La Cité du Livre : Lionel Jospin, ancien... par LCP
"Il
y a longtemps que la place prise par Napoléon Bonaparte dans
l’imaginaire national m’intrigue. Longtemps que je m’interroge sur la
gloire qui s’attache à son nom. Longtemps que je suis frappé par la
marque qu’il a laissée dans notre histoire.
Mon
essai est celui d’un homme politique, informé des ressorts du pouvoir
et animé d’une certaine idée de ce que sont, à travers le temps, les
intérêts de son pays. J’ai eu envie de faire partager à des lecteurs un
cheminement qui part d’une période cruciale de l’histoire de France et
me conduit jusqu’à nos jours, afin d’éclairer certains aspects du
présent.
Je ne m’inscris ni dans la «
légende dorée » ni dans la « légende noire » de Napoléon. La gloire de
l’Empereur est une évidence à laquelle je ne saurais porter atteinte. Je
ne discute pas la grandeur du personnage, le talent du soldat, la
puissance de travail de l’administrateur ni même le brio du
propagandiste.
J’examine si les quinze
années fulgurantes du trajet du Premier Consul et de l’Empereur ont
servi la France. Si elles ont été fructueuses pour l’Europe. À mesurer
l’écart entre les ambitions proclamées, les moyens déployés, les
sacrifices exigés et les résultats obtenus, la réponse est non.
L’Empire
de Napoléon Ier, puis le second Empire, se sont achevés sur des
désastres. Le général Boulanger dans l’opposition et le maréchal Pétain
au pouvoir, apparentés au bonapartisme, n’évoquent pas des souvenirs
glorieux. Et pourtant, on continue à se référer au bonapartisme de
manière souvent flatteuse. J’ai voulu voir pourquoi."
Certes Napoléon a construit sa gloire, mais, hélas, trois fois hélas selon Lionel Jospin, ses ambitions n’ont pas servi durablement la France et l’Europe. Faut-il alors ranger Balzac, Hugo, Chateaubriand, Stendhal au placard ? Y’a-t-il en France une fascination malsaine pour Bonaparte et sa légende ?
Lionel Jospin, plus que jamais républicain
LE MONDE DES LIVRES |
• Mis à jour le
|
Par Gérard Courtois
Dans le club très fermé des anciens premiers ministres, Lionel Jospin occupe une place singulière. A l'exception d'Edith Cresson et Dominique de Villepin, sortis du radar politique, tous ses homologues sont présents sur la scène nationale : déjà candidat à la prochaine présidentielle (François Fillon) ou y songeant (Alain Juppé), ministre des affaires étrangères (Laurent Fabius), grand sage du Sénat et de l'UMP (Jean-Pierre Raffarin), infatigable analyste (Michel Rocard).
Au contraire, depuis qu'il s'est « retiré de la vie politique », le soir fatidique du 21 avril 2002, Lionel Jospin s'est fixé pour règle de ne pas intervenir dans les affaires françaises. Pour autant, confie-t-il au Monde, « je suis toujours habité par le besoin de réfléchir et de travailler ». Cultiver ses gardénias et ses amis, admirer avec tendresse les oeuvres de sa fille Eva, peintre et plasticienne, ne saurait combler ce passionné de politique et d'histoire.Passion intacte, à l'évidence, dont l'épopée napoléonienne fait les frais dans un essai au titre sans ambiguïté, Le Mal napoléonien. L'auteur s'en explique d'emblée : « Il y a longtemps que la place prise par Napoléon Bonaparte dans l'imaginaire national m'intrigue. » Il a donc décidé d'explorer, de plus près, le contraste entre le mythe et la réalité, entre la gloire et le bilan. Si ce n'est un pamphlet – il s'en défend –, c'est à coup sûr un réquisitoire bien dans sa manière, documenté, charpenté et, admet-il, « non exempt de subjectivité ».
UN PROCÈS IMPLACABLE
De fait, le procès est implacable. Napoléon, consolidateur de la Révolution ? Au contraire, il en « détourne le cours », tant ce régime d'ordre étouffe toute aspiration à la liberté, devient très vite « despotique et policier » et restera comme « un césarisme surplombant les notables » et nourrissant des « prébendiers ».
Napoléon bâtisseur de la France moderne, inspirateur du code civil, créateur d'une fonction publique stable, d'un système judiciaire durable, des lycées et des universités, pacificateur des relations avec les religions ou instaurateur du séculaire franc germinal ? Certes. Mais négligeant la révolution industrielle, tant la guerre permanente saigne l'économie française.
Napoléon, enfin, grand architecte d'une nouvelle Europe ? Certainement pas. En dépit d'un « génie militaire éclatant », son empire prédateur et ignorant des peuples, obsédé de conquêtes mais privé de buts de guerre réalistes, était voué à un « échec inéluctable ».
Quelle mouche a donc piqué Lionel Jospin ? Et, en lui, « l'homme politique animé d'une certaine idée de ce que sont, à travers le temps, les intérêts de son pays », tel qu'il se présente ? L'essentiel de la réponse n'est pas dans son analyse de la trace historique laissée par l'aventure napoléonienne. Certes, les différents avatars du bonapartisme présentent des traits communs : « Mythe du sauveur, culte du chef, antiparlementarisme, démocratisme plébiscitaire, aspiration à un pouvoir fort, dépassement du clivage droite-gauche… »
On les retrouve, sous des formes diverses, dans le Second Empire, évidemment, puis dans le boulangisme, dans quelques velléités « césaristes » des années 1930 et même dans ce « bonapartisme de la défaite » qu'est en partie, à ses yeux, la « révolution nationale » pétainiste. A ceux qui sursautent sur ce dernier point, Jospin s'amuse d'ailleurs à opposer le verdict du grand spécialiste de Napoléon, Jean Tulard, qui classait déjà Pétain parmi les lointains héritiers de l'Empereur.
Jouant du paradoxe, il exonère, en revanche, de Gaulle d'un tel héritage : si le 13 mai 1958 eut bien un petit parfum de 18-Brumaire, la suite démontra que le général n'était pas l'homme du « coup d'Etat permanent » – n'en déplaise à François Mitterrand – et qu'il s'employa, en réalité, à remplacer une République par une autre.
DÉRÈGLEMENTS
Mais l'essentiel est ailleurs : le « bonapartisme en suspension dans l'esprit politique français » explique peu ou prou ses dérèglements. Qu'est-ce à dire ? D'une part, un brouillage des légitimités que l'auteur esquisse dans son livre et développe volontiers quand on l'y invite. En instaurant la souveraineté du peuple, la Révolution a inventé une alternative à l'ancienne monarchie de droit divin. Or Napoléon a introduit une troisième source de légitimité du pouvoir, qui résulterait des « triomphes d'un César ». Pour Jospin, c'est la source d'une instabilité et d'un antiparlementarisme récurrents.
D'autre part, juge-t-il, la France reste imprégnée par « cette nostalgie de la gloire et ce mythe de la grandeur » auxquels la légende napoléonienne n'a pas peu contribué. Or, ajoute-t-il en marge de son livre, « si la gloire débouche sur la victoire, elle donne confiance à un peuple ; si elle débouche sur la défaite, elle est source de frustration et de défiance ».
Frustration et défiance dont se nourrissent les populismes actuels. Car c'est bien le message que le républicain Jospin entend adresser : « La France doit se prémunir contre les illusions de la démagogie, la logique du bouc émissaire et les dangers de l'autoritarisme. Pas plus que le bonapartisme hier, le populisme n'offre aujourd'hui de solution. L'un et l'autre reposent sur une mystification. »
On savait que Lionel Jospin est « un austère qui se marre ». C'est aussi un silencieux qui parle !
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire
Remarque : Seul un membre de ce blog est autorisé à enregistrer un commentaire.