dimanche 7 avril 2013

Après l'affaire Cahuzac: l'ère du soupçon

La haine des élites, de la réussite et de la richesse revient à trouver des boucs émissaires aux maux de la société française. Le «tous pourris» est factuellement faux et idéologiquement dangereux.

François Hollande, le 22 avril 2012. REUTERS/ Regis Duvignau. - François Hollande, le 22 avril 2012. REUTERS/ Regis Duvignau. -

La France est-elle entrée dans l'ère du soupçon? Le mal-être d'un pays qui refuse d'accepter le monde tel qu'il est, qui cultive la nostalgie d'un passé fantasmé, se traduit aujourd'hui par la haine proclamée des élites, de la réussite et de la richesse. Les affaires politico-financières et notamment la dernière, les aveux sidérants de Jérôme Cahuzac, sans précédents dans la vie politique française, ont ouvert les vannes. Le «tous pourris» est devenu un leitmotiv et la confusion est permanente entre le respect de la loi, la morale, la justice sociale et le fonctionnement de l'économie marchande.
Il ne s'agit pas ici de défendre les criminels et les fraudeurs, mais de s'interroger sur une société qui considère qu'appartenir à l'élite, qu'elle soit politique, économique, sportive, médiatique et culturelle, éveille naturellement le soupçon. Cela impliquerait d'une façon ou d'une autre de bénéficier d'avantages et de passe-droits. La France serait ainsi redevenue une société d'ancien régime faite de castes et de priviléges, non pas issus cette fois de la monarchie mais de la mondialisation et des «mondialisés»… le nouveau parti de l'étranger.


L'affaire Stavisky Cette conception idéologique radicale, véhiculée de longue date par l'extrême droite et l'extrême gauche, est maintenant communément tolérée. Elle part d'un constat martelé aujourd'hui dans les médias de masse: «cela ne peut pas durer comme cela, il faut que cela change». L'étape suivante consiste à désigner l'ennemi commun responsable de cette situation insupportable. On retrouve pêle-mêle: la mondialisation, le capitalisme, l'Europe, la finance internationale, l'oligarchie mondialiste et ses représentants en France, le parti de l'étranger… en l'occurrence le parti des comptes à l'étranger.
L'histoire ne se répète pas, mais ses enseignements sont précieux. Et l'affaire Cahuzac n'est pas sans rappeler par ses effets délétères l'affaire Stavisky dans une autre période troublée de la République et de la société française, les années 1930. Le populisme qui consiste à considérer que les élites trahissent le peuple a aussi des relents indéniables de fascisme. Pas dans la solution extrême proposée, un parti unique pour permettre la naissance d'un homme nouveau lavé des salissures du système, mais dans son constat, entendu maintes fois dans l'hystérie des derniers jours: «le poisson pourrit toujours par la tête».
Considérer que la République, telle qu'elle fonctionne aujourd'hui en France, secrète par nature la corruption de sa classe dirigeante est non seulement une analyse idéologiquement dangereuse mais aussi totalement fausse.

La nature du pouvoir

Si les affaires politico-financières et la consanguinité entre politiques et affairistes sont insupportables, si elles doivent être sanctionnées, elles ne sont pas le fruit de la République mais de la nature humaine et plus précisément de la nature du pouvoir. La corruption existe partout sur tous les continents et dans tous les systèmes. Elle est omniprésente dans les régimes dictatoriaux, en Russie, en Chine... et presque jamais dévoilée et dénoncée. La force des démocraties est de pouvoir l'affronter.

La République exemplaire n'est pas une République sans affaires, cela n'existe pas. C'est une République dans laquelle on ne parvient pas à cacher les affaires. C'est une République où les tricheurs et les corrompus sont jugés et condamnés. C'est une République où les policiers et les juges ne sont pas entravés. A cet égard, l'affaire Cahuzac est «exemplaire» non pas d'un système, mais de l'efficacité des contrepouvoirs de la démocratie française bien plus grande qu'à d'autres époques. Il a fallu 4 mois à la justice pour valider les accusations de Mediapart.

Les peuples aussi se fourvoient

Le soupçon généralisé, la jalousie et la haine sociale ne caractérisent pas une société qui se porte bien. La recherche de boucs émissaires est même la caractéristique de sociétés destabilisées par les mutations qu'elles subissent de l'Allemagne des années 1930 au monde arabe aujourd'hui. Pour Eric Le Boucher, la France est victime d'une maladie mentale collective. Les peuples aussi se fourvoient.
Non, les politiques ne prennent pas tous des décisions en fonction de leurs intérêts personnels, de ceux de leurs proches et de leurs soutiens plus ou moins avouables.
Non, les footballeurs professionnels ne sont pas par définition des voyous incultes issus des banlieues qui détestent la France et vivent dans la débauche.
Non, les grands acteurs français ne sont pas tous des enfants gâtés, surpayés, et ingrats envers le pays qui leur a permis d'exprimer leur talent.
Non, les dirigeants d'entreprises ne songent pas tous à s'enrichir au plus vite et par tous les moyens au détriment de leurs salariés, des consommateurs et du fisc.
Non, le secret bancaire n'est pas forcément une abomination. Il a été introduit dans la loi Suisse en 1934 pour tenter de protéger des Allemands qui essayaient alors de mettre dans les banques helvètes leurs biens que le régime nazi entendait leur confisquer. Dans l'allemagne de Hitler, posséder un compte bancaire à l'étranger était passible de la peine de mort…
Le vrai mal français est celui d'une société bloquée où l'ascenseur social ne fonctionne plus, qui n'offre aucune perspective à sa jeunesse (la moitié des jeunes français de 25 ans à 34 ans souhaite s'exiler) et où l'auto-reproduction sociale est devenue la norme. Et le remède proposé par les populistes de tous poils consisterait à isoler la France du reste du monde et à condamner la réussite et le mouvement!

Eric Leser

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