Le pilote de ligne Jérôme Schimpff et l'économiste Nicolas Bouzou expliquent en quoi le management de l'équipage d'un avion est un modèle à suivre.
Le monde de l'aéronautique est très en avance sur celui de
l'entreprise en termes de management. Forts de ce constat, Jérôme
Schimpff, pilote de ligne dans une grande compagnie aérienne,
et l'économiste Nicolas Bouzou ont décidé d'animer des séminaires sur
le thème: "les conseils pratiques venus de l'aéronautique pour
l'entreprise". "L'entreprise a des objectifs de rentabilité, l'équipage
d'un avion des contraintes de sécurité, fait remarquer Nicolas Bouzou.
Il est donc logique que les techniques de management de l'aéronautique
soient à la pointe. Il n'empêche que les entreprises peuvent s'en
inspirer". Voici comment:
1. Le contrôle mutuel
Dans l'aérien: "C'est l'ossature du fonctionnement d'un équipage, explique Jérôme Schimpff. Dans un avion, deux personnes sont aux commandes: le commandant de bord et le pilote. Ils ont des compétences techniques équivalentes, mais le commandant a plus d'expérience et c'est à lui qu'appartiendront les décisions finales. Il n'empêche que les deux travaillent en équipe, se surveillent l'un l'autre et chaque décision est prise d'un commun accord. Mieux, le pilote -qu'on pourrait considérer comme le subordonné- a le droit et même le devoir de donner son avis à son 'supérieur'".
-> En entreprise: "A l'inverse, le monde de l'entreprise fonctionne souvent sur le modèle suivant: un chef charismatique prend des décisions, souvent seul, illustre Nicolas Bouzou. La cour qui l'entoure tente par tous les moyens de justifier ces mêmes décisions. Qu'elles soient bonnes ou non pour l'entreprise. L'idée étant de se faire bien voir par sa hiérarchie, illustre Nicolas Bouzou. Or il est indispensable que les décisions engageantes soient vérifiées et éventuellement critiquées ou remises en cause par une tierce personne, si possible n'ayant pas exactement le même profil. Par exemple, un dirigeant à la tête de sa société depuis plus de trente, et réfractaire à l'arrivée des nouvelles technologies, doit être conseillé sur ce sujet. D'où l'intérêt de mettre en place un contre-pouvoir".
2. Dépassionner les relations
Dans l'aérien: "Comme nous venons de le voir avec le système du 'contrôle mutuel', commandant de bord et pilote donnent leur point de vue, font des suggestions argumentées, échangent. Et ce, dans les deux sens, note Jérôme Schimpff. Le fait de checker et de dialoguer a toujours existé dans le monde de l'aviation, mais cela a été encore plus formalisé depuis la catastrophe de Ténérife en 1977. En synthèse, un commandant de bord très autocrate croit avoir entendu l'autorisation de décoller de la part de la tour de contrôle. En fait, l'autorisation n'avait pas été donnée. Il y a du brouillard sur la piste et la visibilité est réduite. L'avion en percute un autre alors que le pilote et le mécanicien naviguant avaient émis des doutes sur l’autorisation de décollage. Bilan: 583 morts".
-> En entreprise: Pour l'économiste: "Un tel système n'existe pas dans le milieu de la finance, où il pourrait être très utile pour éviter les abus. Cela permettrait de faire en sorte qu'il n'y ait plus comme c'est le cas, de grosses zones d'ombre".
3. Toujours avoir un plan B
Dans l'aérien: "Quelque soit la situation, nous devons avoir un plan B. Pour ce faire, nous mettons en place des mini senarii, qui nous permettent d’anticiper sur les évènements. L'objectif étant de gérer nos marges et de rester le plus loin possible des limites. Par exemple, sur un vol, nous aurons toujours plus de carburant que nécessaire. Pour un Paris-Nice, nous aurons de quoi voler jusqu'à Marseille, au cas où nous ne pourrions pas atterrir à Nice. De même les moteurs sont dimensionnés pour permettre à l’avion de voler en toute sécurité si l’un tombe en panne, c’est la base de la redondance. Plus généralement, nous sommes formés pour parer du mieux possible à toute éventualité", selon le commandant de bord.
-> En entreprise: "Avoir un plan B est aussi quelque chose de majeur et rassurant dans le monde de l'entreprise, assure Nicolas Bouzou. Par exemple, une société qui a une ligne de trésorerie auprès d'une banque, devrait ne pas concentrer toutes ses sources de financement dans le même établissement. Car en cas de pépin avec cette dernière, la société sera bien en peine de payer ses salariés et ses fournisseurs. Cela est aussi le cas si le DG d'une entreprise démissionne et part très vite. Il faudra quelqu'un de formé et qui sache vite reprendre les rennes. De même, si le client principal d'une société fait défaut, il est sécurisant de ne pas avoir misé toute son activité sur lui seul. Cela est d''autant plus imaginable, qu'il s'agit de situations prévisibles… et qui peuvent s'avérer être très problématiques. D'où l'intérêt d'anticiper au maximum."
4. Fluidifier les échanges
Dans l'aérien: "Toutes les informations sont bonnes à prendre dans un avion. Surtout quand on travaille dans un espace clos qui fait 80 mètres de long et avec une porte blindée qui sépare le poste de pilotage de la cabine, déclare Jérôme Schimpff. Il serait illusoire de se priver de données provenant de l'ensemble de l'équipage. Le meilleur exemple étant ce crash de 1989 qui aurait pu être évité. Pour rappel, l'un des deux moteurs d'un avion britannique avait pris feu. L'équipage technique a suivi ses procédures en éteignant le moteur endommagé. Problème, un défaut de fabrication avait conduit à l'inversion des alarmes, c'est-à-dire que le moteur sain avait été signalé comme étant en feu. Pourtant, le personnel dans la cabine voyait bien que ce n'était pas le bon moteur qui avait été arrêté. Mais personne n'a prévenu le commandant de bord. Et ce fût le drame".
-> En entreprise: "Les conséquences dans une société seraient bien entendu moins dramatiques que ce crash. Mais il y a des leçons à tirer, l'entreprise n'exploitant pas toujours les informations que détient la base, faite remarquer Nicolas Bouzou. C'est notamment le cas dans la grande distribution. Les caissières de supermarché sont en contact permanent avec le client, et elles peuvent recueillir leurs impressions sur des produits, etc. Informations qui peuvent s'avérer essentielles au marketing et au commercial. Malheureusement, les entreprises sont rarement organisées pour faire remonter ces infos. Et surtout pour que ces données puissent infléchir sur les décisions qui seront prises".
5. Savoir écouter
Dans l'aérien: "Dans notre métier, nous sommes en amont drastiquement sélectionnés. Outre nos compétences techniques, nous sommes aussi choisis pour nos qualités humaines et notamment d'écoute. Car comme nous l'avons vu, nous devons savoir travailler ensemble", selon Jérôme Schimpff.
-> En entreprise: "Ces deux qualités sont aussi essentielles pour manager une entreprise. Elles peuvent être retrouvées chez les collaborateurs qui auront été sélectionnés en fonction de ces critères -notamment- au moment du recrutement", indique Nicolas Bouzou.
6. Faire des contrôles réguliers
Dans l'aérien: "Tous les six mois, nous effectuons des entraînements et sommes soumis à des contrôles de compétence, explique le commandant de bord. Nous faisons des exercices dans un simulateur et sommes observés et notés en fonction de nos réactions. Sont regardées: nos décisions techniques face à des situations improbables que certains d’entre nous ne rencontreront peut être jamais au cours de notre carrière. Mais surtout quelle aura été la synergie dans l'équipe. Car l'essence même de notre métier est de travailler en collaboration avec des personnes que nous ne connaissons pas. Et ce, au quotidien, sur chaque vol. Par exemple, pour une compagnie qui compterait 700 pilotes et 700 commandants de bord qualifiés sur un même type d'avion: la probabilité de revoler avec la même personne est de une tous les cinq ans!"
-> En entreprise: "Dans une entreprise, les collaborateurs doivent être incités à perfectionner leurs compétences en permanence, indique l'économiste. L’expérience ne suffit pas. Il faut une réactualisation périodique des connaissances théoriques. Et, pourquoi pas, des contrôles".
7. Partager ses erreurs
Dans l'aérien: selon Jérôme Schimpff, "dans l'aéronautique, l'erreur n'est pas sanctionnée à partir du moment où elle a été reportée. C'est un principe qui tient au fait que de toute façon, tous les vols sont enregistrés et analysés. Ce partage permet aussi d’aider les autres équipages à ne pas commettre la même erreur et cette visibilité rend le 'Système' très réactif en terme de retour d’expérience."
-> En entreprise: "A contrario en entreprise, le fautif communique rarement sur les erreurs qu'il a commises par crainte d'être sanctionné. Or il faudrait que cela fasse partie des valeurs culturelles de l'entreprise". Il faut par exemple inciter les collaborateurs à renseigner un fichier commun au besoin anonyme sur les erreurs qu’ils ont commises et qui peuvent avoir un impact sur la bonne marche de l’entreprise. Il faut apprendre à distinguer erreur et faute", conclut Nicolas Bouzou.
1. Le contrôle mutuel
Dans l'aérien: "C'est l'ossature du fonctionnement d'un équipage, explique Jérôme Schimpff. Dans un avion, deux personnes sont aux commandes: le commandant de bord et le pilote. Ils ont des compétences techniques équivalentes, mais le commandant a plus d'expérience et c'est à lui qu'appartiendront les décisions finales. Il n'empêche que les deux travaillent en équipe, se surveillent l'un l'autre et chaque décision est prise d'un commun accord. Mieux, le pilote -qu'on pourrait considérer comme le subordonné- a le droit et même le devoir de donner son avis à son 'supérieur'".
-> En entreprise: "A l'inverse, le monde de l'entreprise fonctionne souvent sur le modèle suivant: un chef charismatique prend des décisions, souvent seul, illustre Nicolas Bouzou. La cour qui l'entoure tente par tous les moyens de justifier ces mêmes décisions. Qu'elles soient bonnes ou non pour l'entreprise. L'idée étant de se faire bien voir par sa hiérarchie, illustre Nicolas Bouzou. Or il est indispensable que les décisions engageantes soient vérifiées et éventuellement critiquées ou remises en cause par une tierce personne, si possible n'ayant pas exactement le même profil. Par exemple, un dirigeant à la tête de sa société depuis plus de trente, et réfractaire à l'arrivée des nouvelles technologies, doit être conseillé sur ce sujet. D'où l'intérêt de mettre en place un contre-pouvoir".
2. Dépassionner les relations
Dans l'aérien: "Comme nous venons de le voir avec le système du 'contrôle mutuel', commandant de bord et pilote donnent leur point de vue, font des suggestions argumentées, échangent. Et ce, dans les deux sens, note Jérôme Schimpff. Le fait de checker et de dialoguer a toujours existé dans le monde de l'aviation, mais cela a été encore plus formalisé depuis la catastrophe de Ténérife en 1977. En synthèse, un commandant de bord très autocrate croit avoir entendu l'autorisation de décoller de la part de la tour de contrôle. En fait, l'autorisation n'avait pas été donnée. Il y a du brouillard sur la piste et la visibilité est réduite. L'avion en percute un autre alors que le pilote et le mécanicien naviguant avaient émis des doutes sur l’autorisation de décollage. Bilan: 583 morts".
-> En entreprise: Pour l'économiste: "Un tel système n'existe pas dans le milieu de la finance, où il pourrait être très utile pour éviter les abus. Cela permettrait de faire en sorte qu'il n'y ait plus comme c'est le cas, de grosses zones d'ombre".
3. Toujours avoir un plan B
Dans l'aérien: "Quelque soit la situation, nous devons avoir un plan B. Pour ce faire, nous mettons en place des mini senarii, qui nous permettent d’anticiper sur les évènements. L'objectif étant de gérer nos marges et de rester le plus loin possible des limites. Par exemple, sur un vol, nous aurons toujours plus de carburant que nécessaire. Pour un Paris-Nice, nous aurons de quoi voler jusqu'à Marseille, au cas où nous ne pourrions pas atterrir à Nice. De même les moteurs sont dimensionnés pour permettre à l’avion de voler en toute sécurité si l’un tombe en panne, c’est la base de la redondance. Plus généralement, nous sommes formés pour parer du mieux possible à toute éventualité", selon le commandant de bord.
-> En entreprise: "Avoir un plan B est aussi quelque chose de majeur et rassurant dans le monde de l'entreprise, assure Nicolas Bouzou. Par exemple, une société qui a une ligne de trésorerie auprès d'une banque, devrait ne pas concentrer toutes ses sources de financement dans le même établissement. Car en cas de pépin avec cette dernière, la société sera bien en peine de payer ses salariés et ses fournisseurs. Cela est aussi le cas si le DG d'une entreprise démissionne et part très vite. Il faudra quelqu'un de formé et qui sache vite reprendre les rennes. De même, si le client principal d'une société fait défaut, il est sécurisant de ne pas avoir misé toute son activité sur lui seul. Cela est d''autant plus imaginable, qu'il s'agit de situations prévisibles… et qui peuvent s'avérer être très problématiques. D'où l'intérêt d'anticiper au maximum."
4. Fluidifier les échanges
Dans l'aérien: "Toutes les informations sont bonnes à prendre dans un avion. Surtout quand on travaille dans un espace clos qui fait 80 mètres de long et avec une porte blindée qui sépare le poste de pilotage de la cabine, déclare Jérôme Schimpff. Il serait illusoire de se priver de données provenant de l'ensemble de l'équipage. Le meilleur exemple étant ce crash de 1989 qui aurait pu être évité. Pour rappel, l'un des deux moteurs d'un avion britannique avait pris feu. L'équipage technique a suivi ses procédures en éteignant le moteur endommagé. Problème, un défaut de fabrication avait conduit à l'inversion des alarmes, c'est-à-dire que le moteur sain avait été signalé comme étant en feu. Pourtant, le personnel dans la cabine voyait bien que ce n'était pas le bon moteur qui avait été arrêté. Mais personne n'a prévenu le commandant de bord. Et ce fût le drame".
-> En entreprise: "Les conséquences dans une société seraient bien entendu moins dramatiques que ce crash. Mais il y a des leçons à tirer, l'entreprise n'exploitant pas toujours les informations que détient la base, faite remarquer Nicolas Bouzou. C'est notamment le cas dans la grande distribution. Les caissières de supermarché sont en contact permanent avec le client, et elles peuvent recueillir leurs impressions sur des produits, etc. Informations qui peuvent s'avérer essentielles au marketing et au commercial. Malheureusement, les entreprises sont rarement organisées pour faire remonter ces infos. Et surtout pour que ces données puissent infléchir sur les décisions qui seront prises".
5. Savoir écouter
Dans l'aérien: "Dans notre métier, nous sommes en amont drastiquement sélectionnés. Outre nos compétences techniques, nous sommes aussi choisis pour nos qualités humaines et notamment d'écoute. Car comme nous l'avons vu, nous devons savoir travailler ensemble", selon Jérôme Schimpff.
-> En entreprise: "Ces deux qualités sont aussi essentielles pour manager une entreprise. Elles peuvent être retrouvées chez les collaborateurs qui auront été sélectionnés en fonction de ces critères -notamment- au moment du recrutement", indique Nicolas Bouzou.
6. Faire des contrôles réguliers
Dans l'aérien: "Tous les six mois, nous effectuons des entraînements et sommes soumis à des contrôles de compétence, explique le commandant de bord. Nous faisons des exercices dans un simulateur et sommes observés et notés en fonction de nos réactions. Sont regardées: nos décisions techniques face à des situations improbables que certains d’entre nous ne rencontreront peut être jamais au cours de notre carrière. Mais surtout quelle aura été la synergie dans l'équipe. Car l'essence même de notre métier est de travailler en collaboration avec des personnes que nous ne connaissons pas. Et ce, au quotidien, sur chaque vol. Par exemple, pour une compagnie qui compterait 700 pilotes et 700 commandants de bord qualifiés sur un même type d'avion: la probabilité de revoler avec la même personne est de une tous les cinq ans!"
-> En entreprise: "Dans une entreprise, les collaborateurs doivent être incités à perfectionner leurs compétences en permanence, indique l'économiste. L’expérience ne suffit pas. Il faut une réactualisation périodique des connaissances théoriques. Et, pourquoi pas, des contrôles".
7. Partager ses erreurs
Dans l'aérien: selon Jérôme Schimpff, "dans l'aéronautique, l'erreur n'est pas sanctionnée à partir du moment où elle a été reportée. C'est un principe qui tient au fait que de toute façon, tous les vols sont enregistrés et analysés. Ce partage permet aussi d’aider les autres équipages à ne pas commettre la même erreur et cette visibilité rend le 'Système' très réactif en terme de retour d’expérience."
-> En entreprise: "A contrario en entreprise, le fautif communique rarement sur les erreurs qu'il a commises par crainte d'être sanctionné. Or il faudrait que cela fasse partie des valeurs culturelles de l'entreprise". Il faut par exemple inciter les collaborateurs à renseigner un fichier commun au besoin anonyme sur les erreurs qu’ils ont commises et qui peuvent avoir un impact sur la bonne marche de l’entreprise. Il faut apprendre à distinguer erreur et faute", conclut Nicolas Bouzou.
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