Martin Bouygues revient dans une interview pour « Les Echos » sur les raisons de l’offre déposée pour le rachat de SFR. Pour le patron du groupe, ses engagements sont « clairs » : « Nous ne ferons pas de plan de licenciement ; nous ne ferons pas de plan de départs volontaires. »
Pourquoi réaliser une telle opération ?
Je suis un industriel, un
bâtisseur. Ce qui m’a toujours animé, mon moteur, c’est de bâtir des
choses concrètes avec mes collaborateurs. C’est évidemment le cas dans
le BTP. Cela vaut aussi dans les médias avec TF1, dont nous avons fait
une chaîne privée qui fait figure d’exemple en Europe. Cela vaut encore
dans les télécoms, un secteur dans lequel nous sommes présents depuis
vingt-cinq ans. L’arrivée de Free a profondément déstabilisé le secteur.
Je suis favorable à la concurrence. Elle est bénéfique sauf quand elle
est faussée et qu’elle détruit un marché, des emplois. Et nous n’en
sommes plus très loin.
En quoi une opération qui aurait été impossible il y a un an vous paraît-elle aujourd’hui envisageable ?
En un an, le marché a continué à
se dégrader profondément, l’emploi a été touché et les esprits ont
évolué en France comme dans toute l’Europe.
Avez-vous pensé un temps sortir de cette activité ?
Non, car, encore une fois, je
suis un industriel. Il y a 9.000 personnes qui travaillent pour Bouygues
Telecom. J’ai un devoir de loyauté à leur égard. Je ne suis pas là pour
tirer les marrons du feu, je suis là pour partager la peine et les
douleurs de mes salariés quand ça va mal. Et quand une situation devient
difficile, c’est mon devoir de trouver des solutions… et j’y crois.
Quand avez-vous pris la décision de déposer une offre ?
Il y a trois à quatre semaines,
lorsque la volonté de Vivendi de se séparer de cette activité a été
confirmée. Et parce que nous sommes aujourd’hui convaincus que
l’autorité de la Concurrence, qui aura à se prononcer, peut à la fois
autoriser cette opération et grâce à elle recréer une concurrence par
les infrastructures normales sur le marché français. Evidemment en
imposant des contreparties. Nous le comprenons.
Une fusion avec Free-Iliad était aussi théoriquement possible. L’avez-vous envisagée ?
Oui, elle l’était, mais, non,
nous ne l’avons pas envisagée. Nous avons déjà un partenariat avec les
équipes de SFR. Nous avons appris à nous connaître et nous partageons
une vision commune sur la manière de faire notre métier. Je veux
d’ailleurs faire des salariés de SFR des actionnaires du groupe
Bouygues, s’ils le souhaitent. Un quart de notre capital est détenu par
nos salariés. C’est un cas unique dans le CAC 40.
La marque Bouygues Telecom perdurera-t-elle ?
Ce n’est pas le plus important à
mes yeux. Nous choisirons parmi les marques celles qui seront évaluées
comme les plus fortes. L’important, c’est l’efficacité et la performance
auprès des clients.
N’y a-t-il pas un paradoxe à annoncer beaucoup de synergies de coûts tout en promettant zéro départ contraint ?
Non. Avec les investissements
que nous souhaitons réaliser, nous avons l’opportunité de redynamiser
l’emploi et de réinternaliser tout ou partie de certaines activités,
comme les centres d’appels. Quant aux boutiques, nous aurons un volume
de clientèle plus important à gérer. Nous aurons besoin de plus de
commerciaux pour suivre tous nos clients actuels et futurs. Les coûts de
personnel ne sont pas tels qu’ils soient discriminants. Nous souhaitons
réorganiser l’entreprise sans départs contraints, ainsi que je l’ai
déjà indiqué. Je prends des engagements clairs : nous ne ferons pas de
plan de licenciement ; nous ne ferons pas de plan de départs
volontaires. Si nécessaire, nous redéploierons certains collaborateurs
dans les autres activités du groupe, particulièrement dans les fonctions
support. Je n’ai qu’une parole.
La fusion ne risque-t-elle pas de conduire à une hausse des prix ?
Non. Le marché français est
l’un des plus concurrentiels d’Europe. L’Autorité de la concurrence
veillera à ce qu’il le reste. On peut imaginer qu’elle demandera des
contreparties permettant à Free ainsi qu’aux MVNO de continuer à animer
la concurrence sur le marché. Ce que nous ferons aussi.
L’opération vous permettra-t-elle d’investir moins qu’aujourd’hui ?
Au contraire : la logique est
de dégager des synergies fortes pour pouvoir investir dans la 4G et dans
la fibre optique. Nous pensons, comme d’ailleurs le gouvernement, que
la technologie très haut débit fixe qui doit être encouragée est celle
de la « fibre jusqu’à l’abonné » (FTTH), bien plus performante que le
câble. Nous prenons l’engagement d’investir 400 millions d’euros par an
dans cette technologie, soit deux fois plus qu’avant. Cet effort sans
précédent, ajouté à celui d’ores et déjà consenti par Orange, permettra à
la France d’atteindre les objectifs ambitieux assignés par le président
de la République au plan France très haut débit.
La prochaine décision de la Commission européenne sur un passage
de l’Allemagne de quatre à trois opérateurs pourrait-elle remettre en
question le projet ?
Non, notre opération est de la
compétence de l’Autorité française de la concurrence. Ses
caractéristiques sont différentes de cette opération allemande, laquelle
n’est d’ailleurs pas terminée. Mais, ce qui est clair, c’est que de
l’Autriche à l’Irlande, plusieurs pays ont fait le choix de repasser de
quatre à trois opérateurs mobiles ou ils envisagent de le faire. Le
mouvement de consolidation concerne tous les pays européens.
Vos relations houleuses dans le passé avec Vincent Bolloré,
actionnaire de Vivendi, peuvent-elles avoir une incidence sur l’issue de
l’opération ?
Nos différends avec Vincent
Bolloré sont levés depuis longtemps. Notre projet a un intérêt
industriel et capitalistique. La logique de ce projet veut que nous
travaillions main dans la main avec Vivendi.
Lire aussi :
Pourquoi Bouygues veut s’offrir SFR , l’analyse de David BarrouxFree pourrait tirer parti d’un mariage entre SFR et Bouygues
Télécoms : n’oubliez pas les clients, SVP ! , le billet de Dominique Seux
et Le gouvernement s’implique dans le dossier SFR
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