vendredi 16 août 2013

L’autisme : une forme extrême du cerveau masculin ?

 Notes de la rédaction

Ce texte est la traduction d’un article paru dans : Trends in Cognitive Sciences, vol. 6, n° 6, juin 2002, pp. 248-254, Baron-Cohen : The extreme male brain theory of autism, avec la permission d’Elsevier. La traductrice remercie Marie Gomot, du Autism Research Centre, pour sa relecture attentive de cette traduction.

 Résumé

Les capacités verbales et spatiales sont les domaines clés du fonctionnement cérébral à travers lesquels ont été jusqu’ici étudiées les différences entre sexes. Dans cet article, j’avance l’hypothèse que deux dimensions négligées dans la compréhension de ces différences entre les sexes sont l’« empathisation » et la « systémisation ». Le cerveau masculin y est défini, de manière psychométrique, comme celui des individus chez lesquels la systémisation est, de manière significative, meilleure que l’empathisation. Tandis que le cerveau féminin est défini par le profil cognitif opposé. En se basant sur ces définitions, l’autisme peut être considéré comme une forme extrême du profil masculin normal. De plus en plus de données issues des recherches en psychologie confortent la théorie de l’autisme comme forme extrême du cerveau masculin.

 Abstract

The extreme male brain theory of autismVerbal and spatial aptitudes are key mental operations used to study differences between the sexes. The hypothesis is advanced that “empathization” and “systemization” are two overlooked dimensions for understanding these differences. The male brain is defined psychometrically as a brain where systemization develops significantly better than empathization. The female brain is defined by the opposite cognitive profile. Using these definitions, autism can be considered to be an extreme form of the normal male profile. A growing body of data from research in psychology supports the theory of autism as an extreme form of the male brain.

 Texte intégral

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Traduit de l’anglais par Christine Langlois
« Empathiser » est le moyen d’identifier les pensées et les affects d’une autre personne et d’y réagir de manière appropriée. Cela nous permet de prévoir la conduite de nos semblables et de nous soucier de ce qu’ils ressentent. Je passe en revue dans cet article les données selon lesquelles, en moyenne, les personnes de sexe féminin éprouvent spontanément plus d’empathie que celles de sexe masculin.
« Systémiser » est le moyen d’analyser les variables d’un système, d’en déduire les règles sous-jacentes. Ce terme se réfère également au moyen de construire des systèmes. Systémiser permet de prédire ce qui se passe dans un système et de le contrôler. J’analyse ici les données selon lesquelles, en général, le sexe masculin, de manière spontanée, systémise plus que le sexe féminin (Baron-Cohen et al. à paraître).
« Empathiser » est assez proche du terme usuel d’empathie pour ne pas nécessiter de longue explication (j’y reviendrai cependant). Mais systémiser est un concept nouveau qui a besoin d’être un peu mieux défini. Par « système », j’entends tout dispositif qui reçoit des inputs et délivre des outputs. Quand on systémise, on utilise des règles de corrélation de type « si-alors ». Le cerveau se concentre sur un détail ou un paramètre du système et observe la manière dont celui-ci varie, ce qui signifie qu’il traite cette caractéristique comme une variable. Ou encore quelqu’un peut manipuler activement cette variable (d’où le mot systématiquement) et noter les effets produits par cet élément dans une autre partie du système (c’est-à-dire sur le produit final). « Si je fais x, alors il arrivera y. » Systémiser nécessite donc une attention minutieuse aux détails.
Il existe au moins six différentes catégories de systèmes que le cerveau humain peut analyser ou construire :
1. Des systèmes techniques : un ordinateur, un instrument de musique, un marteau…
2. Des systèmes naturels : une marée, un front météorologique, une plante…
3. Des systèmes abstraits : les mathématiques, un programme d’ordinateur, une syntaxe…
4. Des systèmes sociaux : une élection politique, un appareil juridique, une entreprise…
5. Des systèmes de classification : une taxinomie, une collection, une bibliothèque…
6. Des systèmes moteurs : des techniques de jeu (sport, instrument de musique…), un spectacle…
Systémiser est un processus inductif. On observe ce qui se passe à chaque fois, on rassemble des données sur un événement issu d’expériences répétées, souvent en quantifiant au cours du processus les variations de certains éléments ainsi que leur corrélation avec un résultat différent. Après avoir confirmé un cadre fiable d’associations – générant des résultats prédictibles –, on postule une règle sur la manière dont cet aspect du système fonctionne. Quand une exception survient, la règle est affinée ou révisée ; dans le cas contraire, elle est retenue.
Systémiser s’applique aux phénomènes qui, en fin de compte, sont réglementés, finis et prédictibles. L’explication est exacte et sa valeur de vérité peut être testée (par exemple : « La lumière s’est allumée car l’interrupteur A était en position basse »). Toutefois, systémiser est quasi inutile quand il s’agit de prédire, d’un instant à l’autre, les changements de comportement d’un être humain. Cela requiert de l’empathie. Systémiser et empathiser sont donc deux processus radicalement différents.
Empathiser implique l’attribution d’états mentaux à autrui ainsi qu’une réponse affective appropriée aux états émotionnels de nos semblables. Cela recouvre non seulement ce qui est parfois appelé la « théorie de l’esprit » ou mentalisation, mentalising (Morton et al. 1995 : 434-438), mais également ce qui est entendu par les mots « empathie » et « sympathie ». Bien que, d’un certain point de vue, systémiser et empathiser se ressemblent – il s’agit dans les deux cas de processus permettant de donner du sens aux événements et de faire des prédictions fiables –, par d’autres aspects, ils se situent presque à l’opposé l’un de l’autre. Empathiser implique un saut imaginatif dans l’inconnu, sans beaucoup de données (ainsi en est-il de pensées comme : « Peut-être ne m’a-t-elle pas téléphoné parce que ma réflexion l’a blessée ? »). L’explication causale est au mieux un « peut-être », dont la véracité pourrait n’être jamais prouvée. Systémiser est notre façon la plus efficace de comprendre et de prédire le monde inanimé gouverné par des lois. Empathiser est notre meilleur moyen de comprendre et de prédire le monde social. Et il est probable qu’empathiser et systémiser dépendent de parties bien distinctes du cerveau humain.

Les principaux types de cerveaux

Je soutiendrai ici la thèse selon laquelle systémiser et empathiser sont deux dimensions clés pour définir les cerveaux masculin et féminin. Nous possédons tous ces deux capacités d’empathie et de systémisation. On peut d’emblée envisager cinq principaux types de fonctionnement cérébral (voir figure ci-contre) :
1. Les individus chez lesquels la faculté d’empathie est plus développée que celle de systémisation : E>S (ou type E). C’est ce que nous appellerons le « cerveau féminin ».
2. Les individus chez lesquels la systémisation est plus développée que l’empathie : S>E (ou type S). C’est ce que nous appellerons le « cerveau masculin ».
3. Les individus chez lesquels la systémisation et l’empathie sont également développées : S=E. C’est ce que nous appellerons le « cerveau équilibré » (ou type B).
4. Les individus avec un « cerveau masculin » extrême, S>>E. Dans leur cas, la systémisation est surdéveloppée tandis que l’empathie est sous-développée. Ils peuvent avoir un réel talent pour « systémiser », mais être en même temps atteints de cécité mentale, mind-blind (Baron-Cohen 1995). Dans cet article, nous considérons des individus appartenant au spectre autistique afin de voir s’ils répondent au profil d’un cerveau masculin poussé à l’extrême.
5. Enfin, nous postulons l’existence d’un cerveau féminin extrême : E>>S. Ces personnes auraient des capacités d’empathie surdéveloppées tandis que celles de systémisation seraient sous-développées : elles seraient « aveugles aux systèmes » (system-blind).
6. Les données examinées ci-dessous suggèrent que tous les hommes n’ont pas le « cerveau masculin » type, de même que toutes les femmes ne sont pas dotées du « cerveau féminin » type. En d’autre termes, certaines femmes ont un « cerveau masculin » type ou possèdent certaines de ses caractéristiques. L’hypothèse centrale de cet article est seulement la suivante : plus d’hommes que de femmes ont un cerveau de type S, et plus de femmes que d’hommes possèdent un cerveau de type E. L’encadré ci-joint souligne le rôle de la culture et de la biologie dans ces différences liées au sexe.

Le cerveau féminin : « empathiser »

Quelles sont les données qui démontrent une supériorité féminine en matière d’empathisation ? Dans les études résumées ici, des différences liées au sexe – de faible amplitude mais significatives – ont été mises en évidence.
1. Partager et attendre son tour. En moyenne, les filles se montrent plus concernées par l’équité tandis que les garçons partagent moins. Dans une étude, les garçons ont fait preuve, en 50 occasions, de plus d’esprit de compétition, les filles ayant été, elles, à 20 reprises, plus disposées à attendre leur tour (Charlesworth & Dzur 1987 : 191-200).
2. Jeux brutaux, turbulents ou « bagarres ». Les garçons se montrent plus « turbulents » (lutte, combat simulé, etc.) que les filles. Bien qu’elles aient une composante ludique, ces pratiques peuvent heurter ou blesser et nécessitent donc un niveau d’empathisation plus bas (Maccoby 1998).
3. Répondre avec empathie à la détresse d’autrui. Les petites filles à partir d’un an se montrent plus concernées par la détresse d’autrui et le manifestent par un plus grand nombre de regards tristes, de vocalisations de sympathie et de réconfort. Plus de femmes que d’hommes disent partager fréquemment la détresse émotionnelle de leurs amis. Les femmes se montrent également plus réconfortantes, même envers des étrangers, que les hommes (Hoffman 1977 : 712-722).
4. Utiliser une « théorie de l’esprit ». A trois ans, les petites filles sont déjà en avance sur les garçons par leur plus grande capacité à inférer ce qu’autrui peut penser ou vouloir faire (Happe 1995 : 843-855).
5. Sensibilité aux expressions faciales. Les femmes, en percevant des nuances subtiles à partir du ton de la voix ou d’expressions du visage, sont meilleures à décoder la communication non verbale ou à jauger le caractère d’autrui (Hall 1978 : 845-858).
6. Questionnaires mesurant l’empathie. Dans beaucoup d’entre eux, les femmes obtiennent des scores plus élevés que les hommes (Davis 1994).
7. Valorisation des relations. Plus de femmes valorisent le développement de relations altruistes et réciproques qui, par définition, requièrent de l’empathisation. A l’opposé, plus d’hommes valorisent le pouvoir, la politique et la compétition (Ahlgren & Johnson 1979 : 45-49). Les filles ont plus tendance à cocher, sur un questionnaire, les réponses mettant en avant les valeurs de coopération et à estimer que l’établissement d’un rapport d’intimité est plus important que celui d’un rapport de domination. Les garçons approuvent ce qui met en avant la compétition plus souvent que les filles et considèrent que le statut social est plus important que la relation d’intimité (Knight et al. 1989 : 125-141).
8. Troubles de l’empathie. Des troubles tels que les troubles de la personnalité de type psychopathie et les troubles du comportement sont beaucoup plus courants chez les hommes (Dodge 1980 : 162-170 ; Blair 1995 : 1-29).
9. Agressivité. Même lorsqu’elle s’exprime à des niveaux normaux, l’agressivité ne peut survenir qu’avec une empathisation réduite. Ici aussi, on constate une nette différence selon les sexes. Le sexe masculin a tendance à se montrer beaucoup plus agressif « directement » (poussant, tapant, boxant, etc.), tandis qu’en général le sexe féminin se montre agressif de façon plus « indirecte » – ou de manière « relationnelle », voilée – par des commérages, des pratiques d’exclusion, des remarques fielleuses, etc. L’agression directe pourrait requérir un niveau d’empathie encore plus bas que l’agression indirecte. Et l’agression indirecte demande une plus grande capacité à inférer les pensées d’autrui que l’agression directe car elle a un impact stratégique (Crick & Grotpeter 1995 : 710-722).
10. Meurtre. Il s’agit de l’exemple extrême du manque d’empathie. Daly et Wilson ont dépouillé des archives d’homicides remontant à plus de sept cents ans dans différentes sociétés (1988). Ils en ont retiré que les assassinats d’hommes par des hommes étaient 30 à 40 fois plus fréquents que les meurtres de femmes par des femmes.
11. Etablir un rapport hiérarchique. Les mâles établissent plus rapidement des rapports de domination. Cela reflète pour une part leurs moindres capacités d’empathie, car, en général, une hiérarchie est établie par un individu qui rudoie les autres pour en devenir le meneur (Strayer 1980).
12. Styles langagiers. Le discours des petites filles fait preuve de plus d’esprit de coopération, de collaboration et de réciprocité. De manière concrète, cela se traduit aussi par une bonne capacité des filles à mener de plus longues conversations. Quand elles ne sont pas d’accord, elles expriment généralement leur opinion divergente de manière délicate, employant la forme interrogative plutôt qu’affirmative. Le discours des garçons se déroule plus souvent « à une seule voix » (celui qui parle présentant seul son point de vue). Le discours féminin est plus du type « à deux voix » – les filles passent plus de temps à négocier avec l’autre, essayant de prendre en compte ses désirs (Smith 1985).
13. Parler des émotions. Les femmes entre elles parlent beaucoup plus des sentiments tandis que les conversations des hommes entre eux ont plus tendance à être centrées sur des objets ou des activités (Tannen 1990).
14. Attitude des parents. Il est moins courant pour les pères que pour les mères de tenir leur bébé face à eux. Les mères acceptent plus facilement le choix par l’enfant d’un thème de jeu alors que les pères ont plus tendance à imposer leur propre thème. Et les mères adaptent plus souvent leur langage en fonction de ce que l’enfant est en mesure de comprendre (Power 1985 : 1514-1524).
15. Préférence pour le visage et pour les yeux. Dès la naissance, les petites filles observent plus longuement les visages, et tout particulièrement les yeux, tandis que les petits garçons ont plus tendance à regarder les objets inanimés (Connellan et al. 2001 : 113-118).
16. Il a été démontré qu’en général les femmes maîtrisent mieux le langage que les hommes. Il semble probable qu’une bonne empathisation facilite le développement du langage (Baron-Cohen et al. 1997b : 48-57) et vice-versa ; ces deux phénomènes pourraient donc être liés.

Le cerveau masculin : « systémiser »

Tous les systèmes basés sur des règles sont pertinents pour trouver des données appuyant mon hypothèse. Ainsi les échecs et le football sont-ils de bons exemples de systèmes, a contrario des visages et des conversations.
Systémiser implique de noter trois choses dans l’ordre : la donnée entrée (input), l’opération et le résultat (output). L’opération est le traitement de l’input, ou ce qui lui est arrivé, afin de produire l’output.
1. Jouets préférés. Les garçons sont plus intéressés que les filles par les jouets représentant des voitures, des armes, des blocs de construction et des objets mécaniques, jouets qui offrent tous la possibilité d’être « systémisés » (Jennings 1977 : 65-73).
2. Choix professionnels des adultes. Certains métiers sont quasi exclusivement masculins. Il en est ainsi du travail du métal, de la fabrication des armes, de la manufacture d’instruments de musique ou des industries de construction telles que la construction navale. Ces métiers sont centrés sur la construction de systèmes (Geary 1998).
3. Mathématiques, physique et ingénierie. Elles requièrent toutes un haut degré de systémisation et les hommes prédominent largement dans ces disciplines. Le Scholastic Aptitude Maths Test (SAT-M) est la partie mathématique du test passé au niveau national par tous les élèves souhaitant entrer au collège aux Etats-Unis. Les garçons y obtiennent un score supérieur de 50 points en moyenne à celui des filles (Benbow 1988 : 169-232). Si on ne considère que ceux qui obtiennent des scores supérieurs à 700, le sex-ratio est de 13 hommes pour 1 femme (Geary 1996 : 229-284).
4. Capacités de construction. Dans un test visant à assembler un appareil mécanique en 3D, les hommes obtiennent un score moyen plus élevé que les femmes. Les garçons sont également meilleurs pour construire des bâtiments à partir de plans en 2D. Les briques de Lego peuvent être combinées en un nombre infini de systèmes. Les garçons se montrent plus intéressés par les jeux de Lego. Les petits garçons de trois ans sont aussi plus rapides pour copier des modèles en 3D avec de très grandes pièces de Lego, et les garçons plus âgés (à partir de neuf ans) se représentent mieux l’aspect d’un objet en 3D une fois mis à plat. Ils sont également meilleurs pour construire une structure en 3D à partir de seules vues aériennes et de face (Kimura 1999).
5. Test du niveau d’eau. Originellement mis au point par le psychologue suisse de l’enfance Jean Piaget, ce test consiste à montrer à quelqu’un une bouteille vide inclinée puis de lui demander d’indiquer l’emplacement du niveau d’eau si la bouteille est, par exemple, à moitié pleine. Les femmes sont plus nombreuses à dessiner la ligne de niveau alignée sur l’inclinaison de la bouteille plutôt qu’horizontale comme elle doit l’être (Wittig & Allen 1984 : 305-313).
6. Test de la baguette et du cadre. Si l’appréciation de la verticale d’une personne est influencéepar l’inclinaison du cadre, on dit qu’elle est « dépendante par rapport au champ » (field dependent) : son jugement est facilement influencé par un input étranger au contexte environnant. Si elle n’est pas influencée par l’inclinaison du cadre, on dit qu’elle est « indépendante par rapport au champ » (field independent). La plupart des études montrent que les personnes de sexe féminin sont plus dépendantes du champ – c’est-à-dire plus facilement distraites par le contexte au lieu de considérer séparément chaque variable du système. Elles disent plus fréquemment (de manière erronée) que la baguette est droite si elle est alignée sur le cadre (Witkin et al. 1962).
7. Bonne attention au détail pertinent. C’est un des traits communs essentiels de la systémisation. L’attention au détail pertinent est supérieure chez les hommes. On peut la mesurer avec le test du personnage caché : en moyenne, les hommes localisent plus rapidement et plus précisément le personnage caché dans un dessin complexe plus large (Elliot 1961 : 27-36). Les hommes, en moyenne toujours, détectent plus facilement une caractéristique particulière – qu’elle soit mobile ou immobile (Voyer et al. 1995 : 250-270).
8. Test de rotation mentale. Ici encore, les hommes sont plus rapides et plus exacts. Ce test nécessite de systémiser car on doit traiter chaque élément d’un assortiment présenté comme une variable qui peut être transformée (c’est-à-dire changée de place) et prédire où il va réapparaître (l’output) suite à cette transformation (Collins & Kimura 1997 : 845-849).
9. Lire une carte. C’est un autre test courant de systémisation car il implique, à partir d’éléments en 3D, de prédire leur apparence lorsqu’ils seront représentés en 2D. Les jeunes garçons obtiennent de meilleurs résultats que les filles. Les hommes peuvent également apprendre un parcours en un nombre moindre d’essais, en regardant simplement une carte : ils rapportent plus de détails corrects sur la direction et la distance. Cela suggère qu’ils traitent les éléments de la carte comme des variables pouvant être transformées en 3D. Si on demande à des écoliers d’établir une carte d’un endroit qu’ils n’ont visité qu’une seule fois, les cartes des garçons représentent les caractéristiques de l’environnement de manière plus précise que celles des filles. Un nombre plus élevé de cartes dessinées par les filles comporte des erreurs sérieuses quant à la localisation de repères importants. Les garçons ont tendance à insister sur les routes et les parcours, tandis que les filles donnent plus d’importance à des repères spécifiques (la boutique du coin de la rue, etc.). Ces deux stratégies – utiliser des indicateurs de direction versus des points de repère – ont été abondamment étudiées (par exemple, Galea & Kimura 1997 : 53-65). La stratégie directionnelle est un exemple d’une appréhension de l’espace en tant que système géométrique ; l’importance des rues ou des parcours montre que l’espace est considéré dans les termes d’un autre système, ici un système de transport.
10. Systèmes mobiles. Si on demande à des gens de lancer ou d’attraper des objets en mouvement (tests centrés sur des cibles) comme de lancer des fléchettes ou d’intercepter des balles projetées par un lanceur, les hommes sont, en moyenne, meilleurs. De même, si on demande à des hommes de désigner quel est le plus rapide de deux objets en mouvement, les hommes donnent, en moyenne, des réponses plus correctes (Schiff & Oldak 1990 : 303-316).
11. Systèmes organisationnels. On a demandé aux membres de la tribu Aguaruna du nord du Pérou de classer par espèces une centaine ou plus de spécimens locaux (Atran 1994). Les systèmes de classification des hommes comprenaient plus de sous-catégories (par exemple, ils introduisaient une plus grande différenciation) et avaient plus de cohérence que ceux des femmes. Les critères employés par les hommes Aguruna pour décider de la place de tel ou tel animal ressemblaient plus souvent aux critères taxinomiques utilisés par les biologistes occidentaux – pour la plupart masculins (Atran 1994). La classification et l’organisation impliquent de systémiser car les catégories sont prédictibles. Plus les catégories sont fines, plus le système de prédiction sera performant.
12. Quotient de systémisation. Ce questionnaire a été soumis à des adultes choisis au hasard dans la population générale. Il comprend quarante questions sur le niveau d’intérêt éprouvé par le sujet envers un ensemble de différents systèmes présents dans son environnement (incluant des systèmes techniques, abstraits et naturels). Les hommes y obtiennent de meilleurs scores que les femmes (Baron-Cohen & Reichler 2003a).
13. Mécanique. Le questionnaire de prédiction physique (Physical Prediction Quest, PPQ) est basé sur une méthode mise au point pour sélectionner des aspirants ingénieurs. Le test implique de prédire quels leviers de direction vont bouger quand un mécanisme interne (de roues d’engrenage et de poulies) d’un type ou d’un autre est impliqué. Les scores des hommes sont, de manière significative, plus élevés que ceux des femmes (voir figure 2, Lawson et al. à paraître).

Une forme extrême du cerveau masculin

L’autisme est diagnostiqué quand un individu présente des anomalies dans son développement social, dans la communication avec autrui et manifeste, dès le plus jeune âge, des intérêts et des activités anormalement restreints et répétitifs (American Psychiatric Association 1994). Le syndrome d’Asperger (AS) a été proposé comme une variante de l’autisme chez les enfants avec un QI ordinaire ou élevé, apprenant à parler en temps normal. Aujourd’hui, environ 1 enfant sur 200 présente une des « conditions du spectre autistique », qui comprend le syndrome d’Asperger (Frith 1991). Les conditions du spectre autistique affectent beaucoup plus souvent les hommes que les femmes. Chez les personnes présentant un autisme de haut niveau ou syndrome d’Asperger, le sex-ratio est d’au moins 10 hommes pour 1 femme. Ces affections ont également une forte composante héréditaire (Bailey et al. 1998 : 571-578) et neurodéveloppementale. On constate des différences structurelles et fonctionnelles dans certaines régions du cerveau – l’amygdale, une structure cérébrale impliquée dans le traitement des émotions, est de taille anormale et ne réagit pas aux expressions d’émotions (Baron-Cohen et al. 2000 : 355-364).
La théorie de l’autisme comme forme extrême du cerveau masculin a été tout d’abord suggérée de manière informelle par Hans Asperger en 1944 : « La personnalité autiste est une variante extrême de l’intelligence masculine. Même au sein de la population normale, on trouve des différences sexuelles typiques dans l’intelligence… Chez l’individu autiste, le modèle masculin est poussé à l’extrême » (Asperger 1944 : 76-136). En 1997, cette hypothèse controversée a été réexaminée (Baron-Cohen & Hammer 1997 : 193-217).
Maintenant que nous avons défini les différents types de cerveaux, il nous est possible de tester empiriquement la théorie d’une forme extrême du cerveau masculin.

Données en faveur de la théorie d’une forme extrême du cerveau masculin

Les premiers tests mettant à l’épreuve cette théorie se sont révélés positifs (Baron-Cohen et al. 1999a : 475-483 ; Baron-Cohen 2000). On résumera ici quelques points convergents des données.

Une empathisation défaillante •

Lecture de la pensée (mindreading). Les filles réussissent mieux que les garçons les tests standards de « théorie de l’esprit », et les enfants atteints d’autisme ou du syndrome d’Asperger y obtiennent d’encore plus mauvais résultats que les garçons normaux (Happe 1995 : 843-855). Ils présentent un retard et des difficultés caractéristiques dans le développement de la « lecture de la pensée » (c’est-à-dire dans l’interprétation et la prédiction des sentiments, des pensées et du comportement d’autrui). On a dit de l’autisme qu’il est caractérisé par une « cécité mentale », mindblindness (Baron-Cohen 1995).
Quotient d’empathie. Dans ce questionnaire, les femmes obtiennent de meilleurs résultats que les hommes et les personnes atteintes d’autisme de haut niveau ou du syndrome d’Asperger ont des résultats plus bas encore que les hommes ordinaires (Baron-Cohen et al. 2000).
Test de lecture de la pensée dans les yeux. Dans ce test qui a pour but de distinguer les émotions à partir de l’expression du regard, les femmes obtiennent des résultats meilleurs que les hommes et les personnes atteintes du syndrome d’Asperger en obtiennent de plus mauvais encore que les hommes ordinaires (Baron-Cohen et al. 1997a : 813-822 ; voir figure 3).
Test des expressions complexes du visage. Les femmes y obtiennent des scores plus élevés que les hommes et les personnes atteintes du syndrome d’Asperger ont des résultats plus bas encore que ceux des hommes ordinaires (Baron-Cohen et al. 1997c : 311-331).
Contact par le regard. Les femmes établissent plus de contacts par les yeux que les hommes ; les personnes autistes ou avec le syndrome d’Asperger en établissent encore moins que les hommes ordinaires (Lutchmaya et al. 2002a ; Swettenham et al. 1998 : 747-753).
Apprentissage de la parole. Les filles acquièrent plus vite du vocabulaire que les garçons tandis que les enfants atteints d’autisme sont encore plus lents que ces derniers (Lutchmaya et al. 2002b).
Pragmatique. Les femmes sont en moyenne supérieures aux hommes pour ce qui est du bavardage et de la pragmatique de la conversation et c’est précisément cet aspect du langage que les personnes atteintes du syndrome d’Asperger trouvent le plus difficile à maîtriser (Baron-Cohen 1988 : 379-402).
Test du faux pas. Les femmes apprécient mieux que les hommes ce qui serait socialement indélicat et potentiellement blessant ou choquant tandis que les gens atteints d’autisme ou du syndrome d’Asperger ont des résultats encore moins bons que ceux des hommes ordinaires (Baron-Cohen et al. 1999b : 407-418).
Questionnaire sur l’amitié. Il évalue les styles de relations empathiques. Les femmes y obtiennent de meilleurs scores que les hommes tandis que les adultes atteints du syndrome d’Asperger ont des résultats plus bas encore que ceux des hommes ordinaires (Baron-Cohen & Wheelwright non publié).

Une meilleure systémisation •

Ilots de capacité. Certaines personnes présentant des troubles qui relèvent du spectre de l’autisme possèdent des « îlots de capacité », ou des capacités spécifiques très développées,en matière de calcul mathématique, de calcul de dates, d’acquisition de la syntaxe, de musique ou de mémorisation des horaires de train (Baron-Cohen & Bolton 1993). Dans les cas d’autisme de haut niveau, cela peut conduire à des résultats exceptionnels en mathématiques, aux échecs, en connaissances mécaniques et autres matières scientifiques, techniques, factuelles ou basées sur des règles. Il s’agit là de domaines hautement « systémisables ». Et la plupart d’entre eux sont également des domaines qui attirent naturellement les hommes ordinaires.
L’attention aux détails. L’autisme conduit à une attention très fine aux détails. Par exemple, dans le test du personnage caché, les hommes obtiennent de meilleurs résultats que les femmes, et les gens atteints d’autisme de haut niveau ou du syndrome d’Asperger obtiennent de meilleurs résultats que les hommes ordinaires. Il ne s’agit pas d’un test de systémisation en soi mais d’une mesure de la capacité à percevoir un détail précis, faculté indispensable à la systémisation (Jolliffe & Baron-Cohen 1997 : 527-534). Dans les tests de recherche visuelle, les hommes présentent une meilleure attention aux détails que les femmes et les personnes atteintes d’autisme ou du syndrome d’Asperger font preuve d’une détection visuelle plus précise et rapide encore (O’Riordan et al. 2001 : 9-30).
Préférence pour une information basée sur des règles, structurée et factuelle. Les personnes atteintes d’autisme sont fortement attirées par les informations structurées, factuelles et basées sur des règles. Un biais en faveur des hommes pour ce genre d’information est également observé dans la population générale.
Tests de physique intuitive. Les hommes y ont de meilleurs résultats que les femmes et les personnes atteintes du syndrome d’Asperger obtiennent des scores plus élevés encore (Baron-Cohen et al. 2001a : 47-78).
Préférence pour les jouets. Les garçons préfèrent les jouets de construction et les voitures ; des rapports cliniques signalent que les enfants atteints d’autisme ou du syndrome d’Asperger ont une préférence très marquée pour ces mêmes jouets.
Collectionner. Les garçons se lancent plus fréquemment dans des collections ou des organisations d’objets que les filles et, dans l’autisme, on repère le même phénomène, de manière très accentuée.
Obsession des systèmes fermés. La plupart des autistes sont attirés naturellement par des choses prédictibles, par exemple les ordinateurs. A l’opposé des êtres humains, les ordinateurs obéissent à des lois strictes et sont des systèmes fermés – toutes les variables sont bien définies au sein d’un système, peuvent être connues, sont prévisibles et, en principe, contrôlables. D’autres autistes peuvent ne pas faire des ordinateurs leur centre d’intérêt mais s’attacher à comprendre d’autres systèmes, également fermés, comme la migration des oiseaux ou la circulation des trains (Baron-Cohen & Wheelwright 1999 : 484-490).
Quotient de systémisation. Les hommes obtiennent de meilleurs résultats à ce questionnaire et les personnes autistes ou atteintes du syndrome d’Asperger les surpassent (Baron-Cohen & Reichler 2003a).

Les données biologiques et familiales

Quotient de spectre autistique. Les hommes dans la population générale obtiennent de meilleurs résultats à ce test que les femmes, et les personnes avec un syndrome d’Asperger ou un autisme de haut niveau obtiennent les scores les plus élevés (Baron-Cohen et al. 2001c : 5-17).
Marqueurs somatiques de dimorphisme sexuel. Les mesures de longueur des doigts montrent que les hommes ont tendance à avoir l’annulaire plus long que l’index, ce trait étant encore plus développé chez les autistes ou les individus présentant un syndrome d’Asperger (Manning et al. 2001 : 160-164).
Puberté précoce. Les garçons atteints d’autisme ont une puberté précoce, liée à des taux élevés de testostérone (Tordjman et al. 1997 : 1626-1627).
Aptitudes familiales. Les pères et grands-pères (des deux côtés de la famille) d’individus autistes sont plus nombreux à avoir eu des métiers comme celui d’ingénieur, qui demandent une bonne systémisation et pour lesquels une légère altération des capacités d’empathie (qui a également été relevée) n’est pas nécessairement un obstacle à la réussite (Baron-Cohen et al. 1997d : 101-108). Il existe un taux d’autisme plus élevé dans les familles avec des aptitudes pour les mathématiques, la physique et l’ingénierie que dans celles plus spécialisées dans les sciences humaines (Baron-Cohen et al. 1998 : 296-301). Ces deux résultats suggèrent que le style cognitif masculin extrême est, en partie, hérité.

Un symptôme clé expliqué

Les phénomènes imprévisibles ou difficiles à contrôler (comme les êtres humains) provoquent de l’anxiété ou de l’indifférence chez les personnes autistes. En revanche, ils sont très attirés par les phénomènes les plus aisément prédictibles. Quand ils sont confrontés au monde social imprévisible, ils réagissent en essayant d’imposer de la prédictibilité ou du « semblable » (de l’immuabilité), tentant de contrôler les gens par des colères et par une insistance sur la répétition. Ils éprouvent les plus grandes difficultés dans les cours de récréation, en matière d’amitié, de relations intimes et, au travail, dans les moments où la situation est déstructurée, imprévisible ou quand il est nécessaire de faire preuve de sensibilité sociale. Les individus les plus performants rapportent qu’ils se donnent beaucoup de mal pour se constituer un gigantesque ensemble de règles de comportement s’appliquant à chaque situation, essayant de développer une sorte de « manuel mental » d’interaction sociale avec des règles du type « si-alors ». Comme s’ils essayaient de systémiser le comportement social alors que l’approche naturelle de la socialisation devrait passer par l’empathisation (Holliday-Willey 1999).

Cohérence centrale versus systémisation

Une théorie concurrente s’intéressant aux anomalies cognitives qui ne sont pas liées au social chez les autistes avance que ces derniers souffrent d’une « faible cohérence centrale » (Frith 1989). La systémisation propose un point de vue différent : les personnes atteintes d’autisme ou du syndrome d’Asperger débutent leur processus cognitif en se concentrant sur les plus petits détails, comme s’ils tentaient de trouver des « variables » dans un domaine « systémisable ». Cette attention aux détails pourrait sembler provenir d’un déficit d’approche globale, mais, du point de vue de la systémisation, l’attention aux détails est simplement la meilleure (et peut-être l’unique) manière de commencer à traiter l’environnement.
De surcroît, si on cherche à déchiffrer un système, il vaut mieux se concentrer sur un point précis, l’isoler, comprendre les règles qui gouvernent un petit nombre de variables pertinentes avant de passer à une autre partie de ce système. Cela peut s’apparenter à une préoccupation restreinte et obsessionnelle envers les détails d’un phénomène extrêmement spécifique (par exemple, faire tourner les roues d’une petite voiture). L’hypothèse d’une faible cohérence centrale avance que l’échec des autistes à utiliser le contexte linguistique constitue une preuve de cette théorie. Toutefois, le contexte linguistique, de même que la parole humaine, est davantage rempli de signifiants qui dépendent de la reconnaissance des intentions du locuteur (ce qui demande de l’empathisation), plutôt qu’il ne dérive d’un ensemble de règles prédictibles. L’« échec » des autistes à utiliser le contexte linguistique peut, au contraire, résulter d’une attention trop focalisée sur les détails, la personne autiste essayant automatiquement de systémiser.
Comment pourrait-on confronter ces deux théories ? En premier lieu, la théorie d’une faible cohérence centrale prédirait que les autistes ou les personnes présentant un syndrome d’Asperger n’arriveraient jamais à comprendre un système dans sa globalité. Un système entier n’est pas seulement composé de règles locales, proches (« A entraîne B », A et B étant des composants voisins), mais également de règles distantes (« B entraîne Z », Z étant distal). De plus, un système n’est pas seulement constitué de détails isolés (par exemple des notes de musique) mais aussi des relations entre ces éléments (comme les intervalles entre les notes). Les études effectuées sur des autistes « savants » montrent souvent une bonne compréhension implicite des règles du système (qu’il s’agisse de mathématiques, de musique, de dessin, de syntaxe, de calendriers) et de l’organisation des relations au sein du système (Hermelin 2001).
C’est exactement ce que la théorie de la systémisation prédit, contrairement à celle de la faible cohérence centrale. Parmi les sujets de fascination, voire d’obsession, des personnes avec un syndrome d’Asperger, on trouve, par exemple, la menuiserie où la conception du produit est vue à la fois à un niveau global (comme un « système ») et en termes d’agencement mécanique de chaque détail du système. La faible cohérence centrale ne prédirait pas une telle compétence dans la compréhension du système comme un tout. De même, le fait que beaucoup de personnes avec un syndrome d’Asperger soient fascinées par le déchiffrement de codes est un bon exemple de ce qui serait prédit par la théorie de la systémisation mais pas nécessairement par celle de la faible cohérence centrale.

Conclusions et recherche future

Les données et les arguments présentés dans cet article suggèrent que le cerveau masculin est de type S (où S>E), le cerveau féminin de type E (où E>S) et que le cerveau autiste est une forme extrême du cerveau masculin (S>>E). Si on se réfère à la figure 1, le développement d’un état relevant du spectre de l’autisme signifie que ce type de cerveau est décalé vers la partie inférieure droite du schéma. Pour les hommes, ce n’est qu’un petit décalage, du type S à l’extrême type S. Pour les femmes, il est plus considérable, du type E à l’extrême type S. Les causes de ce décalage ne sont toujours pas claires, mais elles comprennent notamment des différences génétiques et de taux de testostérone prénatale (Bailey et al. 1998 : 571-578 ; Lutchmaya et al. 2002b).
Tout ce que nous savons au sujet du cerveau féminin extrême est que, d’après le modèle de la figure 1, on peut prédire qu’il existe. A quoi ressemblent de telles personnes ? Elles figureraient dans le quart supérieur gauche du schéma. Leur empathisation devrait être nettement plus développée que celle des autres personnes dans la population générale tandis que leur systémisation serait défaillante. Ces personnes auraient du mal à comprendre les mathématiques ou la physique, les machines ou la chimie en tant que systèmes, mais elles seraient à l’écoute de manière remarquable des sentiments et des pensées d’autrui. Un tel profil constituerait-il nécessairement un handicap ? La personne dotée d’un cerveau féminin extrême serait « aveugle aux systèmes » (system-blind). Notre société tolère particulièrement bien de tels individus. On peut espérer que les personnes biologiquement mind-blind pourront également jouir de la même tolérance sociale.
Si nous savons quelque chose du réseau neuronal de l’empathisation (Baron-Cohen et al. 1999c : 1891-1898), notre connaissance du réseau neuronal de la systémisation est actuellement réduite. Il faut espérer que les recherches permettront bientôt de découvrir les régions cérébrales clés impliquées dans cet aspect de la cognition.

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Annexes

Culture et biologie

A l’âge d’un an, les petits garçons manifestent une préférence marquée pour les vidéos montrant des voitures qui roulent (systèmes mécaniques prédictibles) plutôt que pour les films de visages humains. Les petites filles manifestent la préférence opposée. Toujours au même âge, ces dernières établissent également plus de contacts oculaires avec autrui que les garçons (Lutchmaya & Baron-Cohen, 2002c). Certains chercheurs ont fait l’hypothèse que, même à cet âge, la socialisation pourrait avoir provoqué ces différences liées au sexe. Bien qu’il existe des données en faveur d’une socialisation différenciée contribuant aux différences sexuelles, il est cependant peu probable que cette explication soit suffisante car il a été démontré que, même pour les bébés âgés d’un jour, les garçons regardent plus longuement un objet mobile mécanique (système obéissant à des lois de mobilité prédictibles) qu’un visage (objet quasiment impossible à systémiser) tandis que les nourrissons de sexe féminin montrent la tendance inverse (Connellan et al. 2001 : 113-118). Ces différences de sexe sont donc présentes dès le tout début de la vie. Ce qui soulève la possibilité que, tandis que la culture et la socialisation peuvent partiellement déterminer le développement d’un cerveau masculin (avec un intérêt plus développé pour les systèmes) ou d’un cerveau féminin (avec un intérêt plus développé pour l’empathie), la biologie pourrait aussi jouer un rôle dans ce phénomène. Il existe beaucoup de preuves en faveur de ces deux déterminismes : culturel et biologique (Eagly 1987 ; Gouchie & Kimura 1991 : 323-334). Par exemple, la quantité de contacts établis par le regard à l’âge d’un an est inversement proportionnelle au niveau de testostérone prénatale (Lutchmaya et al. 2002a).
 

 Pour citer cet article

Référence papier
Baron-Cohen S., 2004, « L’autisme : une forme extrême du cerveau masculin ? », 2004, Terrain, n° 42, pp. 17-32.
Référence électronique
Simon Baron-Cohen, « L’autisme : une forme extrême du cerveau masculin ? », Terrain, numero-42 - Homme/Femme (mars 2004), [En ligne], mis en ligne le 05 septembre 2008. URL : http://terrain.revues.org/1703. Consulté le 16 août 2013.

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