mercredi 30 mai 2012

Pourquoi mentons-nous ?


Modification de l'explication sur l'exercice de la matrice. Et changement du titre.
 

Un nez de Pinocchio (Juliana Coutinho/Flickr/CC)
Mentir un peu, c’est quand même mentir. Et selon Dan Ariely, professeur de psychologie et d’économie comportementale à l’université de Duke (Etats-Unis), l’humanité est très majoritairement encline à mentir... « juste un peu ».
Dans son livre « The Honest Truth About Dishonesty » (« L’honnête vérité sur la malhonnêteté », sous-titre : « Comment on ment à tout le monde – à commencer par soi-même »), il veut démontrer, sur la base de l’expérimentation, que l’individu n’agit pas vraiment en fonction d’un calcul coûts-bénéfices. Si c’était le cas, il suffirait de renforcer les sanctions pour que la délinquance baisse.

couverture du livre de Dan Ariely
Spécialiste de la remise en question de la rationalité économique, Dan Ariely avait déjà fait parler de lui avec son livre « C’est (vraiment ?) moi qui décide » (paru en 2008 chez Flammarion).
Cette fois, il explique que celui qui ment n’a pas peur du gendarme, il est mû par deux motivations contradictoires :
  • d’un côté, il cherche à accroître son intérêt (gloire, argent...) ;
  • de l’autre, il veut garder une image de lui même comme d’une personne honnête.
Celui qui ment, ce n’est pas seulement le voleur, le tricheur invétéré, c’est vous et moi.

Le test de la matrice

Les bonnes feuilles du livres, reproduites par le Wall Street Journal, font la part belles aux « expériences ».
Qu’il s’agisse de remplir une déclaration pour l’assurance, le travail ou le médecin, la grande majorité des gens mentent « juste un peu ». Très peu mentent éhontément. La preuve en est apportée par son expérience-phare, celle dite de la « matrice ».

L’expérience de la matrice (WSJ)
Prenons un groupe-test : les étudiants disposent de vingt « matrices », comme celle reproduite ici. Ils doivent, en cinq minutes, trouver dans chaque matrice les deux nombres dont la somme est égale à 10. Chaque bonne réponse est rémunérée.
Vérification de l’expérience : les cobayes doivent eux-même déclarer combien ils ont trouvé de bonnes combinaisons :
  • lorsque leurs résultats sont vérifiables, les scientifiques comptabilisent quatre bonnes réponses en moyenne ;
  • mais, « miraculeusement », note le chercheur, lorsque la feuille d’exercice a été détruite à la déchiqueteuse à papier (du moins c’est ce qu’on leur dit), les participants semblent « beaucoup plus intelligents » : ils prétendent alors avoir trouvé six bonnes réponses.

L’effet contagieux de la triche

Pour comprendre ce qui motive le mensonge, les chercheurs ont aussi testé l’impact de plusieurs facteurs :
  • l’argent : quand le montant de la rémunération varie entre 50 cents et 10 dollars, il n’y a pas davantage de mensonge. Il y en a même moins lorsque la prime est maximale, peut-être parce que passé un certain montant, les cobayes n’osent pas mentir, craignant que leur probité ne soit remise en cause. En revanche, quand des jetons (convertibles en argent) remplacent le vrai argent, les cobayes trichent deux fois plus ;
  • le mimétisme : si un acteur se dissimule dans le groupe et prétend qu’il a résolu toutes les combinaisons en un temps record – un mensonge qui saute aux yeux des autres – , cela dope la triche chez les autres, ce qui laisse penser que la triche est contagieuse.
En guise de comparaison, Ariely prétend que quand on porte des fausses lunettes Gucci, il est plus facile de repousser d’autres limites éthiques (version moderne de notre « qui vole un œuf, vole un bœuf »). De la même manière, quand on suit un régime draconien et qu’on fait une première entorse en mangeant une frite, on en vient rapidement à se dire : pourquoi pas une deuxième.
Rassurez-vous, la pratique est généralisée : les entreprises font comme vous quand elles mettent du temps à créditer vos chèques, ou qu’elles augmentent si peu les frais qu’elles pensent que vous ne vous en rendrez pas compte.

Des athées jurent sur la Bible... et ça marche

Inspiré par cette pensée, Dan Ariely a mené une expérience avec des collègues de l’université de Californie. Il a testé la valeur du rappel des dix commandements en comparaison avec d’autres codes éthiques. La Bible aurait un puissant effet anti-mensonge (dans le pays de Dan), y compris chez des athées. Le rappel des codes d’honneur d’école ferait le même effet sur les cobayes.
Une autre expérience menée avec des formulaires d’assurance va dans le même sens : s’il est demandé de certifier a priori « l’exactitude des renseignements » et de signer en haut du formulaire, alors les gens mentent moins que s’ils doivent signer en bas et a posteriori.
Un rappel à la morale, qu’elle soit religieuse ou pas, juste au moment de prendre une décision inciterait à suivre le droit chemin.

« Tu ne commettras point l’adultère »

Dès lors, la sévérité des punitions ne joue que faiblement à côté de la puissance psychologique du « je ne triche qu’un petit peu », « tout le monde le fait », ou « c’est pour le plus grand bien ». Un effet « à quoi bon », en quelque sorte.
Se demandant ce qui peut pousser les gens à être plus honnêtes, Dan Ariely, qui a aussi la nationalité israélienne, livre alors la blague que voici :
« Un homme ne retrouve pas son vélo à la sortie de la synagogue et va voir le rabbin, qui lui dit :
– “La semaine prochaine, asseyez-vous dans les premiers rangs. Quand on récite les dix commandements, au moment de dire ‘Tu ne voleras point’, retournez-vous et voyez qui ne peut pas soutenir votre regard. C’est lui.”
A l’issue du service suivant, le rabbin, curieux de savoir si son conseil avait fonctionné, demande :
– Ça a marché ?
L’homme lui répond :
– Comme un charme. Au moment où nous avons scandé “Tu ne commettras pas l’adultère”, je me suis rappelé où j’avais laissé mon vélo. »

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