Il est possible de mesurer l’importance d’une
personne comme d’une technologie à l’admiration et la crainte qu’elles
suscitent. Or, l’ère Gutenberg semble faire place irrémédiablement à
l’ère numérique avec l’avènement des nouveaux réseaux d’information et
de communication. Cette révolution qui a déjà bouleversé nos habitudes,
ne va pas sans modifier fondamentalement les schèmes de pouvoir,
provoquant une crispation des élites en place, celles là même qui de
profits cyniques en privilèges exorbitants en sont venues à mériter le
statut de parasites de la République. Les frelons ont investi
l’industrieuse ruche républicaine, et non content de se délecter
carnassièrement de ses occupants en viennent désormais à la saccager.
C’est ici qu’interviennent les vigies numériques qui du rôle
d’observateurs pourraient bien se retrouver propulsées au rôle
d’acteurs.
La génération Internet, combien de divisions ?
Eclaircissons au préalable un point particulier qui ne saurait
relever du simple détail : lorsque l’on fait mention de génération
Internet, elle ne saurait être réduite à une fallacieuse restriction de
classe d’âge. Il est néanmoins possible de dégager une tendance lourde
où la majeure partie des Internautes auraient entre 20 et 40 ans [1],
encore faut-il dissocier espaces communautaires et blogs où le
différentiel semblerait plus accentué (les espaces communautaires
nécessitant effectivement certaines connaissances acquises par la
formation ou l’expérience puisque confrontées à la critique avisée
d’autres participants).
L’un des aspects les plus prégnants des diverses études menées est
que cette population dispose d’un niveau souvent intellectuellement
et/ou professionnellement élevé. Ce qui n’est pas sans conséquence dans
une société où l’ascenseur social stagne voire repasse aux étages
inférieurs, où une frange conséquente de jeunes diplômés sont condamnés à
la précarisation et à l’incertitude de leur avenir, et où des cadres du
public comme du privé, insérés eux dans la vie active, sont maintenus
dans une pression permanente de stress pouvant les amener à des actes
irrémédiables sans avoir la certitude que leur progéniture bénéficiera
du fruit de leur labeur. Foncièrement critiques envers la société, ces
utilisateurs/producteurs du cyberespace sont porteurs d’une autre vision
sociale comme créateurs de contenus ne rentrant guère dans le moule de
la société consumériste contemporaine.
Encore en phase de gestation plus ou moins prononcée, il n’en reste
pas moins que le « poids » de cette génération est d’ores et déjà pris
en compte par les responsables politiques et économiques [2]. Car si
chaque Internaute n’est pas un producteur de contenu, il est en revanche
souvent relayeur de celui-ci, formant une chaîne où l’un de ces relais
peut se muer à son tour en producteur. De fait, la réputation d’une
marque ou d’une personne publique peut facilement être ébranlée ou
encensée par les nouveaux médias des masses : c’est d’ailleurs cette
prise de conscience par les autorités qui les incitent à vouloir
transformer Internet en un simple espace régulé à vocation purement
commerciale ou suffisamment aseptisé pour le rendre inoffensif : c’est
que je nomme la minitélisation d’Internet.
Car Internet bouleverse le monde, et en principale ligne de mire
les élites politico-économico-médiatiques, celles-là mêmes qui évoquent
sans relâche l’ouverture au monde et la flexibilité (sans en connaître
les affres, ce qui est tout de même fort pratique) tout en craignant de
perdre le monopole du pouvoir. Pouvoir considéré comme un bien personnel
transmissible à leur descendance tant le concept de reproduction
endogamique sociale est dorénavant poussé à son paroxysme dans une
majorité de pays occidentaux.
La France mais aussi ses partenaires Européens n’ont aucunement
compris ce qui se passait sous leurs pieds : entre autres exemples,
l’émergence de Partis Pirates Internationaux, à commencer par la Suède
où une décision inique d’une institution judiciaire mit le feu aux
poudres, est symptomatique qu’une prise de conscience globale est en
train d’émerger et que la dépossession du cyberespace par ses acteurs
est devenue un objectif patent pour les autorités institutionnelles et
les groupes privés influents. Seulement comment stopper une entité
organique ? Internet croît avec sa grappe d’innovations, et ne cesse de
déjouer les prévisions en créant de nouvelles façons d’évoluer en son
sein. Là où les élites pensent affronter un outil froidement mécanique
et centralisé, ils font face en réalité un univers vivant capable de
trouver à chaque problème une solution par l’action de l’intelligence
collective. Les moyens d’action préalablement employés avec réussite à
l’encontre des mass media deviennent entièrement caducs concernant
Internet.
Ces mass media qui ont pour fonction désormais non d’informer mais
de relayer ce qui est permis sans recul critique nécessaire. La
différence sémantique est d’importance car leur docilité obtenue par la
pression comminatoire ou l’octroi de subsides destinés à soutenir leur
activité vacillante avec en sus le soupçon récurrent de collusion entre
le monde politique et journalistique, fruit de liaisons dangereuses, est
une stratégie qui se veut permanente au profit d’une personne physique
comme d’un groupement politique qui eux-mêmes peuvent être foncièrement
perméable à des intérêts privés et/ou communautaristes puissants.
Instructif de relever que les mass media tout en vilipendant de temps à
autre ce nouveau moyen de communication à travers toutes ses
ramifications technologiques, usant de propos réellement condescendants
et blessants par ses plus éminents représentants, en viennent de façon
désormais chronique à réagir à la suite de bourdonnements (appelés aussi
buzz) émanant de ce dernier.
Seul hic : le média des masses qu’est Internet permet l’échange, la
comparaison et la multiplication des angles d’un sujet ou d’une
situation. Difficile dans ces conditions de pouvoir tromper tout le
monde, difficile de viser un individu en particulier à seule fin
d’enrayer la propagation d’une information pouvant être dupliquée à
l’envie. Les solutions ébauchées par les gouvernements faisant l’objet
de la seconde partie du présent article dont je vous invite à en prendre
connaissance.
Contrefaçon, terrorisme, pédophilie : le triptyque gagnant pour « détruire » Internet
Pour mener une guerre dans les démocraties modernes, il
convient de se parer du rôle du défenseur animé des plus nobles
intentions. Le panel de notre époque est bien établi et permet de
rallier un maximum de partisans : la pédophilie (qui voudrait que l’on
s’en prenne à ses enfants ?) ; la contrefaçon (qui voudrait que son
labeur ne soit aucunement rémunéré à sa juste valeur ?) ; le terrorisme
(qui voudrait perdre la vie suite à une action meurtrière d’un
fanatique ?) sont les trois épouvantails autorisant les sociétés
occidentales à renier les principes humanistes ayant libéré
antérieurement la connaissance et les peuples.
Il a souvent été énoncé qu’Internet était un espace de non-droit
par les zélateurs de lois intrusives comme souvent inefficaces, devenant
le cas échéant le parfait adjuvant d’une démocratisation de solutions
de cryptage rendant la tâche des services de surveillance et de
sécurisation des intérêts nationaux encore plus ardue. Ce paralogisme
illustre à merveille la méconnaissance d’une part de l’applicabilité des
règles juridiques, et ce faisant de la capacité d’interprétation des
magistrats ainsi que du rôle de la jurisprudence, comme d’autre part un
acharnement qui participant à l’inflation législative et à la difficile
compréhension de la Loi par le citoyen. Il y a aussi une part
conséquente de sophisme, en ce sens que les responsables à l’origine de
mesures législatives poursuivent d’autres buts que ceux annoncés, et
visent à circonscrire soit les effets d’Internet en aval (en touchant
ses utilisateurs), soit à le neutraliser en amont (par l’entremise d’une
coupure de l’abonnement ou d’un filtrage aux frontières) [3].
Pourtant les élites devraient se méfier car en procédant d’une
telle sorte elles amorcent une cyberguerre dont elles ne mesurent que
difficilement les conséquences à terme. Elles censurent un outil qui a
libéré la créativité, relayé l’innovation au profit de tous et apporté
un souffle bienvenu à l’économie traditionnelle au moment où celle-ci
peinait. En stigmatisant toute une frange de la population par des
mesures vexatoires ou des ponctions fiscales inadaptées et injustifiées,
elles n’aboutissent pas à se priver uniquement d’apports humains
essentiels à la bonne marche et au rayonnement d’un Etat : elles
poussent à l’incompréhension, la frustration et enfin à la révolte.
Or c’est affronter là un adversaire sur son propre terrain, et qui
saura apprendre à évoluer plus vite et plus efficacement que les esprits
rétifs à l’avènement d’une nouvelle ère [4].
L’ère numérique, le souffle d’un changement nécessaire
Il faut vraiment profiter à plein du système pour ne plus rien y
voir en dehors. L’exemple Français en est symptomatique par l’aveu d’un
régime désormais ouvertement clanique et non plus méritocratique.
L’absence d’alternative réelle d’un système rodé pour ne conserver que
l’illusion que le peuple a encore une quelconque importance à ses yeux
est efficient à des degrés plus ou moins divers au sein des pays
occidentaux. Ces sommets aux coûts ahurissants entre gens du même monde
pour discuter de l’avenir de millions de personnes sans changer pour
autant de conduite sont l’exacte démonstration que le système tourne en
roue libre et n’a aucunement pour objectif une quelconque amélioration
et élévation au profit du plus grand nombre.
La génération Internet est par conséquent légitimement appelée à
prendre les rênes de pays aux mentalités sclérosées et aux schémas
d’action et de pensée dépassés par les évènements. Les régimes
oligarchiques occidentaux ayant failli dans leur mission de former et
protéger les citoyens : se contentant de les transformer en
consommateurs tout en éviscérant sciemment toute notion de solidarité à
seule fin de les contrôler. Le déclassement social, les abus des
autorités et leurs affidés, les restrictions unilatérales, la fatuité et
l’égoïsme des puissants, la violence gratuite par manque de repères
sociaux et de juste autorité, l’omniprésence d’une économie rentière ne
peuvent que donner lieu à un besoin de changement : la génération
Internet EST ce changement.
Innovation, infrastructures, investissements et institutions
doivent devenir les mots clefs d’une génération ayant pour principale
tâche de construire l’avenir et non de ponctionner jusqu’à épuisement le
miel de la ruche à son seul profit. C’est un défi d’importance, mais le
plus noble de tous.
[1] Cf Résultats de l’enquête sur les lecteurs – rédacteurs d’AgoraVox ; Le profil des Internautes en Europe sur Le Journal du Net.
[2] Cf Emission Ca se dispute
du 24 octobre 2009 entre Eric Zemmour et Nicolas Domenach. Rajoutons
que les réseaux sociaux disposent d’un rôle de premier plan, débordant
parfois du strict cadre virtuel pour aboutir, entre autres exemples, aux
flash mobs à connotation activiste.
[3] L’Allemagne a adopté une loi en juin 2009 (Gesetz zur Erschwerung des Zugangs zu kinderpornographischen Inhalten in Kommunikationsnetzen),
véritable réplique Européenne de celle déjà en vigueur en Australie
depuis octobre 2008 visant à « protéger » les Internautes en établissant
un filtre sur le réseau des réseaux (Cyber safety Plan).
[4] A l’heure où les hérauts de textes législatifs font étalage de
leur incapacité à comprendre la véritable nature d’Internet, perçue à
leurs yeux comme un ensemble centralisé, comment leur expliquer que
l’avènement prochain du WiFi Direct va encore accélérer l’impossible
contrôle total des flux d’informations ?
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