samedi 17 août 2013

L'Égypte à l'aube d'une guerre civile ?

La situation était encore très tendue en Égypte après le "jour de colère" décrété vendredi par les Frères musulmans, qui s'est soldé par de nouvelles violences et un bilan d'au moins 80 morts. La police égyptienne assiége samedi de nombreux islamistes dans une mosquée du Caire .Suivez les événements en direct sur Le Point.fr.

Une mosquée assiégée

Samedi, un cordon de policiers bottés et casqués barrait l'entrée de la mosquée Al-Fath, et repoussait régulièrement des vagues de personnes visiblement très nerveuses qui refluaient vers l'esplanade où les islamistes avaient installé des tentes, s'en prenant à plusieurs femmes intégralement voilées ou à des hommes portant la barbe. Ahmed Sami, qui arbore lui-même une imposante barbe, venu s'enquérir des nouvelles de ses amis à l'intérieur de la mosquée a dit à l'AFP redouter "qu'ils n'en sortent morts".
À travers l'Égypte - où l'état d'urgence a été rétabli pour un mois et un couvre-feu nocturne instauré -, des "comités populaires" se sont mis en place. Il s'agit en réalité de groupes d'auto-défense de jeunes souvent excités et armés qui fouillent les passants, contrôlent l'accès à leur quartier et amènent de force à l'armée et à la police toute personne leur paraissant suspecte. Leur multiplication fait craindre un phénomène de justice de rue dans le pays où les divisions n'ont jamais été si profondes entre partisans de Mohamed Morsi et des nouvelles autorités dont l'homme fort est le chef de la toute-puissante armée, le général Abdel Fattah al-Sissi.
À l'intérieur de la mosquée Al-Fath transformée en morgue de fortune lors des affrontements vendredi, des images diffusées par des télévisions ont montré des membres des forces de l'ordre, entrés sans avoir recours à la force, semblant négocier avec les manifestants pour qu'ils quittent les lieux. Une manifestante à l'intérieur a affirmé à l'AFP par téléphone que les pro-Morsi réclamaient la garantie de ne pas être arrêtés ou attaqués par des civils hostiles en sortant de la mosquée. Ils seraient encore un millier à l'intérieur, selon les Frères musulmans, la confrérie de Mohamed Morsi. Des responsables de la sécurité, cités par l'agence officielle Mena, ont affirmé que la police avait essuyé des tirs venus de l'intérieur de la mosquée, tandis qu'un manifestant a assuré à l'AFP que les manifestants s'y étaient réfugiés pour éviter les balles des forces de l'ordre - désormais autorisées à ouvrir le feu sur les manifestants hostiles - lors des manifestations vendredi.

Le jeu d'al-Qaida ?

Dans un chat organisé par la RTBF, le journaliste Alain Gresh, spécialiste du Proche et du Moyen-Orient et directeur-adjoint du Monde diplomatique, se montre très pessimiste sur la situation. Selon lui, le mouvement des Frères musulmans représente au moins 20 % du corps électoral du pays. Leur répression rend donc illusoire toute instauration de la démocratie dans ce pays : "Peut-on imaginer une démocratie qui exclurait l'islam politique ? Cinquante ans de dictature dans le monde arabe nous ont appris que non. L'enjeu, en Égypte comme en Tunisie, était justement l'intégration des forces qui acceptent le jeu démocratique. Al-Qaida peut se réjouir", conclut le spécialiste. "Cela fait des mois qu'ils ont critiqué la stratégie parlementaire des Frères, les événements vont-ils leur donner raison ? Il est clair que ce qui se passe en Égypte poussera à la radicalisation."

Le procès de Moubarak ajourné

Le procès de l'ancien président égyptien Hosni Moubarak pour complicité dans le meurtre de manifestants a été ajourné au 25 août, à l'issue d'une brève audience samedi. L'ancien président, âgé de 85 ans, et son ancien ministre de l'Intérieur, Habib el-Adli, tous deux poursuivis avec six autres responsables du régime renversé début 2011 par une révolte populaire, n'étaient pas présents dans le box grillagé de la cour criminelle. Hosni Moubarak est jugé en même temps que ses deux fils, six anciens hauts responsables des services de sécurité ainsi qu'un homme d'affaires, Hussein Salem, qui a fui vers l'Espagne. La révolte qui a renversé l'ancien président début 2011 avait fait près de 850 morts, selon des chiffres officiels.
La nouvelle audience du procès Moubarak aura lieu le jour où s'ouvrira un autre procès au Caire : celui de hauts dirigeants des Frères musulmans - dont leur Guide suprême, Mohamed Badie, en fuite - pour "incitation au meurtre de manifestants".

La prière du pape François

Le pape François "continue à suivre avec une inquiétude croissante les graves informations en provenance d'Égypte". Il "continue à prier et à souhaiter que cesse la violence et que les parties en présence choisissent la voie du dialogue et de la réconciliation", selon une déclaration de la salle de presse du Vatican citée samedi par l'agence Ansa. Le pape François avait déjà prié jeudi lors de son Angélus pour les victimes des violences sanglantes en Égypte, ainsi que "pour la paix, le dialogue et la réconciliation dans cette chère terre".

Un millier d'arrestations

Samedi matin, le ministère de l'Intérieur a par ailleurs annoncé qu'un millier d'islamistes proches des Frères musulmans, 1 004 précisément, avaient été arrêtés la veille. Alors que des quartiers entiers du Caire ont été transformés en champs de bataille, les pro-Morsi se sont mobilisés en masse à travers le pays. Les manifestations ont quasiment cessé une heure après l'entrée en vigueur du couvre-feu nocturne, à l'appel des Frères musulmans, la confrérie de M. Morsi. Ceux-ci ont néanmoins appelé à des manifestations quotidiennes à compter de samedi pour dénoncer la mort mercredi de 578 personnes, en majorité des pro-Morsi tués dans la dispersion par l'armée et la police de leurs camps au Caire, la journée la plus sanglante depuis la chute du régime d'Hosni Moubarak en février 2011. Les Frères musulmans avait évoqué le bilan de 2 200 morts mercredi.

Amnesty dénonce un usage de la force "disproportionné"

Amnesty International a lancé un appel pour une enquête complète et impartiale après les affrontements sanglants de ces derniers jours, estimant que la réponse des autorités aux manifestants avait été "largement disproportionnée". L'organisation des droits de l'homme dont le siège est à Londres veut que des experts des Nations unies soient autorisés à enquêter sur la crise. Amnesty affirme que les forces de sécurité ont fait usage d'"armes létales injustifiées" et qu'elles n'ont pas respecté leurs promesses de permettre aux blessés d'être évacués en toute sécurité, selon son enquête sur le terrain.
"D'après les premiers témoignages et autres éléments de preuves que nous avons rassemblés, il semble n'y avoir guère de doute que les forces de sécurité ont agi avec un mépris flagrant de la vie humaine, et qu'il est nécessaire d'entamer de toute urgence des investigations complètes, qui seront à la fois indépendantes et impartiales", a déclaré Philip Luther, directeur du programme Moyen-Orient et Afrique du Nord d'Amnesty. "Quand certains manifestants ont fait usage de violence, la réponse des autorités a été largement disproportionnée, apparemment sans faire de différence entre les manifestants violents et non violents", a-t-il poursuivi, indiquant que des passants avaient aussi été pris dans le feu des violences. "Les forces de sécurité ont recours à la force létale quand il n'était pas strictement nécessaire de protéger des vies ou d'empêcher des blessures graves, ce qui constitue une violation claire de la législation et des normes internationales", selon M. Luther.

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