l'échelle de cette nouvelle concurrence: nos coûts, nos formations universitaires, nos laboratoires, nos inventions et d'effacer nos divisions d'une autre époque. Ce devrait être un cri d'alarme qui sonne à Bruxelles et dans toutes les capitales: comment reprendre l'avant-garde? Comment maintenir le peu d'avance qui nous reste parfois devant des concurrents plus nombreux, formidablement formés, qui ont le mors aux dents?
Eric Le Boucher
Lire également: Abu Dhabi douche le nucléaire français et Copenhague n'est surtout pas un échec.
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