jeudi 6 mars 2014

Le management de l’incertain ou la mort

LE CERCLE. La mondialisation ne s’arrêtera pas et évolue sans cesse sous différentes formes. Ces dernières augmentent l’incertitude à une vitesse toujours plus grande à tel point que personne n’échappe(ra) à faire face à l’incertain. Nous devons donc nous préparer et préparer nos entreprises, au management de l’incertain, les budgets annuels et le management par les chiffres les conduiront à la faillite.

"L’homme ne progresse pas de l’erreur vers la vérité, mais de vérités en vérités, d’une vérité moindre à une vérité plus grande", Swami Vivekananda.
La mondialisation ne s’arrêtera pas et évolue sans cesse
Le terme mondialisation exprime la plupart du temps une seule forme de mondialisation, celle des multinationales principalement axées sur la recherche de nouveaux marchés et la réduction des coûts de production. Mais Thomas Friedman, dans The World Is Flat, en propose trois formes, celle des multinationales (2.0), avant elle, celle des nations (1.0), et depuis les années 2000 celle des individus (3.0).
La mondialisation 1.0 des nations c’est celle de Christophe Colomb qui découvre un nouveau continent à conquérir ou celle de l’empire colonial français qui compte notamment la Nouvelle-France (Québec), l’Algérie française, le Sénégal et l’Indochine. Thomas Friedman la fait décliner à partir de 1800.

Figure 1 : L’évolution de la mondialisation et de l’incertitude au cours du temps.
Figure 1 : L’évolution de la mondialisation et de l’incertitude au cours du temps.
La mondialisation 2.0 des multinationales commencerait en 1800 avec la révolution industrielle. La production et la vente de voitures par Ford, Toyota, et Renault sur tous les continents, la conquête du monde des McDonald et la recherche de main-d'œuvre bon marché dans les domaines du textile ou de l’informatique sont des formes concrètes de cette mondialisation 2.0. Elle est encore à l’œuvre aujourd'hui, mais propose Thomas Friedman, déjà sur son déclin. Peut-être faut-il voir le risque systémique des plus grandes banques mondiales comme la preuve de ce déclin ?
Depuis les années 2000, la mondialisation 3.0 émerge avec force. Cette nouvelle mondialisation est celle des individus capables de s’organiser à l’échelle de la planète grâce à la technologie. Les attaques terroristes du 11/09/2001 en sont un exemple douloureux. Mais le printemps arabe de 2011, l’émergence du mouvement Occupy Wall Street et des communautés Open-Source en sont également les témoins.
Thomas Friedman identifie une évolution claire de la mondialisation, elle se produit à un niveau de plus en plus petit (nations puis multinationales puis individus) et rend le monde de plus en plus plat.
Les mondialisations augmentent l’incertitude à travers le temps, jusqu’à renverser les paradigmes
Les mondialisations identifiées par Thomas Friedman tendent à augmenter le nombre et la variété des éléments ainsi que leurs interactions. En effet, à l’échelle du monde il y a plus d’individus que de multinationales et plus de multinationales que de nations. Le nombre d’acteurs de la mondialisation, leur variété et leur interaction augmente à travers ses différentes formes comme l’illustre la figure 2.

Ce schéma nous permet de percevoir qu’il existe un lien fort entre l’émergence de nouvelles formes de mondialisation et l’augmentation de l’incertitude. L’exemple du château de cartes permet de l’illustrer, si vous avez seulement 7 cartes pour le construire, le simple château à 2 étages résistera probablement au courant d’air de la pièce. Prenez en 17 et le château à 3 étages impressionnera vos convives s’il résiste à une ouverture de porte, mais avez-vous déjà réussi à construire un château de cartes avec l’ensemble du paquet ?
D’un point de vue théorique, la complexité d’un système augmente avec le nombre d’éléments et le nombre d’interactions. Un système complexe est un système dont on ne peut pas prévoir son comportement ou son évolution par le calcul, contrairement à un système compliqué dont le comportement peut être prédit par le calcul aussi compliqué soit-il. Plus un système est complexe, plus son évolution est incertaine, nous pouvons donc conclure que l’incertitude augmente avec le nombre d’éléments et le nombre d’interactions.
À l’heure de la mondialisation 3.0 avec internet et les réseaux sociaux, les entreprises voient leur réputation bien plus fragile qu’elle ne l’était auparavant. Elles investissent dans la communication à travers des campagnes de publicité et se lancent également sur les réseaux sociaux pour défendre leur image soumise aux vents incertains de l’opinion publique connectée. Après avoir fourni tous les foyers occidentaux avec une machine à laver, un réfrigérateur et deux voitures, et après avoir perdu la capacité à fournir les pays émergents avec ces mêmes biens de consommation de masse, l’innovation, par définition incertaine, devient vitale pour nos entreprises.
Le facteur différenciant n’est plus la grosseur et le fameux Too Big To Fail (trop gros pour couler), mais la réactivité et la capacité d’adaptation. Nous avons basculé de l’ère de l’offre (il faut fournir tous les ménages en machine à laver et en voiture) à l’ère de la demande (le client est informé et volatile, il faut aller le chercher, le convaincre, lui proposer des produits qui font sens pour lui).
Le temps de la domination de la mondialisation par les multinationales est révolu. Le client connecté et exigeant revient en force et bouscule 100 ans de théorie du management et des entreprises, où l’on a essentiellement cherché à organiser la production de biens. Celui qui gagnait était celui qui était certain de produire sur 5 ans le maximum de produits. Il en a découlé ce que la plupart des entreprises font encore : les budgets annuels, les découpages de responsabilités en organigrammes rois, le développement de la bureaucratie et la hiérarchie des contrôles. Et quand les entreprises veulent valoriser leurs employés, encourager l’innovation, favoriser la mobilité, développer les compétences de leurs employés, c’est dans le dogme du contrôle, des processus et du certain qu’elles s’essaient en vain.
Il est urgent que les directions laissent de côté le management du certain, comme l’appelle Jean-François Zobrist, ex-PDG de FAVI, pour s’ouvrir au management de l’incertain.
Il est urgent que le management scientifique newtonien vive sa révolution quantique !
Lors du Kanban Leadership Retreat 2012 à Mayrhofen, David J. Anderson exprimait que selon lui, le triangle coût, qualité, délai, était inutile, car le principe d’incertitude s’applique. Plus on prévoit le délai, moins on maîtrise les coûts, plus on maîtrise les coûts ou les délais, moins on connaît la qualité, etc. C’est sous une autre forme le même constat : le niveau d’incertitude atteint aujourd’hui rend le management du certain suicidaire. Les coûts, les délais et la qualité doivent être gérés au quotidien par ceux qui font et non ceux qui dirigent. La direction doit se concentrer sur l’incertain.
Le management de l’incertain ou la mort.
Mais au fait, le management du certain c’est quoi ? Le management du certain, c’est celui des plannings, du culte de la conformité, des hiérarchies formelles, et du contrôle commande. C’est celui qui pilote des chiffres plutôt que de co-construire un rêve partagé qui fera vivre l’entreprise au-delà des crises successives. Cependant, il ne faut pas sous-estimer la difficulté du lâcher-prise. Passer au management de l’incertain c’est admettre que les plans d’adaptation structurés ne vaincront jamais l’augmentation de l’incertitude. Passer au management de l’incertain c’est quitter le confort du pouvoir hiérarchique pour s’ouvrir à la légitimité visionnaire. Cela exige du temps, de la réflexion et de l’énergie.
Mais il ne faut pas non plus surestimer la difficulté de la tâche. Nous avons chacun un don inné à nous accommoder avec l’incertain : avoir confiance, écouter l’autre, décrypter les signaux faibles (émotions, sentiments, etc.) et les indices (empreintes, changement du temps, etc.). Le management de l’incertain c’est l’intrusion de l’humain que nous sommes naturellement dans la vie privée (la famille, les amis) au travail ! C’est la compréhension profonde et humble de ce qui nous motive vraiment et de nos forces. C’est la capacité à mettre en musique ce que nous sommes au sein d’un collectif.
Cependant, le management de l’incertain n’est pas une organisation basée sur le désordre et l’indiscipline, l’ordre et la discipline reste des éléments vitaux pour produire et vendre, ils sont simplement créés autrement dans l’organisation : par un rêve partagé, un objectif simple et clair connu de tous, des valeurs communes, une très simple mesure de progrès intelligible par tous et un partage juste des intérêts (source : Jean-François Zobrist et sa rencontre avec le professeur Shoji Shiba). Le management du certain n’est pas voué à disparaître mais à se décentraliser et à ne plus être porté par la direction.
Manager l’incertain, c’est mettre de l’intelligence humaine, du bon sens au service d’un projet d’entreprise. Et contrairement à ce que l’on a cru pendant trop longtemps, la carotte et le bâton sont beaucoup moins rentables que la confiance, car ils génèrent des coûts de structure exorbitants. La raison d’être de l’entreprise est d’apporter un service ou un bien à un client, sa condition de survie est de faire des profits, et non l’inverse !
L’incertitude augmente radicalement depuis environ une décennie, ce n’est que le début et malgré cela trop d’entreprises s’accrochent encore à leur certitude. Si elles veulent durer, elles n’auront pas le choix, elles devront passer au management de l’incertain avant de mourir d’hyperoxygénisation.
 
"- Le BUT de toute entreprise est la PÉRENNITÉ. Comme tout ce qui est vivant, l’arbre, la paramécie…, le seul but est de durer, et le moyen majeur de la durée est la respiration. On ne vit pas pour durer, mais si on arrête de respirer…
- La RESPIRATION de l’entreprise est l’ARGENT. Ni plus, mais ni moins, et faire de l’argent le but de l’entreprise est aussi stupide que de s’hyperoxygéner en permanence", Jean-François Zobrist.

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