Par
Martine Betti-Cusso - le 28/02/2014
FOCUS - Le stress au travail ne fait qu'augmenter.
Jusqu'à devenir un problème de société et de santé publique. En
comprendre les raisons permet de mieux le maîtriser.
Malgré les alertes, les prises de conscience, les enquêtes, les rapports et les mesures lancées par les pouvoirs publics, le niveau de stress des actifs ne cesse d'augmenter. Comme dans un mouvement inexorable. Et la France est considérée, selon des indicateurs internationaux, comme battant des records en la matière. Les délais, les restructurations, les emplois du temps surchargés, la compétition, la pression relationnelle, les conflits de pouvoir, la précarité, etc., sont autant de sources de stress, qu'il n'est pas toujours possible d'éviter ou d'éliminer.
La mécanique du stress est bien connue. C'est une réaction naturelle de notre organisme, destinée à nous adapter aux menaces et aux contraintes de notre environnement. Nous sommes stressés chaque fois que nous devons affronter une situation nouvelle qui exige un effort d'adaptation. Notre organisme produit alors une cascade de réactions nerveuses et hormonales afin de préparer le corps à l'action. Il libère dans le sang des hormones, les catécholamines (l'adrénaline, la noradrénaline et la dopamine), qui affluent vers les cellules pour leur apporter rapidement et massivement combustible et oxygène, afin de soutenir une dépense énergétique accrue. Les fonctions cardiaque et respiratoire sont stimulées et l'oxygénation du cerveau est amplifiée. Un véritable shoot biologique pour nous doper au maximum lorsqu'il nous faut rendre un rapport urgent, gérer une entrevue difficile ou prendre une décision rapide.
Mais pour être bénéfique, ce processus doit être transitoire et intermittent. Lorsque la pression se fait trop forte, la mécanique se dérègle et se déclenche inopinément, sur un simple appel inopportun, une remarque désagréable, une machine qui renâcle, une peccadille de trop.
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Et
les effets sont délétères sur la santé. En moindre mal, le stress nous
fait perdre nos moyens. Récurrent et incontrôlé, il est destructeur à
court et à long terme. Il fait monter la pression artérielle, contracte
les muscles, altère la fonction cardiaque et affaiblit nos défenses
immunitaires. De fait, il augmente le risque d'infarctus, provoque des
maladies musculo-squelettiques, favorise les invasions microbiennes et
le développement des tumeurs. Il cause des ulcères, aggrave les
allergies et altère le fonctionnement de la mémoire, faisant vieillir
prématurément le cerveau.Des numéros verts garantissant l'anonymat
Il engendre fatigues chroniques, anxiété, dépressions, et même gestes désespérés - la série de suicides intervenus chez France Télécom est resté dans la mémoire collective. De quoi perturber sérieusement l'efficacité des individus et donc, à travers eux, le fonctionnement des entreprises. Le stress serait à l'origine de 50 à 60 % de l'ensemble des journées perdues. Et son coût social, selon l'Institut national de recherche et de sécurité (INRS), est évalué entre 830 millions et 1,656 milliard d'euros par an.
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Les
pouvoirs publics s'en inquiètent. Un plan d'urgence sur la prévention
du stress a été mis en place en 2009 pour les grandes entreprises et,
l'année dernière, un rapport du Conseil économique, social et
environnemental (CESE) plaidait pour que la prévention des risques
psychosociaux devienne un enjeu majeur de santé publique. Les entreprises aussi réagissent. Nombre d'entre elles cherchent à améliorer les conditions de vie de leurs salariés, en mettant à leur disposition des salles de sport, cafétérias et autres séances de massage. Sans oublier les entretiens avec le directeur des ressources humaines et même des numéros verts garantissant l'anonymat pour dévoiler malaises et drames.
Un dispositif qui est loin d'être suffisant, selon les experts. Pour le Dr Patrick Légeron, psychiatre et directeur du cabinet de conseil Stimulus, il s'agit d'«une approche “cosmétique”, révélatrice du retard de la France dans la gestion du stress. Le bon remède n'est pas de traiter les symptômes en accompagnant des personnes qui vont déjà mal mais de prévenir le mal-être.» Et ce mal-être proviendrait, selon un sondage OpinionWay réalisé en 2012, de la surcharge de travail et de la pression hiérarchique, mais aussi, selon une enquête Anact/CSA, de l'organisation du travail et des restructurations, les entreprises devant sans cesse évoluer et s'adapter. Les salariés sont contraints de remplir des objectifs de performance, mais n'ont que peu d'autonomie pour y parvenir. Et, avec les nouveaux modes d'organisation du travail, les relations sociales se sont tendues. «Le management ne tient pas compte de la dimension humaine existant dans les relations professionnelles, il néglige le dialogue et l'écoute, affirme Patrick Légeron. En France, les émotions n'ont pas le droit de citer, alors que le travail génère en permanence des sentiments négatifs et positifs. Le rôle des managers est de savoir les gérer, mais ils ne sont pas formés pour cela, et encore moins évalués.» Il faut dire aussi que ces managers doivent faire face non seulement au stress de leurs subordonnés, mais également à leur propre stress, bien alimenté par le poids grandissant de leurs responsabilités.
Donner du sens à son travail
Même constat pour le Dr Eric Albert, président de l'Institut français d'action sur le stress, qui note un décalage croissant entre les évolutions de la société et celles des entreprises. «Les jeunes actifs, et notamment cette fameuse génération Y, ont pour caractéristique de concevoir les relations de manière horizontale, explique-t-il. Ils refusent l'autorité si celle-ci n'est pas une autorité de compétence. Ils sont souples dans leur organisation, apprécient les projets menés à plusieurs et fonctionnent avec des motivations intrinsèques, c'est-à-dire l'envie de faire. Or, l'entreprise est souvent verticale, rigide et structurée par des process. Elle encourage la performance individuelle et les motivations extrinsèques, comme celle de faire des efforts pour obtenir une meilleure rémunération.»Pourtant, d'autres méthodes managériales, mises en œuvre par certaines entreprises, semblent faire la preuve de leur efficacité dans le bien-être et la performance au travail. «Elles consistent à donner aux salariés les moyens de se réaliser dans leur mission professionnelle, ajoute Patrick Légeron. En diversifiant les tâches, en les faisant participer aux décisions, en donnant du sens à leur travail.» Des initiatives qui ont pour effet d'augmenter l'estime de soi, de motiver et d'encourager l'envie de progresser dans son savoir-faire.
Et de citer le cas de firmes comme Google, qui misent sur des pratiques innovantes à l'instar de cette règle étonnante: 80 % du temps de travail des salariés sont consacrés à la mission qui leur est confiée et pour laquelle ils sont payés, et 20 % (soit une journée par semaine) sont dédiés à des recherches personnelles. Le principe a fait sourire les sceptiques et surpris les actionnaires. «Pourtant, il a favorisé l'émergence d'idées nouvelles au profit de l'entreprise, précise Eric Albert. C'est ainsi que des salariés ont créé Google Earth. En fait, 50 % des innovations de Google proviennent de cette journée.»
Pour autant, les stratégies individuelles ne sont pas à négliger. Le stress est intrinsèque à l'être humain, à son caractère, à son état d'esprit, à son investissement dans sa vie professionnelle. A chacun de prendre aussi sa vie en main et de savoir gérer ses émotions. Autant pour sa santé que pour son bien-être au travail. D'abord, on consolide sa résistance au stress en entretenant son organisme par de l'exercice physique, une alimentation équilibrée et en respectant ses heures de sommeil. Si besoin est, des outils peuvent venir en soutien. Les méthodes de relaxation, comme le training autogène, la technique de Jacobson, mais aussi la sophrologie, le yoga, la méditation de pleine conscience… sont de bonnes parades. Elles ont en commun d'associer détente physique, état de concentration et exercices de respiration. L'essentiel est de trouver le bon procédé qui aide à relativiser et à prendre le recul indispensable à la bonne gestion de son stress.
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