Difficile de faire à ce stade un bilan sur le
rôle joué par Internet lors de cette campagne. Heureusement qu’Arte va
diffuser ce soir « La campagne du Net », une chronique de la
présidentielle sous l’angle Internet réalisée lors de cette
présidentielle. Thierry Crouzet de son côté, déçu par l’univers
politique, fait un bond en avant et tente d’abandonner la logique des
partis et propose la création d’un nouveau réseau libre... Ce qui me
fait faire un bond en arrière de 11 ans avec la déclaration
d’indépendance du Cyberespace...
Ce soir, mardi 8 mai à 20h40 est diffusé sur Arte le film "La
campagne du Net", une chronique de la présidentielle vue du côté des
internautes. Les réalisateurs ont rencontré la plupart des acteurs de
cette net-campagne, dans les états-majors, les médias et plus largement
dans la
blogosphère citoyenne. AgoraVox va peut-être y figurer. "La campagne du
Net" est l’occasion et une tentative d’un premier regard rétrospectif
sur
l’émergence de ce nouveau média dans le débat public :
« Les candidats se
sont tous mis à Internet, avec plus ou moins de bonheur. Mais ils sont peu
nombreux à avoir entendu cet appel au renouvellement du débat que lancent les
internautes. Sur la Toile, les réactions se déchaînent. Sont-elles
représentatives de l’ensemble des électeurs français ? Y a-t-il des “e-favoris”
parmi les candidats ? S’efforçant de répondre à ces interrogations, le film part
à la découverte des différents acteurs de la présidentielle sur le Net : équipes
Web des candidats, “e-militants”, blogueurs influents... Il suit la chronologie
de cette campagne numérique, des premières escarmouches d’automne (la vidéo
montrant Ségolène Royal parlant des professeurs, à Angers) jusqu’aux grandes
batailles du printemps. Il tente également de cerner le rôle d’Internet en tant
qu’outil politique et démocratique, pointant au passage la difficulté avec
laquelle les médias traditionnels prennent la mesure de ce phénomène et de ses
règles du jeu »
Le film qui passe ce soir sera également accessible sur Internet pendant une semaine. Vous pouvez également voir le blog du film avec des rushs inédits. Et maintenant que la campagne est clôturée, Thierry Crouzet essaye de trouver un moyen pour aller au-delà de la logique des partis. Son but est de créer une sorte de réseau libre :
Le réseau Libre serait un méta-parti en quelque sorte, une structure horizontale plutôt que verticale. Il inaugurerait une nouvelle façon de faire de la politique, une façon tournée vers l’action et non vers la recherche du pouvoir.
Réseau : pour insister sur l’absence de chef, la décentralisation, l’ouverture...
Libre : parce que le réseau ne se lie à personne ni à aucune tendance en particulier, parce que ses membres peuvent appartenir à toutes les mouvances politiques ou même à aucune... et d’autant plus libre que le réseau, en lui-même, ne brigue aucun mandat (ce qui n’empêche pas certains de ses membres d’avoir des ambitions électorales).
Comme je l’ai précisé dans un commentaire, cette description de réseau libre me rappelle furieusement la notion même d’Internet.... Internet est le réseau libre par excellence ! Ensuite, tout est question d’outil et de méthodes pour canaliser les millions de personnes qui le composent dans des actions intelligentes, intelligibles et concrète tant au niveau local que national. Les médias citoyens (présents et à venir) constituent un des moyens d’agir concrètement au sein des réseaux libres.
Cela dit, tout ceci me fait penser à la célèbre Déclaration d’Indépendance du Cyberespace que John Perry Barlow (le co-fondateur de la Electronic Frontier Foundation) eu le courage de lire à Davos devant tous les chefs d’état de la planète en 1996... Je pense que ce texte garde toute son actualité et vu les temps qui courent, il est vraiment à méditer... Le terme "Cyberespace" est certes un peu passé de mode (on pourrait le remplacer par Internet ou blogosphère) mais la puissance et la fraîcheur du message restent intactes malgré le lyrisme de Barlow clairement inspiré par la Déclaration d’indépendance des Etats-Unis et aux valeurs de la culture américaine.
DECLARATION D’INDEPENDANCE DU CYBERESPACE
"Gouvernements
du monde industriel, géants fatigués de chair et d’acier, je viens du
cyberespace, nouvelle demeure de l’esprit. Au nom de l’avenir, je vous demande,
à vous qui êtes du passé, de nous laisser tranquilles. Vous n’êtes pas les
bienvenus parmi nous. Vous n’avez aucun droit de souveraineté sur nos lieux de
rencontre.
Nous n’avons
pas de gouvernement élu et nous ne sommes pas près d’en avoir un, aussi je
m’adresse à vous avec la seule autorité que donne la liberté elle-même lorsqu’elle
s’exprime. Je déclare que l’espace social global que nous construisons est
indépendant, par nature, de la tyrannie que vous cherchez à nous imposer. Vous
n’avez pas le droit moral de nous donner des ordres et vous ne disposez d’aucun
moyen de contrainte que nous ayons de vraies raisons de craindre.
Les
gouvernements tirent leur pouvoir légitime du consentement des gouvernés. Vous
ne nous l’avez pas demandé et nous ne vous l’avons pas donné. Vous n’avez pas
été conviés. Vous ne nous connaissez pas et vous ignorez tout de notre monde.
Le cyberespace n’est pas borné par vos frontières. Ne croyez pas que vous
puissiez le construire, comme s’il s’agissait d’un projet de construction
publique. Vous ne le pouvez pas. C’est un acte de la nature et il se développe
grâce à nos actions collectives.
Vous n’avez
pas pris part à notre grande conversation, qui ne cesse de croître, et vous
n’avez pas créé la richesse de nos marchés. Vous ne connaissez ni notre
culture, ni notre éthique, ni les codes non écrits qui font déjà de notre
société un monde plus ordonné que celui que vous pourriez obtenir en imposant
toutes vos règles.
Vous prétendez
que des problèmes se posent parmi nous et qu’il est nécessaire que vous les
régliez. Vous utilisez ce prétexte pour envahir notre territoire. Nombre de ces
problèmes n’ont aucune existence. Lorsque de véritables conflits se produiront,
lorsque des erreurs seront commises, nous les identifierons et nous les
réglerons par nos propres moyens. Nous établissons notre propre contrat social.
L’autorité y sera définie selon les conditions de notre monde et non du vôtre.
Notre monde est différent.
Le cyberespace
est constitué par des échanges, des relations, et par la pensée elle-même,
déployée comme une vague qui s’élève dans le réseau de nos communications.
Notre monde est à la fois partout et nulle part, mais il n’est pas là où vivent
les corps.
Nous créons un
monde où tous peuvent entrer, sans privilège ni préjugé dicté par la race, le
pouvoir économique, la puissance militaire ou le lieu de naissance.
Nous créons un
monde où chacun, où qu’il se trouve, peut exprimer ses idées, aussi singulières
qu’elles puissent être, sans craindre d’être réduit au silence ou à une norme.
Vos notions
juridiques de propriété, d’expression, d’identité, de mouvement et de contexte
ne s’appliquent pas à nous. Elles se fondent sur la matière. Ici, il n’y a pas
de matière.
Nos identités
n’ont pas de corps ; ainsi, contrairement à vous, nous ne pouvons obtenir
l’ordre par la contrainte physique. Nous croyons que l’autorité naîtra parmi
nous de l’éthique, de l’intérêt individuel éclairé et du bien public. Nos
identités peuvent être réparties sur un grand nombre de vos juridictions. La
seule loi que toutes les cultures qui nous constituent s’accordent à reconnaître
de façon générale est la Règle d’Or [de l’Ethique]. Nous espérons que nous
serons capables d’élaborer nos solutions particulières sur cette base. Mais
nous ne pouvons pas accepter les solutions que vous tentez de nous imposer.
Aux
États-Unis, vous avez aujourd’hui créé une loi, la loi sur la réforme des
télécommunications, qui viole votre propre Constitution et représente une
insulte aux rêves de Jefferson, Washington, Mill, Madison, Tocqueville et
Brandeis. Ces rêves doivent désormais renaître en nous.
Vous êtes
terrifiés par vos propres enfants, parce qu’ils sont les habitants d’un monde
où vous ne serez jamais que des étrangers. Parce que vous les craignez, vous
confiez la responsabilité parentale, que vous êtes trop lâches pour prendre en
charge vous-mêmes, à vos bureaucraties. Dans notre monde, tous les sentiments,
toutes les expressions de l’humanité, des plus vils aux plus angéliques, font
partie d’un ensemble homogène, la conversation globale informatique. Nous ne
pouvons pas séparer l’air qui suffoque de l’air dans lequel battent les ailes.
En Chine, en
Allemagne, en France, en Russie, à Singapour, en Italie et aux États-Unis, vous
vous efforcez de repousser le virus de la liberté en érigeant des postes de
garde aux frontières du cyberespace. Ils peuvent vous préserver de la contagion
pendant quelque temps, mais ils n’auront aucune efficacité dans un monde qui
sera bientôt couvert de médias informatiques.
Vos industries
de l’information toujours plus obsolètes voudraient se perpétuer en proposant
des lois, en Amérique et ailleurs, qui prétendent définir des droits de
propriété sur la parole elle-même dans le monde entier. Ces lois voudraient
faire des idées un produit industriel quelconque, sans plus de noblesse qu’un
morceau de fonte. Dans notre monde, tout ce que l’esprit humain est capable de
créer peut être reproduit et diffusé à l’infini sans que cela ne coûte rien. La
transmission globale de la pensée n’a plus besoin de vos usines pour
s’accomplir.
Ces mesures
toujours plus hostiles et colonialistes nous mettent dans une situation
identique à celle qu’ont connue autrefois les amis de la liberté et de
l’autodétermination, qui ont eu à rejeter l’autorité de pouvoirs distants et
mal informés. Nous devons déclarer nos subjectivités virtuelles étrangères à
votre souveraineté, même si nous continuons à consentir à ce que vous ayez le
pouvoir sur nos corps. Nous nous répandrons sur la planète, si bien que
personne ne pourra arrêter nos pensées.
Nous allons
créer une civilisation de l’esprit dans le cyberespace. Puisse-t-elle être plus
humaine et plus juste que le monde que vos gouvernements ont créé."
Davos (Suisse), le 8 février 1996.
John
Perry BarlowElectronic Frontier Foundation
Seule l’erreur a besoin d’un soutien gouvernemental. La vérité sait se défendre elle-même. Thomas Jefferson, Notes sur la Virginie.
Traduction de Jean-Marc
Mandosio.
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