Nous avons rencontré le street artist londonien David Walker dans son studio parisien. Rencontre avec le talent et l'humilité mixés à la poésie.
Article de Wessame Benahcene pour FatCap
Vendredi 13 décembre 2013. 15h30. XIIIème arrondissement de
Paris. Le rendez-vous est pris. Pour rencontrer David Walker, il faut
se laisser guider dans un labyrinthe sans lumière. Sa mystérieuse
tanière renferme des bombes de peinture jonchant le sol, dont les traces
colorées indiquent toutes les directions. Mais celles ci s'affairent
bel et bien autour d'un même point. De six en fait. Six toiles. Six
portraits (découverts en exclusivité pour l'occasion). Et un artiste. Il
est lui-même l'oxymore de ses propres créations : imposant, il porte
des vêtements sombres, son expression est neutre. Il sourit à de rares
occasions, laissant transparaître l'intrigue d'un être complexe. Ses
œuvres, elles, sont colorées, vivantes et inspirent la joie. Contraste !
Constat ? C’est simple : ce monstre de créativité peine à sourire aux
regards subjugués par ses œuvres. Rencontre avec le talent et l'humilité
mêlés à la poésie.
© Ben Art
Il est de ceux qui n'expliquent pas leur art sorti des chimères de
leurs pensées. Une expression profonde de son inconscient qu'il traduit
concrètement sur des toiles mais aussi et beaucoup dans la rue. Son
accent british et classy ne trompe pas sur son origine. David Walker est
anglais. Natif de Londres, il a pourtant quitté son berceau pour se
laisser emporter par le souffle berlinois. Installé depuis deux ans dans
la capitale allemande, il explique son exil par un besoin accru de
changer d'air.
Multipliant les collaborations partout dans le monde, David a la
bougeotte. Une semaine auparavant notre rencontre il était à Miami. Il
créait une fresque de près de 10 m de long et 4m de haut en trois jours
seulement. Autant dire que l’artiste est efficace. Pourtant il ne se
l’explique pas : « Cela dépend des moments. Je peux passer 6
mois sans peindre un mur, si je fais des essais ou je ne suis pas
content de mes toiles. » Il demeure guidé par « une énergie telle qu’on
oublie de manger ou de boire. » L’artiste de 37 ans a aussi choisi la
France pour laisser son empreinte. La Galerie Mathgoth, mine de petites
perles artistiques, a d’ailleurs l’exclusivité de promouvoir cet
artiste. Celui-ci ne compte pas rester en Allemagne. Prochaine
destination ? Un pays chaud. Les Etats-Unis peut-être.
Peindre entièrement avec pour seul outil des bombes de peinture ?
Challenge accepted. On pourrait croire que David graffe depuis
longtemps. Pourtant, il n’utilise cette technique que depuis 6 ans. Ses
créations actuelles sont ainsi uniquement créées à partir de coup de
bombe habiles. Challenge relevé. Ce changement soudain s’est opéré comme
une révélation lors d’une grande exposition organisée avec un collectif
à Los Angeles : « Quand j’ai fini de peindre ce grand mur, l’histoire a
commencé, j’ai su que c’était ce que je voulais faire. » En parlant de
collectif, son meilleur souvenir de collaboration date d’il y a deux
ans. « J’ai fait un grand mur à Londres avec le graffeur Shione, les
formes de ses lettres sont tellement belles. Il a une façon de peindre
tellement rapide, fluide, sans appréhension. » David est souvent trop
dur avec lui-même. « À cette époque, l’appréhension et le détail me
mettaient une pression telle qu’il était difficile de prendre du plaisir
à peindre. » Pourquoi ce Shione a-t-il tant marqué David ? « Il m’a dit
: " oublie tout ça et éclate toi, fais-le en un jour, et quand ce sera
fini, tu pourras avoir devant toi la pire comme la plus belle des
toiles." » David salue en Shione une confiance en soi productive.
© Ben Art
David aime se laisser guider par le hasard. Il ne choisit pas vraiment
ses couleurs, essaie de nouvelles combinaisons. Affilier des couleurs
opposées l’amuse : « j’adore prendre des couleurs qui ne vont absolument
pas ensemble et trouver comment les imbriquer les unes dans les autres.
»
David est un artiste solitaire. Il aime se couper du monde. Son studio
berlinois est en rase campagne, isolé d’Internet ou de toute hostilité
néfaste à son esprit créatif. Il s’y réfugie durant plusieurs jours pour
créer. Mais la seule et vraie hostilité, c’est la contrainte. L’artiste
ne peint que par envie. « Je refuse beaucoup d’offres de peindre dans
les festivals, je vois le street art comme le plaisir de la création sur
le moment. Je ne laisse pas la tendance avoir raison de moi. »
Œuvres en cours de réalisation © Ben Art
Vous l’aurez compris mesdemoiselles, votre beauté charme l’artiste. Il
choisit donc des visages féminins pour produire ses créations. « Quand
j’ai commencé, je cherchais des photos dans les magazines et sur
Internet dans le but de peindre et d’améliorer ma technique. »
Les choses ont évoluées depuis : « à l’heure actuelle, je vois juste
un visage et j’ai le sentiment qu’il ferait une belle peinture, c’est inconscient. »
Qui sont ces sirènes envoûtantes ? Des inconnues qui croisent son
chemin le temps d’une séance de shooting, d’autres qui font un bout de
chemin plus long. L’important est qu’elles l’inspirent. Perfectionniste,
David prend le temps pour choisir la posture parfaite que prendra le
visage de ses modèles : « il faut que je fasse 200 clichés pour en
trouver 2 ou 3 que je peindrai. » « Les femmes sont les sujets les plus
durs à réaliser, car la toile n’égalera jamais la beauté du modèle. »
Œuvres en cours de réalisation © Ben Art
Œuvres en cours de réalisation © Ben Art
Son but ultime se mêle encore une fois à son implacable humilité : «
si les gens regardent votre œuvre au lieu de la femme qui a posé pour la
réalisation de cette toile, alors elle est plus que réussie, mais je ne
crois pas cela soit possible. » David : tu rends pourtant l’impossible
possible ! Mais on lui accorde cette vision trop distancée de lui-même
puisque « c’est difficile pour un artiste de réaliser ce qu’il fait, car
vous n’avez pas la chance de voir votre œuvre avec un œil nouveau.
Quand vous regardez vos toiles, vous voyez tout le chemin parcouru. » On
tente tout de même le test : se décrire soi-même et son art en un mot. A
cette requête, il fera dans l’économie et utilisera deux mots pour ne
décrire que son art : un "bordel merveilleux".
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