mercredi 4 juin 2014

La cybergénération prendra le pouvoir

Il est possible de mesurer l’importance d’une personne comme d’une technologie à l’admiration et la crainte qu’elles suscitent. Or, l’ère Gutenberg semble faire place irrémédiablement à l’ère numérique avec l’avènement des nouveaux réseaux d’information et de communication. Cette révolution qui a déjà bouleversé nos habitudes, ne va pas sans modifier fondamentalement les schèmes de pouvoir, provoquant une crispation des élites en place, celles là même qui de profits cyniques en privilèges exorbitants en sont venues à mériter le statut de parasites de la République. Les frelons ont investi l’industrieuse ruche républicaine, et non content de se délecter carnassièrement de ses occupants en viennent désormais à la saccager. C’est ici qu’interviennent les vigies numériques qui du rôle d’observateurs pourraient bien se retrouver propulsées au rôle d’acteurs.
Cybereurope
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La génération Internet, combien de divisions ?
 
Eclaircissons au préalable un point particulier qui ne saurait relever du simple détail : lorsque l’on fait mention de génération Internet, elle ne saurait être réduite à une fallacieuse restriction de classe d’âge. Il est néanmoins possible de dégager une tendance lourde où la majeure partie des Internautes auraient entre 20 et 40 ans [1], encore faut-il dissocier espaces communautaires et blogs où le différentiel semblerait plus accentué (les espaces communautaires nécessitant effectivement certaines connaissances acquises par la formation ou l’expérience puisque confrontées à la critique avisée d’autres participants).
L’un des aspects les plus prégnants des diverses études menées est que cette population dispose d’un niveau souvent intellectuellement et/ou professionnellement élevé. Ce qui n’est pas sans conséquence dans une société où l’ascenseur social stagne voire repasse aux étages inférieurs, où une frange conséquente de jeunes diplômés sont condamnés à la précarisation et à l’incertitude de leur avenir, et où des cadres du public comme du privé, insérés eux dans la vie active, sont maintenus dans une pression permanente de stress pouvant les amener à des actes irrémédiables sans avoir la certitude que leur progéniture bénéficiera du fruit de leur labeur. Foncièrement critiques envers la société, ces utilisateurs/producteurs du cyberespace sont porteurs d’une autre vision sociale comme créateurs de contenus ne rentrant guère dans le moule de la société consumériste contemporaine.
 
Encore en phase de gestation plus ou moins prononcée, il n’en reste pas moins que le « poids » de cette génération est d’ores et déjà pris en compte par les responsables politiques et économiques [2]. Car si chaque Internaute n’est pas un producteur de contenu, il est en revanche souvent relayeur de celui-ci, formant une chaîne où l’un de ces relais peut se muer à son tour en producteur. De fait, la réputation d’une marque ou d’une personne publique peut facilement être ébranlée ou encensée par les nouveaux médias des masses : c’est d’ailleurs cette prise de conscience par les autorités qui les incitent à vouloir transformer Internet en un simple espace régulé à vocation purement commerciale ou suffisamment aseptisé pour le rendre inoffensif : c’est que je nomme la minitélisation d’Internet.
 
Car Internet bouleverse le monde, et en principale ligne de mire les élites politico-économico-médiatiques, celles-là mêmes qui évoquent sans relâche l’ouverture au monde et la flexibilité (sans en connaître les affres, ce qui est tout de même fort pratique) tout en craignant de perdre le monopole du pouvoir. Pouvoir considéré comme un bien personnel transmissible à leur descendance tant le concept de reproduction endogamique sociale est dorénavant poussé à son paroxysme dans une majorité de pays occidentaux.
 
La France mais aussi ses partenaires Européens n’ont aucunement compris ce qui se passait sous leurs pieds : entre autres exemples, l’émergence de Partis Pirates Internationaux, à commencer par la Suède où une décision inique d’une institution judiciaire mit le feu aux poudres, est symptomatique qu’une prise de conscience globale est en train d’émerger et que la dépossession du cyberespace par ses acteurs est devenue un objectif patent pour les autorités institutionnelles et les groupes privés influents. Seulement comment stopper une entité organique ? Internet croît avec sa grappe d’innovations, et ne cesse de déjouer les prévisions en créant de nouvelles façons d’évoluer en son sein. Là où les élites pensent affronter un outil froidement mécanique et centralisé, ils font face en réalité un univers vivant capable de trouver à chaque problème une solution par l’action de l’intelligence collective. Les moyens d’action préalablement employés avec réussite à l’encontre des mass media deviennent entièrement caducs concernant Internet.
 
Ces mass media qui ont pour fonction désormais non d’informer mais de relayer ce qui est permis sans recul critique nécessaire. La différence sémantique est d’importance car leur docilité obtenue par la pression comminatoire ou l’octroi de subsides destinés à soutenir leur activité vacillante avec en sus le soupçon récurrent de collusion entre le monde politique et journalistique, fruit de liaisons dangereuses, est une stratégie qui se veut permanente au profit d’une personne physique comme d’un groupement politique qui eux-mêmes peuvent être foncièrement perméable à des intérêts privés et/ou communautaristes puissants. Instructif de relever que les mass media tout en vilipendant de temps à autre ce nouveau moyen de communication à travers toutes ses ramifications technologiques, usant de propos réellement condescendants et blessants par ses plus éminents représentants, en viennent de façon désormais chronique à réagir à la suite de bourdonnements (appelés aussi buzz) émanant de ce dernier.
 
Seul hic : le média des masses qu’est Internet permet l’échange, la comparaison et la multiplication des angles d’un sujet ou d’une situation. Difficile dans ces conditions de pouvoir tromper tout le monde, difficile de viser un individu en particulier à seule fin d’enrayer la propagation d’une information pouvant être dupliquée à l’envie. Les solutions ébauchées par les gouvernements faisant l’objet de la seconde partie du présent article dont je vous invite à en prendre connaissance.
 
Contrefaçon, terrorisme, pédophilie : le triptyque gagnant pour « détruire » Internet
 
Pour mener une guerre dans les démocraties modernes, il convient de se parer du rôle du défenseur animé des plus nobles intentions. Le panel de notre époque est bien établi et permet de rallier un maximum de partisans : la pédophilie (qui voudrait que l’on s’en prenne à ses enfants ?) ; la contrefaçon (qui voudrait que son labeur ne soit aucunement rémunéré à sa juste valeur ?) ; le terrorisme (qui voudrait perdre la vie suite à une action meurtrière d’un fanatique ?) sont les trois épouvantails autorisant les sociétés occidentales à renier les principes humanistes ayant libéré antérieurement la connaissance et les peuples.
 
Il a souvent été énoncé qu’Internet était un espace de non-droit par les zélateurs de lois intrusives comme souvent inefficaces, devenant le cas échéant le parfait adjuvant d’une démocratisation de solutions de cryptage rendant la tâche des services de surveillance et de sécurisation des intérêts nationaux encore plus ardue. Ce paralogisme illustre à merveille la méconnaissance d’une part de l’applicabilité des règles juridiques, et ce faisant de la capacité d’interprétation des magistrats ainsi que du rôle de la jurisprudence, comme d’autre part un acharnement qui participant à l’inflation législative et à la difficile compréhension de la Loi par le citoyen. Il y a aussi une part conséquente de sophisme, en ce sens que les responsables à l’origine de mesures législatives poursuivent d’autres buts que ceux annoncés, et visent à circonscrire soit les effets d’Internet en aval (en touchant ses utilisateurs), soit à le neutraliser en amont (par l’entremise d’une coupure de l’abonnement ou d’un filtrage aux frontières) [3].
 
Pourtant les élites devraient se méfier car en procédant d’une telle sorte elles amorcent une cyberguerre dont elles ne mesurent que difficilement les conséquences à terme. Elles censurent un outil qui a libéré la créativité, relayé l’innovation au profit de tous et apporté un souffle bienvenu à l’économie traditionnelle au moment où celle-ci peinait. En stigmatisant toute une frange de la population par des mesures vexatoires ou des ponctions fiscales inadaptées et injustifiées, elles n’aboutissent pas à se priver uniquement d’apports humains essentiels à la bonne marche et au rayonnement d’un Etat : elles poussent à l’incompréhension, la frustration et enfin à la révolte.
 
Or c’est affronter là un adversaire sur son propre terrain, et qui saura apprendre à évoluer plus vite et plus efficacement que les esprits rétifs à l’avènement d’une nouvelle ère [4].
 
L’ère numérique, le souffle d’un changement nécessaire
 
Il faut vraiment profiter à plein du système pour ne plus rien y voir en dehors. L’exemple Français en est symptomatique par l’aveu d’un régime désormais ouvertement clanique et non plus méritocratique. L’absence d’alternative réelle d’un système rodé pour ne conserver que l’illusion que le peuple a encore une quelconque importance à ses yeux est efficient à des degrés plus ou moins divers au sein des pays occidentaux. Ces sommets aux coûts ahurissants entre gens du même monde pour discuter de l’avenir de millions de personnes sans changer pour autant de conduite sont l’exacte démonstration que le système tourne en roue libre et n’a aucunement pour objectif une quelconque amélioration et élévation au profit du plus grand nombre.
 
La génération Internet est par conséquent légitimement appelée à prendre les rênes de pays aux mentalités sclérosées et aux schémas d’action et de pensée dépassés par les évènements. Les régimes oligarchiques occidentaux ayant failli dans leur mission de former et protéger les citoyens : se contentant de les transformer en consommateurs tout en éviscérant sciemment toute notion de solidarité à seule fin de les contrôler. Le déclassement social, les abus des autorités et leurs affidés, les restrictions unilatérales, la fatuité et l’égoïsme des puissants, la violence gratuite par manque de repères sociaux et de juste autorité, l’omniprésence d’une économie rentière ne peuvent que donner lieu à un besoin de changement : la génération Internet EST ce changement.
 
Innovation, infrastructures, investissements et institutions doivent devenir les mots clefs d’une génération ayant pour principale tâche de construire l’avenir et non de ponctionner jusqu’à épuisement le miel de la ruche à son seul profit. C’est un défi d’importance, mais le plus noble de tous.
 
[2] Cf Emission Ca se dispute du 24 octobre 2009 entre Eric Zemmour et Nicolas Domenach. Rajoutons que les réseaux sociaux disposent d’un rôle de premier plan, débordant parfois du strict cadre virtuel pour aboutir, entre autres exemples, aux flash mobs à connotation activiste.
[3] L’Allemagne a adopté une loi en juin 2009 (Gesetz zur Erschwerung des Zugangs zu kinderpornographischen Inhalten in Kommunikationsnetzen), véritable réplique Européenne de celle déjà en vigueur en Australie depuis octobre 2008 visant à « protéger » les Internautes en établissant un filtre sur le réseau des réseaux (Cyber safety Plan).
[4] A l’heure où les hérauts de textes législatifs font étalage de leur incapacité à comprendre la véritable nature d’Internet, perçue à leurs yeux comme un ensemble centralisé, comment leur expliquer que l’avènement prochain du WiFi Direct va encore accélérer l’impossible contrôle total des flux d’informations ?

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