- Un bâtiment officiel à
Washington, le 10 février 2014, lors de la visite de François Hollande
aux Etats-Unis. REUTERS/Kevin Lamarque -
A 10 milliards de dollars, l’amende qui menace BNP Paribas
aux Etats-Unis fait passer pour un amuse-gueule celle de 770 millions
de dollars à laquelle la France avait été condamnée par la justice
américaine dans l’affaire Executive Life.
Il est vrai qu’avant d’aboutir à cette transaction, les négociations
avaient été longues et tendues pendant plus de dix ans, l’évaluation de
l’amende au départ portant sur quelque 2 milliards de dollars.
Et une partie de l’amende avait été effacée en appel. Rien ne dit que
le montant supposé de l’amende de BNP Paribas, révélé par le Wall Street
Journal et qui a été multiplié par cinq en un mois, rappelle l’Agefi, en restera donc là.Mais ce n’est pas le seul volet de ce dossier: la capacité de la banque française à pouvoir exercer aux Etats-Unis, dont elle pourrait être privée au cas où la licence lui serait retirée, en est un autre. L’enjeu est de taille.
ATriste privilège pour BNP Paribas que de devoir essuyer l’explosion de l’ire de la justice américaine, alors que les reproches formulés à l’adresse de la banque française apparaissent contestables. Pas de blanchiment d’argent ni de manipulation boursière, mais des transactions avec des pays frappés par un embargo américain. A ceci près que BNP Paribas est une banque française et que la France, à la différence des Etats-Unis, n’a pas placé Cuba sous embargo. L’Union européenne elle-même y est hostile.
Pas de trêve dans la guerre économique
De sorte que les accusations ne sont pas forcément fondées au regard des droits français et européen et des règles de l’ONU. Mais les opérations incriminées ont été libellées en dollars, ce qui semble suffire au département des services financiers de l'Etat de New York pour les juger sur la base du droit américain.Ainsi assiste-t-on à une nouvelle manifestation de la guerre économique que se livrent les grandes puissances, les Etats-Unis entendant bien imposer leur standard juridique à leurs partenaires pour accroître leur influence.
On ne peut s’empêcher de voir, en arrière plan de cette affaire, divers dossiers comme le coup d’arrêt donné par le gouvernement français au rachat des activités d’Alstom dans l’énergie par General Electric, ou les inquiétudes émises dans l’Hexagone à propos d’une ouverture plus large du libre échange entre les Etats-Unis et l’Europe dans le cadre des négociations Tafta. Inquiétudes ou fantasmes qui irritent.
La longue histoire d’un bras-de-fer dans l’agriculture et l’aéronautique
En réalité, entre la France et les Etats-Unis, les motifs à confrontation sont multiples et depuis fort longtemps. On peut s’étonner que la France puisse être considérée comme un gros caillou dans la chaussure de l’Oncle Sam, tant les poids économiques des deux pays sont différents. Pourtant, sur des dossiers stratégiques pour les Etats-Unis, elle fait figure d’empêcheur de tourner en rond.C’est le cas dans l’agriculture, sur fond d’aides publiques. D’un côté, l’Amérique défend ses paysans en subventionnant massivement leurs productions soit par des soutiens directs, soit par des aides indirectes depuis que les premiers ont été revus à la baisse. De l’autre, l’Europe a mis en place la politique agricole commune (PAC) impliquant des subventions dont les agriculteurs français sont les premiers bénéficiaires dans l’Union.
Or, sur les marchés mondiaux, les agricultures américaine et européenne font à peu près jeu égal, avec un peu moins de 20% de part de marché chacune. Forcément, même rattrapée par l’Allemagne voire dépassée dans certaines productions, la France en pointe dans ce secteur à l’export, se retrouve en concurrence frontale dans des pays tiers avec les exportations américaines.
En outre, la France fait partie des opposants les plus farouches aux produits génétiquement modifiés. Elle entretient un foyer de résistance qui, aux yeux de l’administration américaine, pollue les négociations internationales et est à ce titre un frein au développement des exportations américaines de productions OGM. Et le lobby de Washington ne faiblit pas pour tenter d’infléchir la position française.
Un autre dossier qui saute aux yeux est celui de l’aéronautique civil, avec le bras-de-fer entre Boeing et Airbus dans lequel la France joue un rôle moteur avec l’Allemagne. Pendant que les deux groupes se disputent le leadership mondial dans les avions commerciaux, les capitales s’accusent mutuellement de subventionner leur champion réciproque et ont porté leur différend devant l’Organisation mondiale du commerce (OMC). Paris, sur ce dossier maintes fois présenté par Washington comme stratégique pour l’industrie américaine et ses exportations, est aux avant-postes.
On a d’ailleurs noté que, à propos de la commande d’avions ravitailleurs du Pentagone remportée au départ par Airbus et finalement attribuée à Boeing, Washington ne comptait pas laisser le concurrent européen profiter d’aucune opportunité. Quitte à révéler une facette très protectionniste de sa politique! Paris et Berlin ont été renvoyés dans leurs buts.
L’impertinence française de l’exception culturelle
La France joue aussi la mouche du coche lorsque, dans les négociations internationales, elle s’accroche depuis plus d’une vingtaine d’années au principe d’exception culturelle pour justifier que ce secteur soit exclu des négociations sur le libre échange.Ce n’est pas un hasard si elle est le pays qui, dans les principaux pays de l’OCDE, accorde une plus grande part à ses productions cinématographiques nationales et est en revanche le moins ouvert aux productions américaines (même si celles-ci se taillent plus de la moitié du marché).
Et l’an dernier, elle avait tracé une ligne rouge: si l'exception culturelle n'était pas respectée, la France n'accorderait pas de mandat à la Commission européenne pour négocier l'accord de libre-échange entre l'Union européenne et les Etats-Unis. D’autres pays ont depuis rejoint la France.
Mais pour le commerce américain, les productions cinématographiques sont une industrie tout aussi stratégique que l’aéronautique: en termes de royalties, l’entertainment rapporte plus à l’économie américaine que les ventes d’avions de ligne. Car il ne s’agit pas que de productions cinématographiques, mais de tous les contenus audiovisuels qui circulent notamment sur internet. C’est bien pour renforcer cette exception culturelle que le rapport Lescure a dressé 80 propositions qui ne peuvent qu’irriter les géants américains fournisseurs de contenus.
C’est dans ce contexte chargé que la justice américaine s’est saisie du dossier BNP Paribas, juste après celui de Crédit Suisse (accusé d’avoir favorisé la fraude fiscale). La banque française n’est pas une inconnue outre Atlantique: avec ses filiales Bank of the West et de First Hawaiian Bank, elle s’appuie sur 675 agences pour servir 3,5 millions de clients et se place au 7e rang des banques commerciales de l’ouest des États-Unis. De quoi faire naître des convoitises à une période où les banques européennes n’ont pas forcément une bonne image.
La guerre économique ne connaît pas de trêve, surtout face à un adversaire qui, s’il dérange, ne peut offrir beaucoup de résistance. D’où l’intérêt, pour la France, de ne pas laisser se lézarder un front européen.
Gilles Bridier
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