samedi 17 août 2013

La flore intestinale joue avec notre mental

Une visiteuse marche à l'intérieur ce qui est considéré comme le plus grand modèle de l'Europe d'un intestin monté dans la ville de Dresde : l'installation a été construite pour informer le public du fonctionnement de cet organe, des maladies intestinales et de la prévention de cancer.

Chaque être humain héberge dans son intestin un écosystème composé de dix fois plus de bactéries que notre corps ne contient de cellules. L'ensemble des génomes de ces microorganismes constitue ce que les biologistes appellent le métagénome intestinal humain. Objet d'intenses recherches, il a été la vedette du congrès international MetaHIT, qui a réuni 600 chercheurs à Paris du 19 au 21 mars.

Les outils moléculaires et bio-informatiques permettent aujourd'hui de décrire la diversité des 10 000 milliards de bactéries qui colonisent notre tube digestif et forment le microbiote intestinal, ce que l'on appelait il n'y a pas si longtemps la flore intestinale. Formé durant l'accouchement, à partir de la flore fécale et vaginale maternelle, cet organe, non palpable alors que son poids peut atteindre deux kilogrammes, assure des fonctions essentielles pour l'hôte qui l'héberge à demeure. Ces microbes contribuent à la conversion des aliments en nutriments et en énergie, de même qu'à la synthèse de vitamines indispensables à l'organisme. Ils participent également à la maturation du système immunitaire. De récentes expériences chez la souris apportent un nouvel éclairage sur l'implication du microbiote intestinal dans plusieurs pathologies humaines non digestives, dont certaines en lien avec le fonctionnement cérébral.
Des études épidémiologiques ont montré que le microbiote intestinal des enfants asthmatiques diffère de celui des enfants sains et qu'il existe un risque accru de survenue d'un asthme en cas d'administration d'antibiotiques aux premiers âges de la vie. De même, les enfants nés par césarienne, non exposés aux bactéries vaginales et fécales de leur mère à la naissance, ont un microbiote intestinal différent des enfants accouchés par voie naturelle et présentent un risque plus élevé de développer un asthme.
Une étude canadienne, publiée dans la dernière livraison d'EMBO Report et présentée au congrès MetaHIT, montre que l'administration chez la souris de certains antibiotiques en période néonatale peut augmenter la susceptibilité à développer un asthme allergique. L'expérience, conduite par l'équipe de Brett Finlay, de l'Université de Colombie-Britannique à Vancouver (Canada), a comparé l'impact de deux antibiotiques, la streptomycine et la vancomycine, sur le microbiote intestinal de souriceaux nouveau-nés et a évalué leur capacité à favoriser l'apparition d'un asthme allergique après exposition à un allergène. Le traitement par streptomycine a eu un effet limité sur le microbiote intestinal et sur la maladie asthmatique, alors que la vancomycine a entraîné une importante réduction de la diversité microbienne intestinale et a augmenté la sévérité de l'asthme.
En revanche, aucun des deux antibiotiques n'a eu d'impact chez la souris adulte, ce qui montre qu'il existe une période critique, au début de la vie, durant laquelle une modification du microbiote intestinal peut perturber le développement du système immunitaire et entraîner une sensibilisation allergique. "C'est la première fois qu'une étude montre que le microbiote intestinal joue réellement un rôle dans la survenue de l'asthme", souligne le professeur Finlay.
Si le rôle qu'exerce le microbiote intestinal dans la maturation du système immunitaire est largement reconnu, il est plus difficile, à première vue, "de concevoir que la flore intestinale puisse avoir un impact sur les fonctions cérébrales et le comportement", reconnaît le professeur Stephen Collins, gastroentérologue de l'université MacMaster d'Hamilton (Canada). Plusieurs études chez l'animal ont pourtant contribué à renforcer le concept d'un "axe intestin-cerveau".
Schématiquement, ce réseau bidirectionnel permet au cerveau d'influer sur les activités motrices, sensitives et sécrétoires du tube digestif et à l'intestin d'exercer une action sur les fonctions cérébrales. L'équipe du professeur Collins a montré qu'un traitement oral d'une semaine par plusieurs antibiotiques chez la souris adulte induit des perturbations de la composition des populations bactériennes du côlon, un comportement anxieux, ainsi qu'une élévation du taux d'une protéine impliquée dans la croissance et la survie des neurones, le BDNF (Brain-Derived Neurotrophic Factor), dans l'hippocampe et l'amygdale, régions du cerveau respectivement impliquées dans la mémoire et l'apprentissage d'une part, l'humeur et la mémoire d'autre part. L'arrêt de l'antibiotique a permis de restaurer le comportement normal des rongeurs.
Récemment, cette équipe a conduit une expérience qui exploite le fait que deux souches de souris n'ayant pas le même comportement naturel diffèrent également par la composition de leur flore intestinale. Les souris d'une souche sont timides et anxieuses alors que celles de l'autre souche montrent une grande tendance à explorer leur environnement. Elevées dans des conditions stériles, les deux souches de souris, dépourvues de germes intestinaux, ont été transplantées avec le microbiote intestinal de l'une ou l'autre souche. Résultat : les chercheurs ont inversé le comportement des rongeurs, les souris timides devenant de vraies exploratrices et vice-versa !
Pour Stephen Collins, "les bactéries résidentes intestinales pourraient produire des substances actives sur le cerveau. Dans les années à venir, la transcriptomique et la métabolomique, techniques permettant d'analyser le fonctionnement génétique et l'activité métabolique du microbiote intestinal, seront essentielles pour déterminer quelle bactérie produit telle molécule neuroactive, seule ou en coopération avec d'autres communautés microbiennes, et sur quelle cible la bactérie interagit".
Son équipe vient de montrer que le cerveau peut également avoir un impact sur le microbiote intestinal. Les chercheurs ont utilisé un modèle de dépression chez la souris par ablation chirurgicale des bulbes olfactifs. Chez ces souris rendues anxieuses et très sensibles au stress, les chercheurs ont observé une altération du microbiote intestinal de même qu'une augmentation du taux intracérébral de CRF, un neuromédiateur du stress libéré par l'hypothalamus. L'étape suivante a été d'injecter du CRF dans le cerveau de souris normales. Cette injection a eu pour conséquence de perturber la flore intestinale. L'axe intestin-cerveau est donc bien bidirectionnel.
Les travaux des chercheurs canadiens ont notamment révélé que les perturbations du microbiote intestinal chez les souris opérées et celles qui ont reçu du CRF en intra-cérébral sont associées à un changement de la motilité du côlon. "Ces nouveaux résultats permettent de penser que les perturbations de la chimie du cerveau observées chez les patients souffrant de pathologies neuropsychiatriques, comme l'autisme, la dépression et la schizophrénie, peuvent modifier la physiologie du côlon, en l'occurrence le transit intestinal, et impacter la composition de la flore intestinale", estime Stephen Collins.
La reconnaissance de l'existence de l'axe intestin-cerveau revêt une grande importance dans les maladies inflammatoires chroniques intestinales et dans le syndrome de l'intestin irritable (SII). Une pathologie psychiatrique est en effet observée chez 60 % à 85 % des patients souffrant de SII, le plus fréquent des troubles fonctionnels intestinaux qui affecte 10 % à 12 % de la population générale et se manifeste par une douleur abdominale, une constipation, une diarrhée ou une alternance de ces deux symptômes. Chez la souris présentant une inflammation intestinale chronique modérée, l'administration de probiotiques peut normaliser le comportement et la chimie du cerveau.
Autre pathologie où le microbiote intestinal est fortement soupçonné de jouer un rôle central : les douleurs abdominales récurrentes (DAR) de l'enfant, pathologie qui affecte 15 % à 45 % des enfants d'âge scolaire. "Nos travaux montrent que la flore bactérienne intestinale des enfants souffrant de douleurs abdominales récurrentes et du syndrome de l'intestin irritable est différente de celle des enfants sains, avec une composition anormalement élevée de certaines espèces bactériennes", indique le professeur James Versalovic, du département de pathologie du Baylor College of Medicine et du service de pédiatrie du Texas Children's Hospital d'Houston (Etats-Unis). Il souhaite "développer de nouvelles stratégies de manipulation microbienne par des interventions nutritionnelles, l'administration de probiotiques ou d'antibiotiques, afin de renforcer et favoriser les populations microbiennes bénéfiques ou celles capables de résister à la maladie". Le dialogue thérapeutique avec ce monde intérieur ne fait que commencer.
Lexique Microbiote intestinal Anciennement dénommé flore intestinale, il est constitué de l'ensemble des bactéries qui colonisent notre tube digestif. Il se forme durant l'accouchement, dès la rupture des membranes, à partir de la flore fécale et vaginale maternelle, puis se constitue par le biais de l'alimentation et le contact avec l'environnement, pour se stabiliser vers l'âge de 2 ans.
Métagénome intestinal humain Ensemble des génomes des bactéries qui colonisent l'intestin de l'homme.
Métagénomique Discipline qui permet de déterminer la présence et la fréquence des gènes microbiens présents dans le microbiote intestinal.
Métagénomique quantitative Technique consistant à extraire la totalité de l'ADN fécal pour ensuite amplifier un grand nombre de séquences génétiques. Chaque séquence est plus ou moins amplifiée selon l'abondance ou la rareté du gène bactérien correspondant.
Métagénomique fonctionnelle Technique visant à identifier les gènes microbiens intestinaux impliqués dans une grande variété de fonctions, notamment le dialogue entre le microbiote intestinal et les cellules humaines.
Transcriptomique Science qui permet l'analyser des ARN codés par l'ADN du métagénome bactérien.
Protéomique Science qui permet l'analyse des protéines synthétisées par les ARN bactériens.
Métabolomique Science qui permet l'identification des métabolites (petites molécules) issus de l'activité des populations bactériennes du microbiote intestinal.
Probiotiques Microorganismes (bactéries, levures) qui, après avoir été ingérés vivants en quantité suffisante, exercent un effet bénéfique sur la santé.

Des bactéries prennent le contrôle de notre cerveau !

Notre comportement, dicté par notre cerveau, est-il totalement indépendant ? Il semblerait bien que non, selon une étude très sérieuse. L'activité cérébrale serait influencée par la flore intestinale, de simples bactéries situées dans notre tube digestif.

Des bactéries qui prennent le contrôle de notre cerveau ? Ce n'est pas le sujet d'un nouveau film de science-fiction, mais bien la réalité. Il faut aller regarder dans l'intestin, au niveau des bactéries qui constituent la flore intestinale, autrement appelée le microbiote. Celui-ci fait l'objet d'un grand nombre de recherches depuis quelques années, suffisamment pour prouver que ces bactéries sont essentielles à notre bien-être et même notre survie.

Au moins 100.000 milliards de bactéries sont hébergées par nos intestins, soit un poids total de plus de 1,5 kilogramme ! Apportées au moins en partie par la flore intestinale de notre mère, les bactéries intestinales sont également le reflet de notre alimentation. Actrices de notre digestion, elles pourraient être à l'origine de l'obésité, d'allergies ou des maladies chroniques de l'intestin. Les virus (bactériophages) portés par ces bactéries pourraient même jouer un rôle sur notre santé. De là à modifier l'activité du cerveau, il y a un grand pas... que certains scientifiques ont franchi !

Les bactéries stressent les souris

Déjà séduits par cette idée, des chercheurs de deux instituts situés à des milliers de kilomètres chacun (le Karolinska Institutet en Suède et le Genome Institute de Singapour) ont, pour convaincre la communauté scientifique, comparé les comportements de souris possédant ou non des bactéries intestinales. Comme tous les Mammifères, les souris naissant naturellement avec une flore intestinale, certains de ces rongeurs ont donc été spécialement élevés pour être dépourvus de tout microorganisme.


© Rochellys Diaz Heijtza, Sven Pettersson
Le déplacement des souris, représentatif de leur activité, est moins étendu chez celles pourvues d'une flore intestinale (à gauche) que les souris qui n'en possèdent pas (à droite).
Grâce à des observations minutieuses des souris dans les cages, les chercheurs ont pu montrer que les souris privées de bactéries intestinales sont plus actives et montrent moins de symptômes d'anxiété. Elles se promènent davantage et sont plus audacieuses dans leurs choix que leurs homologues sauvages. Par exemple, des souris normales auront tendance à s'abriter dans les compartiments sombres, alors que les rongeurs « stériles » choisiront aléatoirement tout type d'abri.

L'exposition des souris sans germes à des bactéries intestinales à un stade précoce de la vie les conduit à obtenir à l'âge adulte les mêmes caractéristiques comportementales que les souris colonisées. Pourtant, si les souris stériles ne sont exposées qu'à l'âge adulte aux bactéries, elles ne retrouvent pas un comportement normal. Il existe donc une période critique, au début de la vie, où les bactéries influencent de manière irréversible le comportement adulte des souris.

La flore intestinale responsable de maladies psychiatriques ?

Pour comprendre le mécanisme de cette emprise des bactéries sur le comportement murin, les chercheurs ont ensuite recherché les différences au niveau des profils d'expression des gènes dans le cerveau entre les deux types de souris. Certains gènes, particulièrement ceux impliqués dans des voies de signalisation intracellulaire ou dans l'activité synaptique des neurones, ont été retrouvés exprimés de façon différentielle. Suivant toute logique, ces variations ont pu être mises en évidence dans les régions du cerveau impliquées dans le contrôle moteur et le comportement anxieux.

Selon les auteurs, ces résultats suggèrent que le processus de colonisation microbienne induit un mécanisme de signalisation qui affecte une partie des circuits neuronaux. Prudent, l'un des auteurs, Sven Pettersson souligne qu' « il est important de noter que cette nouvelle connaissance ne s'applique qu'aux souris, et qu'il est trop tôt pour dire quoi que ce soit au sujet des effets des bactéries intestinales sur le cerveau humain. » Cependant, si ces résultats sont transposables à l'Homme, la flore intestinale pourrait être à l'origine de maladies psychiatriques.

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