jeudi 24 avril 2014

" No managers" ou comment travailler autrement

Par Muriel Jasor, journaliste | 28/02/2014

Désireuses de se réinventer, des sociétés cherchent à vivre « libérées des managers ». Des exemples illustratifs d'une même quête organisationnelle : comment travailler autrement ?


Manager
Crédits photo : Shutterstock.com
Des sociétés comme MorningStar, Zappos, Treehouse, Medium ont supprimé les fonctions managers.

 Et si on supprimait les managers... La suggestion n'a rien de farfelu outre-Atlantique. Les sociétés MorningStar, Zappos, Treehouse, Medium sont même directement passées de l'idée aux travaux pratiques. Avec la bénédiction de Gary Hamel, un des papes de la pensée managériale, écrite dans la « Harvard Business Review ».

« NoManagers », « self-management », « holacracy », « déhiérarchisation », le vocable diffère, mais vise un même objectif : redonner du pouvoir aux salariés. Cette tendance, qui ne tient plus de l'épiphénomène, fait de plus en plus parler d'elle. Pas nécessairement à appliquer à la lettre, elle braque le projecteur sur un type d'innovation souvent négligé : l'innovation organisationnelle.

Insatisfaction organisationnelle dans les entreprises

L'aspiration des entreprises à s'organiser différemment est profonde. Mais le chemin à suivre pour y parvenir, des plus incertains. « Comment manager demain » (ESF), « Partager le pouvoir, c'est possible » (Albin Michel), « Les Radeaux de feu - Diriger par émergence » (Palio), « Diriger et encadrer autrement » (Armand Colin), etc., les éditeurs spécialisés en organisation et management multiplient les publications d'ouvrages sur la question. « Pour parler net, l'objectif est d'assainir l'usage du pouvoir », relève le consultant fondateur du cabinet 7 & Associés, Emmanuel Mas, dans une tribune en ligne du cercle des Échos « De revoir la manière de l'organiser, de le déléguer, de l'exercer. Ce mouvement prend corps dans quelques organisations pionnières qui décrivent toutes leur changement comme une aventure, apparemment exaltante, parfois incertaine. »

L'incessante collecte de chiffres, indispensable au reporting, a participé à l'institution d'un management quantitatif, qui incite les salariés à passer plus de temps à se justifier qu'à innover. Résultat, tout pousse aujourd'hui à la remise en question de contrôles excessifs jugés dévastateurs, appuie le psychiatre Eric Albert dans « Partager, c'est possible ». D'autant que l'entreprise prend des contours ambivalents, cherchant tout à la fois à réduire ses coûts et à innover, et dotant ses managers de moult responsabilités, tout en les laissant dépourvus de moyens.

Non satisfaisant in fine, ce type de management pousse nombre d'entreprises à sérieusement considérer la question de la « codétermination », nécessaire au développement d'une vision collective constructive. Problème, déplorait Francis Mer, ancien ministre de l'Économie, des Finances et de l'Industrie dans la presse l'été dernier : « En France, notre scolarité fait une large place au "chacun pour soi", au lieu d'apprendre à composer et à vivre avec l'autre, alors que, dans la vie professionnelle, les interactions avec les autres sont constantes. » Un avis que partage Françoise Gri, directrice générale du groupe Pierre & Vacances Center Parcs. « Le management à la française du type : "je donne la direction et l'intendance suivra" ne peut plus être », estime-t-elle.

« Déhiérarchisation » et management

Autant de raisons qui poussent des entreprises à opter pour l'agilité et l'initiative. L'an dernier, une entreprise du Tarn-et-Garonne s'est illustrée sur ce terrain de l'innovation managériale. Poult a entrepris tout un travail de « déhiérarchisation » en s'affranchissant de directeurs opérationnels. Organisée en collectifs regroupant cadres et opérateurs, elle emploie quelque 750 salariés, qui sont invités à faire émerger des idées via un incubateur interne. « L'autodirection » permet à chaque salarié de développer son « plein potentiel » grâce à plus d'autonomie, plus de responsabilisation et plus de valorisation de soi, assurent Brian M. Carney et Isaac Getz dans leur ouvrage « Liberté & Cie » (Fayard).

Aux États-Unis, Morningstar (800 salariés, qui a créé un institut de self-management), Zappos, Treehouse, Medium et, en Grande-Bretagne, Gamevy ont bousculé leur organisation et leur hiérarchie. Tout comme Gore Tex et Favi en France. Ces entreprises, qui allient « libération » et performance, savent gérer les fertilisations croisées et motiver les équipes, auxquelles elles accordent un plus grand degré de liberté pour tester des idées.

Courage, confiance, réinvention du management

Dans les entreprises dénuées de bureaucratie, complète Isaac Getz, professeur de stratégie à l'ESCP Europe, les salariés satisfont trois éléments mis en exergue par les travaux des psychologues Edward Deci et Richard Ryan : les besoins d'autonomie et de responsabilisation et la reconnaissance des compétences. Un environnement de courage et de confiance, qui autorise l'erreur et donc les occasions d'apprendre, est une richesse. Le négliger et c'est rendre impossible la délégation, les retours fiables et le travail en réseau. La société Favi l'a compris. Spécialisée dans la conception et l'assemblage de pièces en alliage cuivreux, elle a modifié son processus de production pour laisser plus d'autonomie aux ouvriers. Résultat : l'entreprise fournit quelque 60 % du marché automobile européen. Autre exemple : Spartoo (distribution de chaussures), dont le management en étoiles évite toute rigidité hiérarchique.

La transformation du comment travailler ensemble

L'heure est à la remise en cause des succès d'hier voire d'aujourd'hui, inadaptés, demain, à un environnement toujours plus imprévisible. S'affranchir tous azimuts de managers serait excessif : une direction, un pilotage stratégique, un accompagnement et un patron qui tranche sont nécessaires. Mais si le phénomène NoManager fait autant parler de lui, c'est qu'il a le mérite d'aviver le débat - du haut en bas de la ligne hiérarchique - autour du « comment mieux travailler ensemble ? » La question est d'autant plus d'actualité que nombre d'entreprises, pour ne pas dire toutes, sont dans la nécessité de changer de « business model ». « Se transformer sans managers paraît guère envisageable, surtout pour les plus grosses structures », juge Françoise Gri. « Je ne crois pas en l'autogestion : le manager coach est une vraie réalité... Mais il reste cependant que toutes les entreprises sont confrontées à des problématiques organisationnelles et conjoncturelles : l'évolution des styles de management, l'adaptation à son marché en mutation permanente et l'accompagnement au changement. »


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Les styles de management selon les pays


When culture Collide
Crédits photo : Cadreo
Extrait du livre " When culture Collide", du linguiste britannique Richard D. Lewis.

Crédits photo : Cadreo
Extrait du livre " When culture Collide", du linguiste britannique Richard D. Lewis.

Crédits photo : Cadreo
Extrait du livre " When culture Collide", du linguiste britannique Richard D. Lewis

livre
Crédits photo : Cadreo
Extrait du livre " When culture Collide", du linguiste britannique Richard D. Lewis.

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