C’est quand le bonheur… au travail ? C’est une question qui se pose forcément à un moment donné de notre carrière. Nous aspirons tous en effet à une meilleure qualité de vie au travail, à un bien-être qui nous rendrait aussi plus efficace. Dans son livre « Le Cheval et l’âne au bureau », Olivier Schmouker, journaliste spécialisé dans les questions de management, donne quelques pistes pour réapprendre à « travailler ensemble ».
On parle beaucoup ces dernières années de bonheur, de qualité de vie au travail, c’est une aspiration de plus en plus forte des salariés ou une mode dans le management ?
Pourquoi parle-t-on tant, aujourd’hui, d’épanouissement au travail ? Parce qu’on a fini par se rendre compte qu’il y avait un réel problème de mal-être au travail : depuis des années, on ne cesse de voir dans les médias des dossiers sur le burnout et autres maux du 21e siècle concernant notre quotidien au travail. À cela s’ajoute le fait que les hauts-dirigeants qui ont le nez sur les résultats financiers ont fini par remarquer des « anomalies », comme les chiffres déclinants de la productivité des employés et les sommes grandissantes dédiées à la ligne de budget « Arrêts de travail pour raison médicale ».Il est donc devenu crucial, de nos jours, tant pour les entreprises que pour les employés, de transformer ce qui est devenu un cercle vicieux en un cercle vertueux. Ce qui est possible, comme je le montre dans mon livre « Le Cheval et l’Âne au bureau ».
« En France, on dénombre aujourd’hui 1 suicide par jour de semaine de travail… sur le lieu de travail-même ! »
Votre livre justement commence par l’histoire d’un fait divers tragique, un suicide au travail. Ces événements, qui se sont multipliés au fil des crises, ont-ils fait prendre conscience aux managers qu’il fallait mieux prendre en compte la souffrance, la toxicité du travail ?
Parlons chiffres, car ils frappent toujours. Un seul me suffira : en France, on dénombre aujourd’hui 1 suicide par jour de semaine de travail… sur le lieu de travail-même ! Il est clair qu’une personne qui commet un tel geste à cet endroit précis entend envoyer un message à sa direction et à ses collègues. Un message d’immense désespoir. Un message que l’on se refuse toujours d’entendre : je suis prêt à parier que vous n’aviez jamais entendu parler de cette statistique. La raison ? Il est encore tabou de regarder la vérité en face, à ce sujet. Ça dérange trop.Ce que vous décrivez dans votre livre, le burnout, le stress, est-ce que ce n’est pas aussi un symptôme sociétal de l’accélération du temps, de l’individualisme ?
Tous ces symptômes découlent en effet du type de société dans lequel nous vivons. Du moins, des valeurs que nous avons tous, plus ou moins consciemment. Je pense surtout à cette valeur qu’est l’individualisme, qui est si solidement ancrée en chacun de nous. Prenons un exemple : quand arrive la période annuelle de l’évaluation, vous remarquerez qu’elle est toujours individuelle. Pourtant, personne ne travaille tout seul dans son coin, en entreprise. On évolue tous au sein d’une équipe. Pourquoi donc ne ferions-nous pas des évaluations plurielles, au lieu des sempiternelles évaluations individuelles ? Ce serait l’occasion de souder davantage l’équipe, au besoin de la remotiver. Et cela éviterait le malaise que ressentent systématiquement les employés à l’idée de se faire servir – une fois de plus – un discours du type carottes & bâton.Selon vous, le travail collaboratif est le meilleur moyen de sortir de cette spirale entre le côté cheval qui regarde de haut les basses tâches et l’âne enfermé dans sa routine ?
Le Cheval et l’Âne est une fable de La Fontaine. Elle résume le propos de mon livre. L’Âne porte une charge trop lourde pour lui et demande l’aide du Cheval. Ce dernier, orgueilleux, refuse. Du coup, l’Âne crève un peu plus loin. Et le Cheval se trouve contraint de porter la charge de l’Âne ainsi que la dépouille de celui-ci. Morale : « En ce monde, il se faut l’un l’autre secourir / Si ton voisin vient à mourir / C’est sur toi que le fardeau tombe ».En conséquence, nous devons trouver un moyen pour travailler autrement, c’est-à-dire pour travailler vraiment ensemble, et non plus comme un agrégat d’individus.
Quels sont les autres changements à mettre en oeuvre pour « travailler autrement » ?
De petits changements dans nos façons de travailler peuvent avoir un impact fou, qu’on ne soupçonne même pas. Un exemple. Une étude menée au Canada a montré que la forme de la table de réunion pouvait, à elle seule, transformer la dynamique des réunions qui se tiennent autour d’elle.« Si vous voulez des réunions de travail plus efficaces, changez votre vieille table rectangulaire par une neuve toute ronde »Dans un premier temps, les participants à l’expérience devaient, chacun leur tour, s’installer à une table rectangulaire, dans l’un des coins. Ils devaient y remplir des formulaires, lesquels permettaient de déterminer l’état d’esprit de la personne au moment présent. Résultat ? Les personnes se montraient alors hyper-individualistes, prêtes à chercher à briller devant les autres et à diriger la réunion, si celle-ci avait eu lieu.
Dans un second temps, ils ont demandé à d’autres participants de s’installer, cette fois-ci, à une table ronde. Là, les personnes cherchaient la collaboration, elles se montraient à l’écoute d’autrui.
Donc, table rectangulaire (celle qu’on a tous en salle de réunion, n’est-ce pas ?) = individualisme. Et table ronde = collaboration. Par conséquent, si vous voulez des réunions de travail plus efficaces, changez votre vieille table rectangulaire par une neuve toute ronde.
On peut changer ses méthodes de travail en tant qu’individu mais est-ce qu’on ne se heurte pas à un moment à la résistance du système et à l’organisation de l’entreprise ? Comment faire pour contourner cet obstacle ?
C’est vrai, les résistances au changement sont souvent fortes. C’est normal, c’est humain. Pour contourner cet écueil, on peut commencer par un petit changement, par quelque chose qui ne va pas déstabiliser trop de monde. On peut penser à la table ronde, par exemple.Mais on peut aussi penser à d’autres choses, comme de décider, tous en équipe, de fonctionner autrement pour régler un dossier en particulier. Cela ne remet personne en cause, bien au contraire. Ça peut permettre justement à certains de davantage exprimer leurs talents, ceux auxquels on ne fait pas appel d’habitude (par exemple le boss a une bonne plume, mais ce n’est jamais lui qui se charge de rédiger les rapports. On peut décider qu’il en fera moins que d’habitude dans la gestion d’un dossier en particulier, mais que ce sera lui qui se chargera de la rédaction). Vous verrez, tout le monde aura plus de plaisir à travailler, et par la suite, se montrera plus efficace dans son travail !
De la même manière vous dites qu’il ne faut pas seulement se baser sur les performances individuelles, les entreprises doivent aussi faire leur révolution culturelle sur ces questions ?
Il nous faut définitivement changer de perspective. Nous regardons trop la performance individuelle, pas assez celle du groupe. Comment y parvenir ? Imaginez, par exemple, que vous êtes sur un aviron et que vos collègues sont les rameurs. Si l’un tente d’accélérer le rythme, parce qu’il est doué ou sent que c’est dans ses cordes, cela ne fera, en réalité, que déclencher la pagaille dans l’ensemble de l’équipe : les rames vont s’entrechoquer. Idem, si l’un ralentit la cadence parce qu’il n’en peut plus, ça n’ira pas mieux.Que faire ? Ralentir. Oui, ralentir, le temps de trouver le bon rythme pour tous. Je souligne : pour tous. Dès lors, votre équipe atteindra la performance idéale. De surcroît, en éprouvant – enfin ! – un vrai plaisir à travailler ensemble, en harmonie. C’est aussi simple que ça.
- « Le cheval et l’âne au bureau – l’art oublié de travailler ensemble » par Olivier Schmouker, Editions transcontinental – Les Affaires, 208 pages.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire
Remarque : Seul un membre de ce blog est autorisé à enregistrer un commentaire.