samedi 10 mars 2012

Devenez millionnaires : combattez la corruption !

Le marché est gigantesque. Les perspectives de profits, phénoménaux. Selon la Banque mondiale : il y a mille milliards de dollars à prendre. Surtout, ce marché est vierge. Personne ne s’y attaque. Lequel ? Le marché de la corruption. Vous ne pensiez pas qu’il y avait, là une occasion d’affaires ? C’est que vous n’avez pas un sens entrepreneurial aussi développé que celui de Shaffi Mather, le capitaliste immobilier indien devenu activiste social.

Après avoir doté l’Inde d’un système communautaire d’ambulances auto-financées, il a compris le potentiel économique de la corruption. «Personne ne se lève le matin en se disant : je vais payer un pot de vin aujourd’hui », a-t-il expliqué lors d’une conférence en décembre dernier dans le cadre de TedTalks Inde. En général, la corruption est imposée au citoyen. «Mais il n’existe pas de ligne 1-800 contre la corruption.» Et, plutôt que de se battre et face à la crainte de représailles, le citoyen paie le backshish demandé et passe à autre chose.

Mather, qui fut invité par le président Obama pour un sommet sur l’entrepreneurship en avril dernier, a eu l’idée de lancer un service anti-corruption : bribebusters. Les victimes l’appellent, lui et, contre rémunération, il tente de faire retirer la demande d’argent ou de faveur – généralement illégale.

Il en est au projet pilote mais raconte que dans chacun des 42 cas tests, en Inde, il a réussi. Le fait qu’une tierce personne s’interpose entre le corrupteur et la victime est, en soi, intimidant pour le corrupteur, dont le crime suppose la confidentialité. Les techniques sont diverses. L’enregistrement vidéo ou audio de la demande de corruption fait souvent l’affaire. Une demande d’accès à l’information pour le dossier bloqué (cette loi existe en Inde) suffit parfois à la faire débloquer. Des appels aux collègues ou supérieurs du corrupteur peuvent aussi fonctionner.

Le service anti-corruption suscite trois réponses, explique Mather. Dans les meilleurs cas, la demande de corruption est immédiatement levée. Il arrive que le corrupteur veuille user de son autorité et fasse obstacle. Un deuxième outil est alors utilisé (appel, mise-en-demeure, etc.), puis un troisième. Dans 100% des cas, selon Mather, le corrupteur ne résiste pas au troisième assaut.

Cela n’est évidemment pas sans danger. Son combat contre une compagnie indienne corrompue mais influente lui a valu, dit-il, trois accusations policières pour intimidation, intrusion et usurpation d’identité.

Ces techniques sont utiles pour la corruption ordinaire, mais ne s’appliquent guêre aux Karlheinz Schreiber et autres grands corrupteurs, actifs lors de la négociation de méga-contrats d’armes, d’aviation ou d’ingénierie entre transnationales et politiciens cupides.

Mais des agences anti-corruption ordinaire peuvent-elles être rentables ? Cela dépend entièrement de l’appétit des corrupteurs. S’ils vous demandent un pot-de-vin de 10$, ce n’est pas la peine. Mais Mather donne l’exemple typique, pour l’Inde, d’une demande de 3000 roupies (70$) d’un fonctionnaire pour l’émission d’un passeport. Envoyer la demande d’accès à l’information qui a débloqué le dossier a coûté huit fois moins cher. Il y a donc beaucoup de marge pour faire un bon profit, tout en demandant au client beaucoup moins que ce que demandait le fonctionnaire.

Avec mille milliards de dollars de marché disponible, les entrepreneurs anti-corruption pourront inventer toutes sortes de méthodes. Demander un pourcentage, 15% ou 30% de la somme demandée. Ou alors offrir un tarif fixe. On pourrait voir, dans les dépliants, une liste de prix : tant pour éviter le bakchich pour le permis de construction, tant pour l’éviter dans l’asphaltage, tant pour refuser de financer le PLQ et obtenir quand même une garderie. Les applications sont illimitées. Les profits peuvent être appréciables. Mais il faut compter les faux frais : les gardes du corps.

Comme dans toute entreprise humaine, viendra un moment où les corrupteurs – qui ne sont pas les moins astucieux d’entre nous – trouveront le moyen d’en profiter aussi. Car si l’anti-corrupteur est payé au pourcentage, n’a-t-il pas intérêt à ce que le corrupteur soit plus gourmand ? Quitte à lui refiler une partie du paiement reçu du client ?

Et ce business de la propreté économique générera, à terme, un gigantesque problème. De succès en succès, il éliminera la source même de ses profits, la condition même de son existence : la corruption et les corrupteurs. Les entrepreneurs anti-corruption auront intérêt, au final, à protéger leur gagne pain.










Et encore…

Les secteurs de la construction, des travaux publics et de l’immobilier sont considérés comme les plus corrompus de toute l’activité économique, partout sur la planète, selon le dernier rapport de Transparency International. Viennent peu après l’industrie pétrolière et gazière. Parmi les plus propres : les banques, les pêcheries et la haute-technologie.

Le Canada est jugé par Transparency International comme parmi les pays où on trouve le moins de corruption, avec la Belgique, les Pays-Bas et la Suisse. On en trouve davantage, d’abord en Russie, puis au Mexique, en Chine et en l’Inde. C’est donc là que se trouve le marché émergent de l’anti-corruption.

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