mardi 29 avril 2014

Où sont les violeurs?

Le traitement médiatique du viol a ceci d'étonnant qu'il décrit toujours l'agresseur et la victime avec un champ lexical similaire. Pour la victime, nous avons jeune, pauvre au sens de "à plaindre", seule parfois, et souvent un détail physique accablant du type "elle avait les cheveux longs (la salope)" (blonde, au 36 quai des Orfèvres ; jolie, dans le métro de Lille). Le violeur a toujours une bonne excuse, lui. Il avait bu, monsieur le juge. (36) Il venait de se disputer avec son amie et il n'avait pas de travail, monsieur le juge (Lille). Bref, elle, avant d'être une victime, était déjà marquée du sceau de l'infamie ; et lui avant d'être un agresseur était déjà le good guy qu'il redeviendra après quelques heures de travaux d'intérêt général.
Si bien que notre société est intrinsèquement pleine de victimes de viols, mais vide de ses violeurs.
J'ai toujours été frappée par une statistique : si je prends un échantillon au hasard de 10 de mes copines, la majorité a déjà vécu une agression sexuelle. Si en revanche je prends un échantillon au hasard de 10 de mes copains, aucun n'a jamais agressé aucune femme - ou aucun homme.
Mes copines ont des foultitudes d'histoires, de souvenirs, de "et là, il m'a tiré les cheveux jusqu'au couloir" ou de "c'était l'entraîneur de tennis" ou du célèbre "c'est un peu de ma faute parce que..." (je portais une jupe / j'avais souri / j'étais en train de lire - rayez les mentions inutiles). Mes copains n'ont aucune anecdote de ce type. Ce sont tous des "types bien" (je ne fais pas partie des adoratrices du mythe du connard). C'est beau comme une pub Mastercard.
Mais statistiquement, ça ne fonctionne pas. Qui a violé mes copines ? Pas toujours le prototype du violeur marginal, aviné, "d'origine étrangère" décrit dans les journaux. D'après les chiffres, en majorité, ce sont des personnes de leur entourage. Des hommes "normaux" comme on dit. Certains sont mariés, ont des familles, un travail, une position sociale parfois, même. Des blancs ? Oui, il y a des blancs. Des quadras, des "mecs sympa"? Aussi. Des qui les ont agressées et qui sont allés à Toys'r'Us acheter un cadeau pour l'anniversaire de leur fille juste après, parce qu'ils violent MAIS ils partagent les tâches ménagères, attention !
Comme mon amie qui a conclu son histoire par :
"Tu le connais, c'est X.
X... ? Comme le patron de presse ?
Oui. C'est lui."
J'avais déjeuné avec lui justement la veille, et je l'avais trouvé plutôt cool. Tandis que je restais bouche bée, ma copine a commandé un deuxième smoothie, et sans doute, dans un film, le consultant psy du scénariste rayerait ce passage "pas crédible", "elle raconte qu'elle a été violée votre copine, elle ne peut pas recommander un smoothie nonchalamment !"
Une femme qui est violée devient une victime. Une victime, globalement, point. Tout le reste de son identité est nié. Un homme qui viole ne devient pas un violeur, globalement, point. Il garde son identité, mais une identité avec un, comment a-t-il dit déjà le patron de presse, le lendemain, quand je lui ai dit que j'allais pousser ma copine à porter plainte ? Ah oui ! Un "accident de parcours !"
Un femme qui est violée était déjà une victime avant le viol, d'ailleurs : Comment était-elle habillée ? Quels signaux a-t-elle envoyé qui ont pu attirer le violeur ? Parce que c'est évident, elle a envoyé des signaux ! Je me souviens avoir assisté un jour à la conférence d'un victimologue racontant que les joggeuses "envoyaient des signaux" d'appels au viols. "Elles COURENT monsieur le juge ! Si ce n'est pas une allégorie sexuelle, ça. En écoutant de la musique, parfois, elles ne peuvent pas entendre les violeurs s'approcher ! Dans des endroits comme des FORETS. Je me comprends."
Après avoir entendu ça, j'ai arrêté d'aller courir sur les quais de Seine et j'ai commencé à courir dans la sécurité des pots d'échappement, en faisant attention à ne pas trop sourire et à écouter la musique avec un seul écouteur, pour entendre arriver, au cas où. Parce que c'est bien sûr à nous de nous assurer qu'on a envoyé le moins de "signaux" possibles, qu'on est en situation de se défendre.
D'apprendre à nos filles comment on peut se faire un poing américain avec un trousseau de clés en moins de quatre secondes, à ne jamais ouvrir la porte si un inconnu se trouve dans la rue, de refuser qu'un animateur les accompagne au dortoir de la colo, bref, de leur apprendre la PEUR, partout, tout le temps, structurellement, la même peur de l'autre et de soi-même qui, assimilée dès le plus jeune âge, les empêchera de trop se mettre en avant dans leur vie professionnelle, de se montrer entreprenante dans leur vie amoureuse, parce qu'il ne faudrait pas trop qu'on les remarque, sinon quoi ? Sinon elles "l'auront cherché." Il ne faudra pas se plaindre.
Dans King Kong Théorie, Virginie Despentes explique qu'elle n'a pas renoncé à faire du stop pour aller à des concerts après avoir été violée en faisant du stop pour aller à un concert. Elle réclame ce droit, comme une prérogative, de continuer, de ne pas se comporter comme si elle avait été "marquée". Sinon quoi, alors ? Rester chez soi ? Et encore... est-on toujours en sécurité chez soi ? Nous, femmes, sommes habituées à vivre en portant cette éventualité comme une sorte de fatalité révoltante.
"Le courage, ce n'est pas ne pas avoir peur. Le courage, c'est affronter sa peur" a dit Kennedy. Ou Lady Gaga, je ne sais plus. Comme si on avait assimilé ce choix : 1/ Sortir de chez soi et prendre le risque d'être violée ; 2/ Se barricader, ne pas courir, ne pas sourire, porter un vêtement qu'on ne peut pas nous enlever de force, parler doucement, ne surtout pas rire aux éclats, ne pas engager la conversation avec des inconnus, ne pas écouter de musique dans la rue, soupçonner tous les hommes. Mais dans tous les cas de l'équation, le problème de base reste posé avec un "il y a un violeur quelque part."
Je ne crois pas aux "pulsions scientifiques" qui pousseraient les humains de sexe masculin, dans leur ensemble, à vouloir violer les femmes, dans leur ensemble, ou les hommes d'ailleurs. Je crois aux normes masculines du pouvoir qui leur font croire que pénétrer de force, soumettre, violer, sont des signes de domination donc de réussite. Je crois à une société phallocrate où n'importe quel abruti avec un pénis s'imagine pouvoir disposer de n'importe quelle personne qui passe à sa portée et résoudre ce faisant l'ensemble de ses problèmes de virilité. Je crois à la culture du viol. Mais je crois au libre arbitre.
J'ai foi en l'homme avec un grand H et avec un petit, aussi.
Messieurs, vous pouvez choisir de ne pas devenir des violeurs. Le sexe, c'est le contraire du droit : "Qui ne dit mot ne consent pas." Un sourire n'est pas un oui. Une minijupe n'est pas un oui. Si elle est saoule, si elle est mineure, si elle dit non, si elle n'a pas dit oui et si vous l'attrapez par surprise, alors c'est non. C'est une absence de consentement. Et c'est un viol. Et vous pouvez décider de ne pas le faire ; et de ne pas le laisser faire.

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