samedi 17 août 2013

Égypte: « Les Frères musulmans sont farouchement antichrétiens »

Tewfik Aclimandos: «Les Frèreset leurs alliés ont brûlé une cinquantaine d'églises, s'en sont pris à des établissements et des commerces coptes, et ont agressé des passants qui portaient des croix.»
INTERVIEW- Tewfik Aclimandos est chercheur au Collège de France, spécialiste du monde arabe. Il répond aux questions du Figaro après les émeutes meurtrières du 14 et 15 août au Caire.
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LE FIGARO. - Assiste-t-on à un coup d'État militaire et à un retour en arrière?
Tewfik ACLIMANDOS. - Je ne cautionne évidemment pas ce qui s'est passé mercredi, au Caire mais la responsabilité des Frères musulmans est écrasante. Ils ont fermé la porte à un compromis politique et sciemment joué la carte du pire. Ils ont fait le maximum soit pour que le gouvernement plie, soit pour qu'il y ait un bain de sang. Si c'est un coup d'État, il était réclamé depuis plusieurs mois par 80 % de la population. Les Frères musulmans ont tenté de mettre en place un régime totalitaire. Ils avaient des pratiques d'extrême droite. Depuis qu'ils ont pris le pouvoir, en juillet 2012 ; leurs miliciens ont très souvent attaqué des manifestants, des journalistes, des opposants… Dans n'importe quel pays démocratique, face à une telle situation, on aurait légitimement décrété l'état d'urgence. Quant au risque d'un retour en arrière, je pense que l'armée est consciente que l'heure n'est plus à un régime autoritaire. Mais bien sûr, certains vont sans doute plaider en ce sens.

L'Égypte est-elle menacée de guerre civile?
Disons plutôt que nous sommes face à un risque de conflit généralisé. Les Frères musulmans sont une force minoritaire. Même les salafistes leur sont très hostiles: ils n'appuient pas le gouvernement actuel, mais au fond, ils préfèrent l'armée aux Frères et même s'ils n'osent pas le dire, ils ont béni le coup d'État. Lors du premier tour de l'élection présidentielle, en juillet 2012, les Frères avaient obtenu 25 % des suffrages. Je pense qu'aujourd'hui, vu leur bilan, ils ont perdu un tiers, voire la moitié de leur électorat.

Les coptes sont-ils particulièrement menacés?
Les coptes sont clairement menacés. Les Frères et leurs alliés ont brûlé ces deux derniers jours une cinquantaine d'églises, ils s'en sont pris à des établissements et à des commerces coptes, ils ont agressé des passants qui portaient des croix. Le discours en interne des Frères attribue la chute de Morsi à un complot armé fomenté par des coptes. Ce qui esquive la question de savoir pourquoi autant de musulmans détestent les Frères. Et ce qui permet de se convaincre que ce conflit est une guerre sainte et qu'il est licite de tuer ses ennemis. Plus généralement, la Confrérie est farouchement antichrétienne.

Des élections sont-elles encore possibles?
Aujourd'hui, cela me semble totalement impossible. Mais tout dépendra de l'évolution de la situation. Le problème, c'est le jusqu'au-boutisme des Frères qui disent: soit vous cédez sur tout, soit vous nous tuez jusqu'au dernier. Il n'y a rien au milieu. L'Occident n'a pas une voix décisive, mais doit exercer des pressions sur chaque camp et soutenir les modérés. Il doit aussi convaincre les pays du Golfe, notamment l'Arabie saoudite, qui soutient l'armée, et le Qatar, qui appuie les Frères musulmans, de travailler ensemble pour trouver une solution. Surtout, ils ne doivent pas donner l'impression qu'on a affaire à un coup d'État militaire. La société égyptienne n'est pas coupée en deux. La majorité de la population, y compris parmi les islamistes, ne veut plus des Frères musulmans. En cas d'élection, ces derniers auraient désormais du mal à trouver des alliés. Dans les capitales occidentales, on ne mesure pas à quel point les Frères se sont décrédibilisés, à quel point ils ont fait preuve de brutalité. Leurs sit-in rassemblaient une majorité de militants pacifiques, mais aussi des miliciens qui se comportaient comme sur un champ de bataille. Et les Égyptiens en ont assez des milices!

Échec des Frères musulmans ou échec de l'islam politique?
C'est d'abord un échec des Frères qui était prévisible, structurel. Mais c'est aussi un échec de l'islam politique. Pour autant, je ne crois pas que cet échec de l'islam politique est définitif, qu'il ne s'en relèvera pas. Mais il faudra que les Frères musulmans s'interrogent sur ce qui n'a pas marché. D'autres forces islamistes pourraient ramasser la donne, car une partie de l'électorat ne votera plus pour les Frères, mais ne votera pas non plus pour des partis laïcs. Les islamistes modérés ou les salafistes ont une carte à jouer. Une autre analyse consiste à penser que le pays est durablement guéri de l'islam politique. C'est ce que semble croire l'armée. Et il faut supposer qu'elle a de bonnes raisons de le croire.

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