FIGAROVOX
- À travers François Hollande, dont l'impopularité pulvérise tous les
records, c'est l'ensemble de la classe dirigeante qui est fustigée par
la population, analyse Maxime Tandonnet, ancien conseiller de Nicolas
Sarkozy à l'Élysée.
Ancien conseiller de Nicolas Sarkozy à l'Elysée, Maxime Tandonner est l'auteur de plusieurs ouvrages, dont Histoire des présidents de la République (Perrin, 2013).
L'atmosphère générale dans laquelle baigne le pays semble être sans aucun précédent historique. On n'a pas souvenir d'une situation comparable de rejet populaire de la classe politique, des «élites» et des milieux d'influence dans leur ensemble. A travers François Hollande, dont l'impopularité pulvérise tous les records avec un taux de confiance de 17 % (- 2 %) selon le sondage SOFRES Figaro magazine mars 2014, c'est l'ensemble de la classe dirigeante qui est fustigée par la population. Les pouvoirs nationaux pataugent dans une impuissance de plusieurs décennies à régler les problèmes des Français, le chômage qui n'a jamais été aussi élevé dans l'histoire contemporaine, avec 3,3 millions de demandeurs d'emploi, la violence, le déclin économique, la dette et les déficits à l'origine de la «mise sous surveillance» de la Commission européenne, qui signe la perte d'indépendance de la nation.
La crise de confiance est générale. La majorité actuelle la subit de plein fouet. Plus peut-être que ses résultats, c'est un style qui est condamné, une impression confuse de déni des réalités, de fausseté du discours, de distance prise avec le peuple et de fuite en avant dans le sectarisme. Mais cette crise de confiance concerne l'ensemble de la classe politique et se caractérise par l'absence d'alternative apparente. L'UMP est embourbée dans les scandales, ses déchirements d'ego, l'image négative de ses dirigeants. Rarement depuis un siècle et demi, l'image donnée par le camp des républicains modérés n'aura été aussi désastreuse. Le Front national, malgré les efforts de dédiabolisation accomplis et une omni-présence médiatique, garde au fond une image maudite, même si, dans le secret des sondages et des urnes, il joue un rôle de défouloir. Fondant son succès sur le tout-démagogie, isolé par l'agressivité de son discours, il ne se présente pas non plus en alternative crédible et son plafonnement à un niveau, même très élevé, de de 20 à 25 % des suffrages, dans un climat général de désespérance aussi profond, marque les limites de son potentiel.
On ne constate de même strictement aucune percée individuelle durable dans les enquêtes d'opinion ni aucune tentation de «l'homme providentiel».
Le relatif retour en grâce dans les sondages de personnalités dont la présence dans la vie politique remonte à plus de trente ans et qui ont été jadis extrêmemement impopulaires, Laurent Fabius et Alain Juppé, voire même de Dominique Strauss Kahn est symptômatique du profond désarroi actuel et du sentiment d'impasse générale, sinon d'absurdité.
Le clivage principal ne se situe plus entre une majorité et une opposition, mais entre la France dite «d'en haut» et la France dite «d'en bas» c'est-à dire entre la classe dirigeante dans son ensemble, les milieux influents - le monde politique et médiatique - et la majorité silencieuse. Les Français, dont l'intelligence collective est sous-estimée par les milieux «d'en haut», comprennent qu'il n'existe pas de solution miracle. Ils fustigent un comportement général. Selon un sondage CEVIPOF de janvier 2014, 88 % reprochent aux dirigeants politiques de «ne pas se préoccuper de ce que pensent les gens comme eux», 8 % font confiance aux partis politiques et 23 % aux médias. Ils ont le sentiment d'une dérive de la vie publique, de plus en plus portée à la conquête et la préservation des postes, le sensationnel, les scandales, les polémiques parfois d'une extrême violence, le sectarisme d'où qu'il vienne, les insultes et ces horribles lynchages médiatiques -quelle que soit la gravité des faits qui les motivent-, qui s'enchaînent les uns après les autres. Dès lors, ils se sentent abandonnés par leurs élites, jugées indifférentes à leurs difficultés et leurs préoccupations.
Les causes de cet effondrement de la politique sont profondes. Le triomphe de l'ego dans la vie publique, au détriment de l'intérêt général, est symptômatique d'un phénomène de société beaucoup plus global: «A l'âge post moderne une valeur cardinale perdure, intangible, indiscutée au travers de ses manifestations multiples: l'individu et son droit toujours plus proclamé de s'accomplir à part…» écrit Gilles Lipovetsky dans L'ère du vide (Gallimard 1983). La surpersonnalisation de la vie politique, jusqu'à l'absurde, est la quintessence de ce phénomène.
L'institution présidentielle, surmédiatisée, devenue le mirage obsessionnel des politiciens nationaux, cristallise la dérive narcissique de la vie publique dans un climat d'aveuglement total dû à l'hypertrophie de l'ego.
On ne voit guère aujourd'hui d'issue possible à une crise du politique qui reflète un phénomène de société plus global. Une réforme des institutions visant à réduire le narcissisme élyséen en réhaussant les autres pôles de pouvoir, Matignon et le Parlement, un recours plus fréquent à la démocratie directe, le référendum, apporteraient peut-être un peu d'air frais à la vie publique, mais sans pour autant modifier en profondeur les comportements. Il arrive un stade où l'on ne peut guère s'en remettre qu'à la force de l'histoire, de Clio: «C'est ici le plus grand mystère peut-être de l'événement, mon ami, c'est ici proprement le mystère et le mécanisme même de l'évènement, historique, le secret de ma force, mon ami, le secret de la force du temps, le secret temporel mystérieux, le secret historique mystérieux, le mécanisme même temporel, historique, la mécanique démontée, le secret de la force de l'histoire, le secret de ma force et de ma domination…» (Charles Péguy, Clio, Dialogue de l'histoire et de l'âme païenne.)
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