La situation
était encore très tendue en Égypte après le "jour de colère" décrété
vendredi par les Frères musulmans, qui s'est soldé par de nouvelles
violences et un bilan d'au moins 80 morts. La police égyptienne assiége
samedi de nombreux islamistes dans une mosquée du Caire .Suivez les
événements en direct sur Le Point.fr.
Une mosquée assiégée
Samedi,
un cordon de policiers bottés et casqués barrait l'entrée de la mosquée
Al-Fath, et repoussait régulièrement des vagues de personnes
visiblement très nerveuses qui refluaient vers l'esplanade où les
islamistes avaient installé des tentes, s'en prenant à plusieurs femmes
intégralement voilées ou à des hommes portant la barbe. Ahmed Sami, qui
arbore lui-même une imposante barbe, venu s'enquérir des nouvelles de
ses amis à l'intérieur de la mosquée a dit à l'AFP redouter "qu'ils n'en
sortent morts".
À travers l'Égypte -
où l'état d'urgence a été rétabli pour un mois et un couvre-feu
nocturne instauré -, des "comités populaires" se sont mis en place. Il
s'agit en réalité de groupes d'auto-défense de jeunes souvent excités et
armés qui fouillent les passants, contrôlent l'accès à leur quartier et
amènent de force à l'armée et à la police toute personne leur
paraissant suspecte. Leur multiplication fait craindre un phénomène de
justice de rue dans le pays où les divisions n'ont jamais été si
profondes entre partisans de Mohamed Morsi et des nouvelles autorités
dont l'homme fort est le chef de la toute-puissante armée, le général
Abdel Fattah al-Sissi.
À l'intérieur
de la mosquée Al-Fath transformée en morgue de fortune lors des
affrontements vendredi, des images diffusées par des télévisions ont
montré des membres des forces de l'ordre, entrés sans avoir recours à la
force, semblant négocier avec les manifestants pour qu'ils quittent les
lieux. Une manifestante à l'intérieur a affirmé à l'AFP par téléphone
que les pro-Morsi réclamaient la garantie de ne pas être arrêtés ou
attaqués par des civils hostiles en sortant de la mosquée. Ils seraient
encore un millier à l'intérieur, selon les Frères musulmans, la
confrérie de Mohamed Morsi. Des responsables de la sécurité, cités par
l'agence officielle Mena, ont affirmé que la police avait essuyé des
tirs venus de l'intérieur de la mosquée, tandis qu'un manifestant a
assuré à l'AFP que les manifestants s'y étaient réfugiés pour éviter les
balles des forces de l'ordre - désormais autorisées à ouvrir le feu sur
les manifestants hostiles - lors des manifestations vendredi.
Le jeu d'al-Qaida ?
Dans un chat organisé par la RTBF, le journaliste Alain Gresh, spécialiste du Proche et du Moyen-Orient et directeur-adjoint du Monde diplomatique,
se montre très pessimiste sur la situation. Selon lui, le mouvement des
Frères musulmans représente au moins 20 % du corps électoral du pays.
Leur répression rend donc illusoire toute instauration de la démocratie
dans ce pays : "Peut-on imaginer une démocratie qui exclurait l'islam
politique ? Cinquante ans de dictature dans le monde arabe nous ont
appris que non. L'enjeu, en Égypte comme en Tunisie, était justement
l'intégration des forces qui acceptent le jeu démocratique. Al-Qaida
peut se réjouir", conclut le spécialiste. "Cela fait des mois qu'ils ont
critiqué la stratégie parlementaire des Frères, les événements vont-ils
leur donner raison ? Il est clair que ce qui se passe en Égypte
poussera à la radicalisation."
Retrouvez le point de vue de notre éditorialiste "Égypte : mieux vaut les centurions que les barbus"
Le procès de Moubarak ajourné
Le
procès de l'ancien président égyptien Hosni Moubarak pour complicité
dans le meurtre de manifestants a été ajourné au 25 août, à l'issue
d'une brève audience samedi. L'ancien président, âgé de 85 ans, et son
ancien ministre de l'Intérieur, Habib el-Adli, tous deux poursuivis avec
six autres responsables du régime renversé début 2011 par une révolte
populaire, n'étaient pas présents dans le box grillagé de la cour
criminelle. Hosni Moubarak est jugé en même temps que ses deux fils, six
anciens hauts responsables des services de sécurité ainsi qu'un homme
d'affaires, Hussein Salem, qui a fui vers l'Espagne. La révolte qui a
renversé l'ancien président début 2011 avait fait près de 850 morts,
selon des chiffres officiels.
La
nouvelle audience du procès Moubarak aura lieu le jour où s'ouvrira un
autre procès au Caire : celui de hauts dirigeants des Frères musulmans -
dont leur Guide suprême, Mohamed Badie, en fuite - pour "incitation au
meurtre de manifestants".
La prière du pape François
Le
pape François "continue à suivre avec une inquiétude croissante les
graves informations en provenance d'Égypte". Il "continue à prier et à
souhaiter que cesse la violence et que les parties en présence
choisissent la voie du dialogue et de la réconciliation", selon une
déclaration de la salle de presse du Vatican citée samedi par l'agence
Ansa. Le pape François avait déjà prié jeudi lors de son Angélus pour
les victimes des violences sanglantes en Égypte, ainsi que "pour la
paix, le dialogue et la réconciliation dans cette chère terre".
Un millier d'arrestations
Samedi
matin, le ministère de l'Intérieur a par ailleurs annoncé qu'un millier
d'islamistes proches des Frères musulmans, 1 004 précisément, avaient
été arrêtés la veille. Alors que des quartiers entiers du Caire ont été
transformés en champs de bataille, les pro-Morsi se sont mobilisés en
masse à travers le pays. Les manifestations ont quasiment cessé une
heure après l'entrée en vigueur du couvre-feu nocturne, à l'appel des
Frères musulmans, la confrérie de M. Morsi. Ceux-ci ont néanmoins appelé
à des manifestations quotidiennes à compter de samedi pour dénoncer la
mort mercredi de 578 personnes, en majorité des pro-Morsi tués dans la
dispersion par l'armée et la police de leurs camps au Caire, la journée
la plus sanglante depuis la chute du régime d'Hosni Moubarak en février
2011. Les Frères musulmans avait évoqué le bilan de 2 200 morts
mercredi.
Amnesty dénonce un usage de la force "disproportionné"
Amnesty
International a lancé un appel pour une enquête complète et impartiale
après les affrontements sanglants de ces derniers jours, estimant que la
réponse des autorités aux manifestants avait été "largement
disproportionnée". L'organisation des droits de l'homme dont le siège
est à Londres veut que des experts des Nations unies soient autorisés à
enquêter sur la crise. Amnesty affirme que les forces de sécurité ont
fait usage d'"armes létales injustifiées" et qu'elles n'ont pas respecté
leurs promesses de permettre aux blessés d'être évacués en toute
sécurité, selon son enquête sur le terrain.
"D'après
les premiers témoignages et autres éléments de preuves que nous avons
rassemblés, il semble n'y avoir guère de doute que les forces de
sécurité ont agi avec un mépris flagrant de la vie humaine, et qu'il est
nécessaire d'entamer de toute urgence des investigations complètes, qui
seront à la fois indépendantes et impartiales", a déclaré Philip
Luther, directeur du programme Moyen-Orient et Afrique du Nord
d'Amnesty. "Quand certains manifestants ont fait usage de violence, la
réponse des autorités a été largement disproportionnée, apparemment sans
faire de différence entre les manifestants violents et non violents",
a-t-il poursuivi, indiquant que des passants avaient aussi été pris dans
le feu des violences. "Les forces de sécurité ont recours à la force
létale quand il n'était pas strictement nécessaire de protéger des vies
ou d'empêcher des blessures graves, ce qui constitue une violation
claire de la législation et des normes internationales", selon M.
Luther.
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