L’école ne valorise qu’un type d’intelligence - matheuse et verbale. Mais des enseignants adaptent de plus en plus leurs cours pour raccrocher les élèves "largués" et booster leur créativité.
A priori, on sait tous très bien à quoi ressemble une
leçon de collège sur le complément d’objet direct (COD). C’est un exposé
technique de ses fonctions, suivi d’exemples : des phrases écrites au
tableau ("Le chat mange la souris. Le chat mange quoi ? la souris. C’est
le COD, on souligne."). Efficace pour ceux qui la comprennent,
rébarbative, voire carrément absconse pour les autres.
Au collège Jean-Macé de Clichy-la-Garenne (Hauts-de-Seine), on aborde cette question grammaticale avec le même sérieux qu’ailleurs, mais en la regardant par plusieurs bouts de lorgnette : dans un même cours, les élèves de 6e commenceront par classer les phrases et les ranger dans un tableau. Ensuite, ils apprendront grâce à une chanson, avant de mimer avec leur corps la fonction du COD.
Par ces trois activités, ils mettront successivement en œuvre trois types d’intelligence : la naturaliste (ranger, classer), la musicale-rythmique (apprendre par le chant) et la corporelle-kinesthésique (par le mouvement du corps). "Cela permettra à tous les élèves de comprendre ce qu’est un COD et de retrouver le bonheur d’apprendre selon leur profil", vante Anne-Sophie de Chauvigny, professeure de français à Jean-Macé et animatrice, avec huit collègues, de la classe-pilote "Intelligences multiples" depuis un an.
Or, une dizaine de manières d'apprendre et de comprendre les choses peut être mise en oeuvre : en passant par le corps (intelligence corporelle-kinesthésique), par le travail de groupe (interpersonnelle), par l’utilisation de l’espace (spatiale)…
Toutes ces nuances paraissent bien subtiles ? "Mais notre objectif est, lui, très concret. Il s’agit de redonner confiance aux laissés-pour-compte de l’enseignement, tous ces élèves aussi intelligents que les autres qui se jugent nuls parce qu’ils n’entrent pas dans les cases classiques de l’éducation nationale", souligne Myriam Giret, directrice de l’école Notre-Dame à Bressuire (Deux-Sèvres).
Point confirmé par Anne-Sophie de Chauvigny : "C’est un projet extrêmement chronophage, qui exige de briser les 'évidences' de l’enseignement classique : faire travailler les enfants en équipes plutôt que de les empêcher de copier les uns sur les autres, créer des interactions entre enseignants plutôt que rester chacun dans son coin, associer davantage les parents, devenir des accompagnateurs pour chaque élève plutôt que des professeurs d’estrade…"
En lieu et place des devoirs sur table, les élèves de 6e de Jean-Macé peuvent en effet écrire et jouer des saynètes, faire des sculptures, chanter des chansons… "Il faut que nous, enseignants, nous mettions à l’écoute de la créativité des élèves qui, quand on les stimule, proposent très rapidement des idées, des manières d’illustrer les leçons, martèle Anne-Sophie de Chauvigny. J’entends régulièrement des : 'Madame, on pourrait faire ça comme ça aussi' et je m’adapte. Naturellement, c’est moins confortable que de réciter un cours à des oreilles passives, mais l’on est soudain du côté de la vie."
Bien sûr, cette liberté d’expression octroyée aux élèves peut faire peur à certains enseignants : "Quelques-uns de mes collègues haussent les épaules en disant : tout ça, c’est des 'trucs de bobos'", reconnaît Anne-Sophie de Chauvigny dont, pourtant, le collège classé "zone sensible" ne rassemble pas vraiment les publics favorisés des centres-villes...
Elle admet aussi que les intelligences multiples ne résolvent pas tous les problèmes : "Les difficultés des élèves à l’écrit restent très importantes, et nous ne disposons pas encore d’outils assez performants". Mais elle est convaincue : "Nous incarnons l’avenir de l’Education nationale, c’est le bon sens même".
Regardée avec clémence, mais aussi avec une certaine distance, par la hiérarchie de l’Education nationale - laquelle n’a pas alloué un centime supplémentaire à sa classe-pilote -, l’enseignante se demande comment elle va payer l’équipe des chercheurs qui l’aident dans sa tâche. "Je recherche 15.000 euros auprès de mécènes privés." Quelqu’un aura-t-il l’intelligence de l’aider ?
Arnaud Gonzague – Le Nouvel Observateur
Au collège Jean-Macé de Clichy-la-Garenne (Hauts-de-Seine), on aborde cette question grammaticale avec le même sérieux qu’ailleurs, mais en la regardant par plusieurs bouts de lorgnette : dans un même cours, les élèves de 6e commenceront par classer les phrases et les ranger dans un tableau. Ensuite, ils apprendront grâce à une chanson, avant de mimer avec leur corps la fonction du COD.
Par ces trois activités, ils mettront successivement en œuvre trois types d’intelligence : la naturaliste (ranger, classer), la musicale-rythmique (apprendre par le chant) et la corporelle-kinesthésique (par le mouvement du corps). "Cela permettra à tous les élèves de comprendre ce qu’est un COD et de retrouver le bonheur d’apprendre selon leur profil", vante Anne-Sophie de Chauvigny, professeure de français à Jean-Macé et animatrice, avec huit collègues, de la classe-pilote "Intelligences multiples" depuis un an.
Nuances subtiles
Car oui, les humains disposent chacun de plusieurs "types" d’intelligence comme il existe divers tempéraments. Les partisans des intelligences multiples, dont l’un des grands noms français est le pédagogue Bruno Hourst, regrettent que l’école traditionnelle ne sait valoriser que deux types d’intelligence : la verbo-linguistique (qui axe tout sur l’usage du langage) et la logico-mathématique (qui repose sur la déduction scientifique et logique).Or, une dizaine de manières d'apprendre et de comprendre les choses peut être mise en oeuvre : en passant par le corps (intelligence corporelle-kinesthésique), par le travail de groupe (interpersonnelle), par l’utilisation de l’espace (spatiale)…
Toutes ces nuances paraissent bien subtiles ? "Mais notre objectif est, lui, très concret. Il s’agit de redonner confiance aux laissés-pour-compte de l’enseignement, tous ces élèves aussi intelligents que les autres qui se jugent nuls parce qu’ils n’entrent pas dans les cases classiques de l’éducation nationale", souligne Myriam Giret, directrice de l’école Notre-Dame à Bressuire (Deux-Sèvres).
Enormément d'investissement
Depuis la rentrée 2013, cet établissement privé a formé la quarantaine de ses profs à prendre en compte les diverses intelligences des collégiens, de la 6e à la 3e. "Bien sûr, cela demande énormément d’investissement et d’énergie de la part des enseignants, car il leur faut adapter une partie de leurs cours pour valoriser toutes les formes d’intelligence", souligne Myriam Giret.Point confirmé par Anne-Sophie de Chauvigny : "C’est un projet extrêmement chronophage, qui exige de briser les 'évidences' de l’enseignement classique : faire travailler les enfants en équipes plutôt que de les empêcher de copier les uns sur les autres, créer des interactions entre enseignants plutôt que rester chacun dans son coin, associer davantage les parents, devenir des accompagnateurs pour chaque élève plutôt que des professeurs d’estrade…"
En lieu et place des devoirs sur table, les élèves de 6e de Jean-Macé peuvent en effet écrire et jouer des saynètes, faire des sculptures, chanter des chansons… "Il faut que nous, enseignants, nous mettions à l’écoute de la créativité des élèves qui, quand on les stimule, proposent très rapidement des idées, des manières d’illustrer les leçons, martèle Anne-Sophie de Chauvigny. J’entends régulièrement des : 'Madame, on pourrait faire ça comme ça aussi' et je m’adapte. Naturellement, c’est moins confortable que de réciter un cours à des oreilles passives, mais l’on est soudain du côté de la vie."
"Trucs de bobos"
La directrice de Notre-Dame à Bressuire ne dit pas autre chose : "Il est arrivé à certains de nos élèves de manquer une récréation pour finir un travail, tellement ils étaient happés ! Ils ont produit des slams stupéfiants, par lesquels ils ont sorti des choses personnelles que nous n’aurions jamais soupçonnées".Bien sûr, cette liberté d’expression octroyée aux élèves peut faire peur à certains enseignants : "Quelques-uns de mes collègues haussent les épaules en disant : tout ça, c’est des 'trucs de bobos'", reconnaît Anne-Sophie de Chauvigny dont, pourtant, le collège classé "zone sensible" ne rassemble pas vraiment les publics favorisés des centres-villes...
Elle admet aussi que les intelligences multiples ne résolvent pas tous les problèmes : "Les difficultés des élèves à l’écrit restent très importantes, et nous ne disposons pas encore d’outils assez performants". Mais elle est convaincue : "Nous incarnons l’avenir de l’Education nationale, c’est le bon sens même".
Regardée avec clémence, mais aussi avec une certaine distance, par la hiérarchie de l’Education nationale - laquelle n’a pas alloué un centime supplémentaire à sa classe-pilote -, l’enseignante se demande comment elle va payer l’équipe des chercheurs qui l’aident dans sa tâche. "Je recherche 15.000 euros auprès de mécènes privés." Quelqu’un aura-t-il l’intelligence de l’aider ?
Arnaud Gonzague – Le Nouvel Observateur
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