par Michael Ducousso
Photo du film « Wolverine : le combat de l’immortel », sorti mercredi en salles - DR
Ecrans.fr explore un peu plus loin les univers abordés pas les blockbusters estivaux. Après les zombies et les robots géants, on s’attarde sur l’analyse du plus griffu des X-men avec le philosophe Thierry Hoquet.
On reproche souvent aux blockbusters à effets spéciaux
et scènes de combat d’être dépourvus de sens. Aussi étonnant que cela
puisse paraître, Wolverine, le sauvageon bourru-griffu, est sans doute
le plus spirituel des membres de l’Institut Xavier — les X-Men. Non
seulement parce que ses rouflaquettes ont fait fureur chez les
philosophes du XIXe siècle, mais aussi parce que cette figure de
science-fiction porte en elle les germes du transhumanisme. Mutant,
immortel et amélioré par la science, Logan est l’incarnation même de ce
que pourrait être l’homme de demain, l’homo Superior, avec un grand S
pas comme Superman.
Chez Ecrans.fr, nous n’avons donc pas hésité à établir
le portrait de ce philosophe en posant la question révolutionnaire qui
va bouleverser la science moderne et inspirer les sujets de philosophie
du bac 2014 : « Wolverine est-il le dernier des philosophes
transhumanistes ? ». Une thèse presque de bonne foi défendue avec le
soutien du philosophe Thierry Hoquet (1).
Mutatis Mutant X
Apparu en 1974 dans Incredible Hulk #180,
le super-héros Wolverine, aussi nommé Serval ou Glouton dans les
éditions françaises (les super-héros c’est comme le rock, cça passe
toujours mieux en anglais) est un mutant. Du fait de cette particularité
génétique, il est devenu, comme le reste des X-Men, un symbole dans la
lutte pour la reconnaissance des différentes minorités. Afro-américains,
juifs ou encore homosexuels (qui ont eu droit au premier mariage gay
dans Astonishing X-Men #51, bien avant que Frigide
Barjot ne fasse des siennes), tous ont pu un jour se reconnaître à
travers un des jeunes élèves de Charles Xavier. Le mutant, c’est
l’autre, à la fois semblable et différent. Dans ces conditions, le
parallèle entre un groupe d’individus mis au ban de la société et une
classe d’étudiants victimes de discriminations est évidente.
Pourtant, nous devrions tous nous sentir concernés par la cause mutante : « Nous sommes tous des mutants, chacun a une singularité, fait remarquer Thierry Hoquet. En
chaque homme se joue l’avenir de l’espèce et la promesse de quelque
chose de nouveau, c’est toute l’idée de la théorie évolutionniste. »
Une évolution à laquelle nous sommes tous confrontés notamment à
l’adolescence, période à laquelle le charmant bambin se transforme en
mutant poilu et boutonneux. Ce traumatisme de la puberté que connaissent
bien aussi nos homologues super-héroïques a dû être particulièrement difficile pour le jeune Logan.
Dans Wolverine Origin (le comic book paru entre 2001 et 2002, à ne pas confondre avec X-men origins : Wolverine,
le film qui prend quelques libertés), le jeune James Howlett, de son
vrai nom, se découvre des griffes et un caractère bestial. C’est bien là
la
spécificité du personnage : de tous les X-men, il est le plus
animal, même le Fauve semble plus humain sous sa fourrure de gros
nounours bleu. Mais malgré sa pilosité qui rendrait jaloux le Sean Connery de la belle époque et sa fâcheuse manie de tout renifler, Logan n’en reste pas moins un être humain, et même un grand sensible. « C’est
tout le débat des mutants, il y a ceux qui disent “nous sommes comme
vous avec nos différences” [les X-men, ndlr] et ceux, les mutants plus
sombres, qui considèrent que l’évolution est advenue par le succès de
quelques mutants, précise le philosophe. Il y a l’idée que certains mutants sont déjà autre chose, une autre forme d’humanité, voire une autre espèce. »
Une théorie défendue par Magneto et ses sbires, mais
bien avant déjà par Hugo de Vries. En 1901, ce botaniste néerlandais
avance l’idée que l’évolution passe par des mutations radicales
permettant de franchir le cap entre une espèce et une autre, là où
Darwin pensait l’évolution comme une accumulation de petites
transformations du génome. Logan étant contemporain de ces deux
scientifiques, on ne peut douter qu’il a sérieusement étudié ces deux
théories et on peut affirmer sans erreur que Wolverine est darwiniste
tandis que son double maléfique et féroce, Dent-de-Sabre, semble être
clairement partisan de De Vries.
Man of Adamantium
Objet philosophique, Wolverine est aussi une expérience scientifique.
Dans les comics du début des années 1990, on apprend que le gouvernement
canadien, tirant parti des extraordinaires pouvoirs de régénération du
mutant, l’a incorporé contre son gré au projet Weapon X. Derrière ce
nom évocateur, le projet consistait à créer une machine à tuer ultime en
enduisant allègrement le squelette de Logan d’Adamantium, un métal
indestructible. Pour notre docteur ès philosophie, c’est la marque d’une
double évolution : « Wolverine est une figure hybride,
un croisement entre un mutant et un cyborg. Il est doté d’une
régénération organique à laquelle on a greffé un squelette en
adamantium. Il a un outillage incorporé, c’est le mélange de l’organique
et de la technique. »
En cela, le héros inventé par Len Wein est un parfait
produit de son époque. En 1974, l’ambiance est à la guerre froide, à la
course à l’armement, mais aussi à la conquête spatiale. « En
1985, sans son Manifeste Cyborg, Donna Haraway, explique que le terme
Cyborg est apparu dans les années 1960, dans un contexte militaire. Pour
partir dans l’espace on avait besoin de soldats améliorés, cuirassés
physiquement mais aussi psychologiquement et émotionnellement. » Un
conditionnement qui colle parfaitement avec les expérimentations menées
sur notre mutant velu, dont la mémoire a été altérée par des implants
cybernétiques et par son aptitude naturelle à effacer toutes les
séquelles dues à des traumatismes.
Si certains s’enthousiasment de la résistance physique et des quelques avantages
que procure le squelette métallique du héros, il ne faut pas y voir une
promotion du progrès scientifique. La science médicale progresse sur le
plan des organes cyborgs et autres nanotechnologies salvatrices, mais
l’histoire même de l’humain amélioré technologiquement est liée avant
tout à l’usage militaire. Thierry Hoquet tire la sonnette d’alarme :« La
recherche se pare de prétextes médicaux pour paraître acceptable. Tout
le monde soutient l’idée d’un homme réparé, d’un handicapé qui pourrait
remarcher, d’un aveugle qui pourrait revoir grâce à la technologie. Mais
derrière ce cyborg modeste ce cache le soldat de demain. »
Dans X-men origins : Wolverine, Logan est tout colère après son bain à l’adamantium
La science-fiction regorge d’exemples d’applications
militaristes de la science et souvent ce tropisme est lié à celui de la
dépendance. « L’homme a toujours été une espèce
technique, dépendante d’une ensemble d’outillage. Les outils sont créés
pour compléter l’organisme, ce sont des organes projetés, extérieurs,
comme le dit Hernst Kapp. En ce sens nous sommes tous des cyborgs. Mais
pour avoir accès à ces technologies, à ce pouvoir, il faut entrer dans
un système. Il y a un prix à payer : c’est la perte de notre liberté. On
s’aliène pour avoir accès à des prestations. A partir du moment où on
subit une greffe, il y a des propriétaires. »
Le thème a déjà été abordé par des films comme Repo Men
(2010), mais il n’y a pas besoin de chercher des exemples au cinéma
pour illustrer cette dépendance à risques. Le simple fait de laisser ses
données privées entre les mains d’entreprises pour pouvoir utiliser des
outils technologiques, nous place déjà dans une situation de cyborgs à
la merci de leur créateur. Et si Wolverine, en hacktiviste extrémiste, a
passé au fil de ses griffes ses pères technologiques, les internautes
ont des recours moins violents et moins efficaces face aux firmes soupçonnées de collaborer avec la NSA. « La
technique n’est pas un objet individuel, c’est un système. La question
c’est de savoir si on peut faire machine arrière une fois que l’on a un
doigt dans l’engrenage. » Morale de l’histoire : mieux vaut céder ses données privées que de se faire greffer un squelette en adamantium.
La solitude de l’Immortel
Son double statut de mutant et de cyborg fait de
Wolverine un être, si ce n’est immortel, tout du moins doté d’une
longévité exceptionnelle, voire même excessive. En effet, du Raymond
Fosca de Simone de Beauvoir à Christophe Lambert dans Highlander,
l’immortalité a toujours été perçue comme une malédiction. Ce qui
paraît être bénéfique au début se révèle très vite être un vrai fléau
une fois que le personnage s’aperçoit que cela le condamne à une
éternité de solitude. Dans Old Man Logan (2009),
Mark Millar joue avec cette idée et dépeint un Wolverine terriblement
âgé et désabusé, dans un monde post-apocalyptique où ses amis X-Men sont
pour la plupart décédés. Le héros a souvent eu une image de
franc-tireur « eastwoodien » en partie à cause de sa sauvagerie plus ou
moins contrôlée, mais aussi justement parce que les proches de Serval
ont une forte tendance à mourir dans des circonstances tragiques alors
qu’il peut sortir indemne d’une catastrophe nucléaire.
Old Man Logan
Néanmoins si l’on regarde bien, Wolverine n’est pas le
plus solitaire de tous les immortels. Il évolue dans l’univers Marvel
avec ses 5000 personnages, il compte parmi ceux qui collaborent avec le
plus d’équipes super-héroïques (Vengeurs, X-Men, Alpha Flight, etc.) et
malgré ses peines de cœur et les décès de ses compagnes successives,
notre petit Glouton est un coureur de jupons qui compte une sacrée liste
de conquêtes amoureuses (son sex-appeal venant bien entendu de sa
pilosité). Loin de s’apitoyer sur son sort, Logan a su très vite
profiter des avantages de sa capacité de guérison et des excès que cela
permet. Ainsi son goût pour les soirées de débauches à grands coups de
substances illicites ou d’alcool n’est plus à prouver.
Nous devrions donc tous tirer des leçons de ce maître
zen (il a passé de nombreuses années à méditer au Japon, c’est Marvel
qui le dit) qui a su concilier vie éternelle et hédonisme. Pour notre
philosophe, le comportement du héros de comics est une preuve de
sagesse : « Le rapport avec l’immortalité oblige à
penser quel est le statut de la mort chez l’Homme, le vivant en général.
Est-ce que c’est une nécessité ? On a tendance à considérer que si on
perd la mort, on perd la culture, faite d’Eros (l’amour) et de Thanatos
(la mort). L’immortalité serait la négation de la condition humaine.
Mais chez les transhumanistes, la mort c’est comme la maladie, on peut
la dépasser, car ce qui définit l’homme c’est l’arrachement à sa
condition. La quête de l’immortalité c’est très humain. » Une preuve
de plus que Logan est en avance sur le commun des mortels dans la quête
de la sérénité post-humaniste. De la à dire que Wolverine : le combat de l’immortel restera dans les mémoires... on ne peut pas soutenir toutes les théories farfelues.
(1) Thierry Hoquet est l’auteur de Cyborg Philosophie : penser contre les dualismes aux éditions du Seuil.
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