A chaque fois, ces industries ont ou font face aux révolutions numériques et font face à de nouvelles formes de concurrence. Leurs réseaux physiques traditionnels sont transformés. Mais elles s’adaptent et ne fléchissent pas pour autant.
Les banques de détail
Les banques de détail ont été particulièrement affectées par l’avènement du numérique et de la mobilité et notamment leurs réseaux d’agence dont on n’a plus besoin comme auparavant ! Il y a dix ans, on pouvait prédire soit la fin des banques traditionnelles, soit de leurs agences de détail. Aujourd’hui, qu’en est-il ? Les banques sont toujours là, tout comme leurs agences de détail, même si leur nombre commence tout seulement à décroitre. Les désintermédiateurs en puissance ne manquent pas mais aucun n’a réellement réussi à déloger les banques. Elles ont plutôt bien résisté au tsunami numérique même si leurs métiers ont été profondément transformés. Et on ne parle même pas des crises financières tout comme des évolutions de la règlementation prudentielle et des ratios de solvabilité (Bâle II & III).
Cela fait longtemps nous pouvons gérer une grande partie de nos transactions financières en ligne dans les banques traditionnelles : obtenir l’état de ses comptes, effectuer des virements immédiats, différés ou réguliers, et même mener différentes transactions financières plus spécialisées. Cela avait même commencé à l’époque glorieuse du Minitel ! Et on peut faire cela surtout tous les écrans, notamment mobiles.
La banque directe
Les réseaux de banques traditionnelles ont aussi lancé leurs offres de banques directes, sans agences : eLCL chez LCL, Agence Directe à la Société Générale, Hello Bank à la BNP-Parisbas, CMUT Direct au Crédit Mutuel, Filbanque au CIC, diverses offres dans les différentes caisses régionales du Crédit Agricole, et aussi AXA Banque (anciennement Banque Directe).
Ces services de banques directes ont été créés en réaction aux offres de banques directes issues de “pure player” comme ING Direct (850 000 clients en France), Boursorama Banque (460 000 clients en France), Monabanq (créée en 2006, 290 000 clients en France) et Fortuneo Banque (créée en 2000, vend aussi des assurances, filiale du Crédit Mutuel ARKEA, 180 000 clients).
Il y aurait en tout entre 2 et 3 millions de clients de banques directes en France. Ils représentent un faible volume du marché, moins de 5% au nez. Mais leurs clients sont plus aisés que la moyenne et sont donc plus rentables pour ces banques, au détriment des banques de détail traditionnelles.
Les moyens de paiement
Le marché bancaire est complété de celui des moyens de paiement. Ce sont surtout eux qui se sont multipliés avec les usages numériques.
Les banques distribuent les cartes de paiement Carte Bleue, Visa et Master Card, et il y a l’American Express. Ils se sont aussi mis au numérique, mais surtout pour améliorer la sécurisation des paiements en ligne. C’est ainsi le cas de 3DSecure qui est commun à Visa et Mastercard et qui oblige l’Internaute à saisir un code qui vient de son mobile pour valider tout achat.
L’Internet a aussi donné lieu à la création de systèmes de paiement alternatifs, le plus connu étant certainement Paypal. Paypal était aux banques ce que Google TV est aux chaînes de télévision : un grand épouvantail de la grande désintermédiation poussant à de sévères remises en cause. Mais avec plus de peurs que de mal pour l’instant, même si Paypal a réussi à devenir un leader incontesté de son propre marché. Google s’est bien lancé de son côté avec Checkout qui devait tout balayer. Il s’est récemment fondu dans Google Wallet mais a bien du mal à exister face à Paypal. Il est cependant numéro deux du secteur avec 8% de pénétration du marché vs 48% pour Paypal (source).
Au Japon, il y notamment le porte-monnaie électronique de la carte Suica qui est intégré dans des cartes NFC ainsi que dans les mobiles. Un cas intéressant car ce standard de facto a été poussé par JR East, la compagnie de trains de Tokyo et par Sony, qui produit la puce Felica qui la fait fonctionner. La carte Suica est aussi poussée par la chaine de magasins de proximité “7 Eleven” qui est… japonaise depuis 1991.
Dans l’univers du mobile, on ne compte plus les solutions de paiement mobile, avec ou sans contact ou QR Code. Ne serait-ce qu’en France, nous avons une ribambelle de startups qui se sont lancées sur ce créneau : LemonWay (plutôt orienté paiement entre personnes et gestion de cagnottes, comme Leetchi), PayPlug (paiement en ligne et sur mobile, sans terminal côté commerçant), Flashiz et Kiips (paiement par QRCode), Citizy (paiement mobile, gestion des points de fidélité, paiement des transports… sur la côte d’Azur), Skimm (paiement commerçants et entre personnes), Paytop (paiements entre personnes, notamment pour familles à l’étranger) et encore Tagattitude (technologie de paiement par transfert audio sécurisé). Il y a aussi Buyster, lancé par Orange, SFR et Bouygues Télécom.
Aux USA, il faut compter avec de nombreux équivalents de nos startups françaises et notamment avec Square, créé par Jack Dorsey, le fondateur de Twitter, et son petit lecteur de cartes bancaires pour mobiles. Et aussi Affirm, créé par le fondateur de Paypal, dont c’est un équivalent mobile.
L’objectif partagé de tous ces outils ? Que le paiement soit plus simple et plus sécurisé que l’usage d’une carte bancaire et de son numéro circulant plus ou moins en clair sur Internet ! En pratique… cela reste à vérifier car nombre de ces systèmes deviennent à la fin de véritables usages à gaz. Surtout en l’absence de standard et d’interopérabilité à grande échelle !
Au passage, chacun prend sa commission sur chaque transaction. Avec une répartition des frais entre un nombre d’acteurs qui va grandissant. Or, comme il est difficile de charger plus de 3% sur les prix de vente, cette commission se répartit sur un plus grand nombre d’acteurs qui ne bénéficient pas de grandes économies d’échelle.
Cela explique pourquoi pas mal de startups s’intéressent aux échanges d’argent dits non-marchands, notamment ceux des émigrés qui rapatrient une partie de leurs revenus dans leur famille d’origine. Les commissions sont en moyenne de 12,4% (source) pour l’envoi d’argent en Afrique, la zone la plus chère du monde pour ce genre de service (moyenne monde : environ 9% selon la World Bank). Elles peuvent atteindre 20% dans certains pays où la concurrence est faible voire même plus de 50% pour des transferts d’argent entre certains pays africains. Des tarifs élevés qui s’expliquent notamment par la faible bancarisation des foyers. Pour le référent qu’est la Western Union, la commission est ainsi de 3,75% pour envoyer 400€ en Côte d’Ivoire en une journée. Western Union a du baisser ses tarifs très élevés face à la concurrence grandissante. Ces transferts d’argent dans le monde représentent une manne de $300B !
Pour le reste, autant dire que dans le paiement mobile, nous avons affaire à un marché extrêmement fragmenté. Chacun de ces acteurs se doit de monter des partenariats gagnants-gagnants avec les commerçants en amont et les banques en aval. Aucun n’arrive à atteindre une couverture suffisante du marché comme le font les cartes Visa et Mastercard. Il faut dire que ces deux derniers ont mis quelques décennies à s’établir comme standards chez les commerçants et les particuliers !
Les impacts du numérique sur les banques de détail
Pour revenir aux banques de détail, le développement des usages numériques a eu plusieurs conséquences directes et indirectes sur le métier de la banque de détail :
- L’augmentation des transactions en ligne. Les clients qui consultent leurs comptes en ligne sont passés de 32% (2001) à 71% (2009). La part des clients qui ont souscrit un produit bancaire en ligne est passée de 13% en 2008 à 19% en 2011 (source). Le bénéfice client est évident : le gain de temps !
- La baisse des transactions en agence, même sur leurs automates qui y sont de plus en plus nombreux. Ces transactions en agence baisseraient en moyenne de 9% par an (source).
- La multi-bancarisation : 40 % des Français ont un compte dans au moins deux banques et un tiers dans plus de deux. Plus l’accès en ligne est facilité, plus il est aisé de ne pas mettre ses œufs dans le même panier !
- La baisse de la fidélisation : le churn (pertes de clients) est passé de 4 % à 7 % en 10 ans. Il reste cependant raisonnable. Il est inférieur à celui qui sévit dans les télécoms mobiles, qui est aux alentours de 20%, notamment lié à la portabilité des numéros mobiles, mais supérieur à celui de l’Internet fixe (inférieur à 5%). La relation de confiance avec une banque peut se perdre mais elle s’établit plutôt dans la durée dans la majorité des cas.
- L’évolution du métier et du business model vers la vente de services : avant le numérique, les banques de détail se rémunéraient sur les placements de vos encours. Elles se sont ensuite mises à vendre un par un tous les services qui étaient auparavant gratuits : les chéquiers, la tenue de compte, vos frais de cartes bancaires (qui ont toujours existé), sans compter les frais sur certaines transactions (virements internationaux, etc). Un cas bien rare : le passage du gratuit au payant tandis que l’internet a plutôt encouragé le chemin inverse. Et là, pas de “freemium” ! Cela ne s’est pas fait sans douleurs ni résistances des consommateurs. Mais le lobbying et la règlementation ont fait leurs affaires !
L’impact sur les agences
Quel a été l’impact de tout ce remue-ménage sur le réseau des 27000 agences traditionnelles des banques de détail ? Selon l’étude Dyna OGRB d’Infostat Marketing, le nombre de points de vente bancaires a même augmenté en 2012, de 2,03% (hors bureaux de poste) aux alentours de 27000. Comme si le numérique avait compté pour du beurre pendant ces dix dernières années !
Mais cette augmentation est en voie de s’arrêter voire de s’inverser. Selon le cabinet Roland Berger, les agences vont même devoir maintenant fermer au rythme de 2% à 4% par an (source). Par seulement du fait du numérique mais aussi de l’évolution du compte d’exploitation des banques qui leur impose de faire des économies de frais de fonctionnement. Et comment une bonne part du réseau et des clients n’est pas rentable, les banques vont désinvestir les zones les moins rentables et investir celles qui le sont plus. Les villes en premier !
Quand on intègre les bureaux de poste, dont une partie seulement est dédiée à l’activité bancaire (Banque Postale), le total baisse et il suit le dépouillement des zones faiblement habitées.
Comment les banques s’adaptent-elles ? Elles installent de plus en plus d’automates dans les agences. Elles font en sorte que des contacts “humains” soient accessibles par tous les moyens de télécommunication : téléphone, chat, chat vidéo, email, et même réseaux sociaux. Du numérique, oui, mais avec une mise en avant du contact avec de vraies personnes, pas juste des logiciels ! Il est surtout important de tenir compte de l’évolution des modes de vie et d’améliorer la joignabilité de la banque, au-delà des heures traditionnelles de bureaux.
Elles utilisent aussi ces nouveaux moyens pour faire venir les clients dans les agences et leur vendre de nouveaux produits. Elles rationnalisent leurs implantations par grappes d’agences. La banque d’aujourd’hui est l’une des meilleures incarnations du “click and mortar” qui associe la relation client en ligne et en réel quand c’est nécessaire.
L‘autre évolution est la tentation de devenir plus généraliste et de placer d’autres produits : de l’assurance vie, de la protection santé voire de l’assurance tout court. Au contraire, les assureurs veulent aussi devenir banquiers.
Qu’en est-il de l’emploi dans les banques ? Leurs effectifs ont augmenté dans la première moitié des années 2000 pour se tasser légèrement depuis (source: AFB). Les réseaux de banques mutualistes ont même progressé au dépend des autres banques traditionnelles. Le pic d’emplois dans les banques date du milieu des années 1980 avec environ 432 000 emplois. Il est actuellement de 377 000.
Quand on observe la structure de l’emploi dans les banques traditionnelles de l’AFB, leurs 208K emplois comprennent environ un tiers en agences de banque de détail aux particuliers. Ces 74600 emplois sont les plus menacés. A côté de cela, il faut compter 22784 emplois directs en informatique auxquels il faut ajouter ceux des prestataires externes qui doivent être très nombreux.
Le marché bancaire des particuliers se segmente finalement entre banque de détail qui gère les stocks et les flux courants et les systèmes de paiement qui ne gèrent que des flux, pour l’essentiel commerçants. Le modèle économique de la gestion des flux est les plus courant et profitable. Le modèle des banques est petit à petit devenu un modèle de service. Tant que les acteurs des “flux” n’auront pas trop de velléités de gérer les “stocks” et que leur marché sera très fragmenté et faiblement standardisé, les banques de détail seront quelque peu à l’abris.
Les monnaies virtuelles
Dans les autres transformations du secteur financier, le truc à la mode sont ces monnaies virtuelles alternatives. Cela commence avec celles que l’on trouve dans les univers de jeux en ligne (Second Life, Facebook, etc).
Il y a maintenant les fameux Bitcoin, un système d’échange d’argent pair à pair très sécurisé, plutôt focalisé sur les échanges dits non marchands, mais pas que. Il y aurait l’équivalent de un milliard de dollars de Bitcoins en circulation dans le monde. L’avantage ? Pas de frais de transaction ! L’inconvénient ? Le cours très fluctuant entre bitcoins et monnaies réelles (cf ci-dessous l’évolution du cours bitcoin / dollars en un an) ! Sans compter le fait que les bitcoins et leurs équivalent peuvent servir à des activités peu transparentes telles que le blanchiment d’argent sale. D’où leur interdiction en Thaïlande depuis peu.
Comment obtenir des bitcoins ? On les achète en ligne avec du “vrai argent”, via des places de marché telles que Mt. Gox. Et ça marche évidemment sur mobile ! Il va falloir réviser ses cours d’économie sur les notions de masse monétaire ! Et, pour l’instant, pas d’impact sur le métier des banques de détail !
Les autres métiers d’agences
Quid d’autres services destinés aux particuliers qui s’appuient sur des réseaux d’agences ?
- Les agences immobilières ? Elles survivent même si elles sont concurrencées par les sites d’annonces immobilières en ligne. Elles bénéficient de ce que l’on a toujours besoin d’être dans le monde physique : ne serait-ce que pour organiser la visite des logements et signer les contrats chez les notaires ou pour les propriétaires dans le cas des locations. La vente de biens immobiliers en ligne se développe surtout dans les grandes métropoles. Les vendeurs sont attirés par des commissions moins chères que celles des agences immobilières classiques. Comme pour les banques, ceci est permis par des frais de structure très allégés. Il y a de nombreux services dont Immobilier.Notaires, lancé par les notaires eux-mêmes !
- Les agences de voyage ? Elles ne gèrent que des flux et pas de stock, que de la transaction. Ce sont celles qui ont le plus souffert. La vente de voyages en ligne a commoditisé le secteur. En 2011, 30% des voyages étaient achetés en ligne en France (vs 50% au Royaume Uni). La transformation de ce secteur va continuer !
- Les bureaux de poste ? Ils ont été transformés récemment en France avec plus de guichets spécialisés, des automates et du self-service, à l’instar de ce qui s’est fait dans les agences bancaires où l’on dépose ses chèques dans des automates et non plus au guichet. Conséquence : on fait moins la queue dans les bureaux de poste !
- Les agences des opérateurs télécoms. Elles continuent de représenter une grosse part des ventes d’abonnements. L’une des raisons : les tarifs compliqués qui sont pratiqués dans cette profession et le choix associé du mobile. Mais le découplage en cours de la vente d’abonnements et de mobiles – propulsé par Free - change la donne. Il s’est accompagné de l’accélération des ventes d’abonnements en ligne chez les opérateurs, notamment avec les offres découplées low-cost : Sosh (Orange), B&You (Bouygues Télécom), Red (SFR) et bien entendu, Free Mobile.
- Les assurances ? En pratique, on les gère déjà beaucoup à distance, via des courtiers et autres agents d’assurance. Les grandes assurances n’ont pas d’agences comme les banques. La question se pose pour elle de l’équilibre entre la vente directe en ligne et à distance vs leur réseau d’agents.
On est en tout cas très loin des scénarios catastrophes comme ceux qui ont affecté le secteur de la culture avec les difficultés de la Fnac et autres Virgin face à la dématérialisation des biens culturels et aux achats en ligne, notamment chez Amazon.
Suite
Les banques et les moyens de paiement ne sont ni ma tasse de thé ni ma spécialité. Je vais revenir à mes sujets de prédilection avec la déclinaison suivante de cette série qui sera consacrée aux chaines de télévision.
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