dimanche 25 mars 2012

Bernard Squarcini : "Nous ne pouvions pas aller plus vite"

Le directeur central du renseignement intérieur, Bernard Squarcini, assiste à la conférence de presse le 17 janvier 2012 à Paris, pour la remise du rapport sur les chiffres de la criminalité pour l'année 2011.

Le directeur central du renseignement intérieur, Bernard Squarcini, répond aux interrogations sur la surveillance de Mohamed Merah.

Jeudi, le ministre des affaires étrangères, Alain Juppé, a affirmé : "Je comprends qu'on puisse se poser la question de savoir s'il y a eu une faille ou pas." C'est une mise en cause de vos services ?

Le sens de sa phrase a été dénaturé. Des personnes, dont des enfants, sont morts d'une façon particulièrement cruelle, et nous nous posons forcément la question: est-ce qu'on aurait pu faire différemment? Est-ce qu'on a raté quelque chose? Est-ce qu'on a été assez vite? Mais il était impossible de dire dimanche soir : "C'est Merah, il faut aller l'attraper." Lui-même n'avait d'ailleurs pas prévu d'attaquer l'école juive lundi matin. Selon ses déclarations lors du siège par le RAID, il voulait tuer un autre militaire, mais il est arrivé trop tard. Et comme il connaît bien le quartier, il a improvisé et a attaqué le collège-lycée Ozar-Hatorah.

Mohamed Merah vous a parlé pendant le siège du RAID ?

Il a souhaité parler avec le policier de la direction régionale du renseignement intérieur (DRRI) de Toulouse qui l'avait rencontré en novembre 2011. Il est intervenu au cours des négociations. Mohamed Merah semblait avoir un rapport de confiance avec lui. Il s'est confié, il a coopéré. Il nous a dit où était le scooter ou les deux voitures. Le courant passait bien. Non sans cynisme. Il a même dit à ce policier: "De toute façon, je devais t'appeler pour te dire que j'avais des tuyaux à te donner, mais en fait, j'allais te fumer." C'est un Janus, quelqu'un qui a une double face.

Il faut remonter à la cassure de son enfance et à ses troubles psychiatriques. Pour avoir fait ce qu'il a fait, cela relève davantage d'un problème médical et de fanatisme que d'un simple parcours djihadiste. Selon le policier de la DRRI, c'est sa deuxième personnalité qui a parlé, mercredi. Il lui a raconté la deuxième tranche de vie qu'il n'a pas voulu lui évoquer en novembre. Il a fini leur entretien, en quelque sorte.

Le ministre de l'intérieur, Claude Guéant, a fait le lien entre Mohamed Merah et des salafistes arrêtés en 2007, à Toulouse et en Ariège, dans une affaire de filière djihadiste irakienne. Etait-il sous surveillance à ce moment-là ?

Il n'y a pas de lien, en dehors de mandats qu'il a envoyés à l'un des condamnés en prison, ce qui peut être une simple solidarité de cité. Il a à peine 18 ans à l'époque des faits. Il ne peut pas apparaître comme un activiste chevronné. Il était plutôt un petit délinquant déjà connu pour plusieurs faits : vols avec violences, vols à l'arme blanche. C'est une conduite sans permis qui le fait basculer, et emprisonner dix-huit mois, puisque ses sursis tombent à la fin de sa majorité pénale. Il trouve injuste la sanction qui lui est infligée et il part en rébellion contre les institutions.

Selon les déclarations qu'il a faites lors du siège par le RAID, il s'est autoradicalisé en prison, tout seul, en lisant le Coran. C'est un acte volontaire, spontané, isolé. Et il dit que de toute façon, dans le Coran, il y a tout. Donc, il n'y a aucune appartenance à un réseau.

Il n'a pas été victime d'une filière de radicalisation en prison ?

Il semble s'être radicalisé seul.

C'est un profil particulier, donc ?

Il n'a pas les attributs extérieurs du fondamentaliste. Lors de ses condamnations par le tribunal pour enfants, une fragilité psychologique est détectée. Il a mal supporté le divorce de ses parents, et son père est retourné en Algérie. Il noue une relation particulière avec sa mère. Il vit de petits boulots, qu'il garde un mois, un mois et demi. En fait c'est sa mère qui subvient à ses besoins logistiques. Et puis il nous dira à travers la porte, mercredi, que c'est son business et ses petits larcins qui lui permettent d'accumuler de l'argent et d'acheter des armes.

Quand est-il apparu sur vos radars ?

Après un simple contrôle routier à Kandahar, en Afghanistan, en novembre 2010, qui est effectué par la police afghane. Ils le remettent aux Américains qui l'ont forcé à remonter dans l'avion pour rentrer à Kaboul. La direction de la sécurité et de la protection de la défense (DPSD), un des services de renseignement des armées, nous a signalé l'incident.

Qu'a-t-il fait pendant ce premier voyage ?

Il a passé du temps chez son frère auCaire après avoir voyagé au Proche-Orient : Turquie, Syrie, Liban, Jordanie, et même Israël. A Jérusalem, la police découvre un canif dans son sac puis le relâche. Ensuite, il se rend en Afghanistan en passant par le Tadjikistan. Il prend des parcours qui sont inhabituels et n'apparaît pas sur nos radars, ni sur ceux des services extérieurs français, américains et locaux. Il arrive le 13 novembre à Kaboul, il est contrôlé le 22 novembre à Kandahar et il rentre en France le 5 décembre 2010.

Que se passe-t-il ensuite ?

Nous faisons une enquête pour voir ce qu'il vaut. Mais il n'y a rien. Pas d'activisme idéologique, pas de fréquentation de la mosquée.

Pourquoi l'avez-vous convoqué à l'automne 2011 ?

Parce que nous voulons recueillir des explications sur son voyage en Afghanistan. C'est un entretien administratif sans contrainte, puisque nous n'étions pas dans un cadre judiciaire.

Il s'y soumet sans problème ?

Le fonctionnaire qui l'a reçu n'a pas senti une volonté d'esquiver, au contraire. Mohamed Merah l'appelle le 13 octobre 2011 car il n'est pas en France à ce moment-là, il est au Pakistan. "Dès que je rentre, je vous contacte", a-t-il dit. Le 3 novembre, il rappelle de l'hôpital Purpan, à Toulouse, ou il est hospitalisé pour une hépatite. "Dès que je sors, je viens vous voir", assure-t-il. Il fait preuve d'une excellente coopération, d'éducation, et de courtoisie.

Il vient à l'entretien avec sa clé USB qui contient ses photos de voyages. Il demande à s'allonger sur la table pour pouvoir discuter parce qu'il est malade, dit-il. Il explique en photos tout le parcours touristique qu'il a réalisé au Proche-Orient, en Afghanistan et au Pakistan.

Son deuxième voyage au Pakistan ne vous a pas inquiété ?

Il n'est resté que deux mois au Pakistan. Il dit alors que c'était pour chercher une épouse. Lors du siège par le RAID, il nous a dit qu'il était allé au Waziristan et qu'il y avait encore là-bas d'autres Français comme lui. Mais à l'époque, ni les services pakistanais, ni les Américains, ni la DGSE ne nous ont alertés.

Où a-t-il appris à combattre ?

Il a déclaré au RAID qu'il avait bénéficié d'un entraînement particulier au Waziristan par une seule personne. Et pas dans les centres de formation, où il aurait pu se faire repérer puisqu'il parlait français.

Pourquoi les Américains l'ont-ils inscrit sur leur liste d'exclusion aérienne, et sur celle du FBI pour lien avec Al-Qaida ?

Probablement parce qu'il a été contrôlé à Kandahar.

Son frère n'était pas surveillé ?

Ce n'est pas le même type de personnalité. Le frère et la sœur sont partis en juillet 2010 dans une école coranique en Egypte. Ils n'ont pas la même formation. Il nous l'a dit : "Moi je n'ai pas confiance en mon frère, je ne lui ai jamais dit ce que je faisais. Ni à ma mère."

Après l'entretien de novembre 2011, que se passe-t-il ?

Des dispositions ont été prises, la DCRI l'a notamment inscrit au fichier des personnes recherchées pour être informé en cas de contrôle et de déplacements.

Quand avez-vous commencé à travailler sur le meurtre des militaires, le 15 mars ?

La DCRI a commencé à échanger avec la police judiciaire dès le vendredi 16 mars. Le samedi au soir, ils nous ont transmis des données à cribler dans notre documentation. Le service a travaillé tout le week-end sur les propriétaires de T-Max, de 11.43, les habitués des stands de tir, les noms liés aux adresses IP qui se sont connectées à l'annonce du premier militaire, 24 000 données au total. On s'interroge encore à ce moment-là sur la piste de l'ultradroite, du djihad ou d'un fou.

Vos recherches isolent alors le nom de la mère de Mohamed Merah, qui correspond à l'une des adresses IP ?

Oui, mais, le dimanche soir, il n'y a pas que ce nom-là. Nous donnons les réponses aux criblages à la sous-direction antiterroriste de la police judiciaire, et on demande à ceux de nos services qui ont émis les dossiers sur ces noms d'approfondir la recherche.

Donc, le nom de Merah ne déclenche pas de processus d'alerte ?

Non. Mais nous savons dimanche soir que Mme Aziri est la mère de Mohamed et Abdelkader Merah. Son nom apparaît dans la liste des gens qui ont consulté une annonce de vente de moto sur Leboncoin. fr. Mais elle a cinq enfants, cela fait six personnes qui auraient pu se connecter. Cela ne fait pas encore d'elle et de ses deux fils des suspects. De plus, il n'y a pas d'éléments qui montrent de contact direct entre le vendeur de la moto et un membre de la famille Merah.

Est-ce que le profil des militaires tués, d'origines maghrébine et antillaise, vous a fait perdre du temps ?

Non, à ce moment-là, tout le monde est dans le brouillard. Il n'y a pas de piste privilégiée. Le lundi, c'est l'attaque du collège Ozar-Hatorah. Le parquet de Paris se saisit de l'affaire, et nous nous trouvons en cosaisine. Là, avec l'école juive, la façon dont il a ciblé, l'hypothèse djihadiste reprend du poids. Nous gardons encore à l'esprit celle de l'ultradroite.

Est-ce que les deux méthodes de travail, PJ et renseignement, ne se sont pas percutées ?

Au contraire, nous avons gagné du temps. Le renseignement débroussaille, et évite que l'enquête de la PJ soit polluée. Avec la tuerie de l'école, on se retrouve face à une trajectoire criminelle bizarre. Il n'y a pas de revendication, il n'y a qu'un lien géographique.

Le lundi soir, la liste de suspects potentiels s'est réduite ?

Notre direction régionale nous donne une liste de six noms d'islamistes radicaux et six noms de membres de l'ultradroite. Ils ont un profil qui peut laisser penser qu'ils ont pu basculer.

Dans la liste des islamistes, il y a les Merah ?

Seulement Mohamed.

Comment quelqu'un jugé inoffensif en novembre devient un tueur potentiel en mars ?

C'est quelque chose d'atypique, d'irrationnel et de violent. Mohamed Merah, c'est quelqu'un qui a un comportement violent dès sa petite enfance, qu'on ne peut rattacher à aucune typologie.

Le mardi 20 mars, vous vous concentrez sur Mohamed Merah.

Lors de réunions sur la stratégie de l'enquête, les services ont souligné qu'il pouvait correspondre au profil, mais qu'il était indispensable d'interpeller en même temps la mère, Abdelkader, et Mohamed. Il faut alors des éléments pour convaincre un juge des libertés et de la détention d'autoriser des perquisitions de nuit. Comme ce sont des islamistes présumés, il fallait intervenir avant l'heure de la première prière.

Vous pensiez encore que cela pouvait ne pas être lui ?

Oui, cela pouvait être une de ses relations. On n'a pas de certitude à cette heure-là.

Est-ce que ce dossier change votre grille de lecture du phénomène islamiste ?

C'est évident qu'il peut y avoir d'autres solitaires comme lui. C'est la crainte de tous les services de renseignements mais cela ne change pas fondamentalement notre grille de lecture du phénomène terroriste.

Ne craignez-vous pas une exploitation politique de cette affaire ?

Ces problèmes-là ne sont ni de droite, ni de gauche. Ce sont des problèmes techniques. Nous sommes soulagés de l'avoir trouvé. Malheureusement, il y a eu des victimes innocentes, mais il y aurait pu en avoir plus. Nous ne pouvions pas aller plus vite. Nous aurions bien aimé.

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